mercredi 7 juillet 2010

Hors de moi



J’ai formé le vœu de me débarrasser de ma peau, de travailler à la dissolution de ma figure, la ruine de mon visage, d’y mettre toute l’énergie possible, entendez bien, il ne s’agit en rien d’un projet funeste ou suicidaire, juste l’envie de sortir de tout ce que je suis censé être, une naissance, une filiation, une famille, une couleur, une identité pour employer ce mot affreux des documents d’état civil et autres débats en vogue, il s’agit seulement de renoncer à à l'injonction de mes oreilles qui me racontent sans cesse des paysages anciens, des senteurs révolues, abandonnées,des rues passées, des amours perdues même, oui renoncer même à cela malgré mon inclination au regret, à la nostalgie, et aux bénéfices secondaires du deuil.
Là où je me tiens, il n'y a pourtant de place que pour cela, tout ce qui me contraint à moi-même, et moi je veux sortir,je suis sûr que lire c'est sortir, écrire c'est sortir, parler c'est sortir et je voudrais lire et écrire et globalement jusqu'ici je me suis tu. Si je considère l'ampleur de ce qui ébranle le monde à chaque instant, ce qui atteint le monde, les bruits qui y résonnent, ce qui le laisse à genoux, chaque jour et de plus en plus, ce qui le réduit au silence, alors je peux dire que je n'ai pas parlé assez. (...)
Trouver ce tissu continu entre nousqui à la fois invente et annule les identités, les pays, les naissances, parce que le point qui nous soude est le même, notre rencontre évidente est au prix d'un seul geste : défaire la couture du masque et que nous soyons tous au bout du compte toujours et définitivement des hommes qui doutent de leur figure.

Thierry Illouz. Politis / Digression, 1er Juillet 2010.
Thierry Illouz est avocat, écrivain : L'ombre allongée Fayard 2001, Quand un soldat, Fayard 2003, et dramaturge, J'ai tout, Buchet Chastel, 2004.

Photo ZL, Frontière du jardin 7 juillet 2010

22 commentaires:

Vinosse a dit…

Bof...

Un flatteur aurait mieux dit!

kouki a dit…

Assumer d'où l'on vient est un chemin aussi complexe que celui d'y renoncer ... on peut être libre dans l'une ou l'autre réalisation. Respectable chacune.
Héhé Zoëëë, les tournesols font des tours ?

manouche a dit…

ne pas laisser passer une occasion de dire ,d'écrire, de danser de chanter ,c'est hors de soi qu'on s'aime le mieux.

Anonyme a dit…

A genoux. Déjà, éviter la posture. Pour commencer.

Chr. Borhen a dit…

Il commence par "je" et il finit par "nous". Un de plus, quoi.

Zoë Lucider a dit…

@Vinosse, c'est bien possible
@Kouki, oui mais découdre le masque, ça donne l'air de ne pas en avoir uh uh!
@manouche, écrire, danser c'est s'oublier tout en étant parfaitement centré
@Dom A, Surtout pas Canossa !
@Chr B, d'autres commencent pas "nous" et finissent par "je".

Sophie K. a dit…

Mouhahahaha ! Faudrait commencer par "eux" et en finir avec, parfois...
Pas encore en vacances, ma Zoë ? :0)

mon chien aussi a dit…

J'ai horreur de ceux qui font semblant de s'oublier : mysticisme (religieux ou non) en vue, et connerie à l'avenant. Un autre masque, c'est tout. S'il est avocat, c'est déjà un branleur de première, et il continue dans la branlette. J' lui propose un stage avec les éboueurs à ce con. :))

Anonyme a dit…

«Former un vœu», tout le monde sait faire, «avoir envie de», tout le monde sait dire... La castration procure un confort qui a le mérite d'étouffer toute velléité.

ArD

Isabelle C. a dit…

Zoë ? c'est donc toi ? j'ai mis du temps à réaliser :)
Intéressant ce texte, bien écrit je trouve. Je le garderais dans mes tablettes, il illustre bien le fantasme d'auto engendrement.
Pas facile la renaissance :)... moment qui passe de la filiation l'affiliation.
J'aime bien son "nous" de la rencontre, la couture des masques ...
mmmh je reviendrais :))

Isabelle C. a dit…

... je reprends:
de la filiation à l'affiliation

Zoë Lucider a dit…

@Sophie K, Ayé, ça commence ce soir par de la musique en live, sur la place Sainte Cécile d'Albi, Brigitte Fontaine, Patti Smith et Higelin. Que du lourd!
@Mon chien, s'oublier, risque pas de t'arriver, mouahahah!
@ArD, il parait que ça peut donner une belle voix :-)
@Isabelle C bienvenue sous l'arbre, revenez quand vous voudrez.

vinosse a dit…

"Brigitte Fontaine, Patti Smith et Higelin. Que du lourd!"

Ah ça! Pour du lourd, c'est même du lourdingue...

Sophie K. a dit…

Ah Patti Smith, j'dirais pas non, perso...
:0)))
Profite bien, Zoë.

Nadège a dit…

Merci Zoë pour ce texte, qui évoque bien le changement et la crainte que nous avons tous de perdre ce que l'on croit posséder...

D. Hasselmann a dit…

Très jolie photo, et au titre parfait.

mon chien aussi a dit…

@Zoë. Toi-même, tu es inoubliable, chère Zoë.

Zoë Lucider a dit…

@Vinosse, ah Vinosse!!!!
@Sophie K, pas pu profiter, un pataquès pffff
@Nadège, c'est en effet un frein et chez certains tellement serré.
@DH, bien qu'en promenade, c'est gentil de venir sous l'arbre.
@MCA, sortir de soi, c'est bien aussi, ça repose.

Vinosse a dit…

J'ai adoré Higelin en 74/75, balieue booggie blues, irradié et autres, mais pas champagne, le début de la fin...
Patty Smith...heu... quissai ??? Ah oui, une américaine à la mode...
Fontaine ??? BEUUUUURK!
le plat du jour chez les bobos !!!

Dominique Boudou a dit…

Oh ! S'il n'y avait que ma figure dont je doute !

Zoë Lucider a dit…

@Vinosse, Patti Smith, une américaine à la mode!indémodable alors, Brigitte Fontaine, le plat du jour chez les bobos ? bobos têtes de veaux, tu ne l'as pas faite celle-là. Ah! Vinosse !
@Dominique Boubou, pas de souci, douter, c'est être prêt à remettre sur le métier l'ouvrage,du courage plein les pognes.

Frédérique M a dit…

Ce que j'entends dans ce texte, c'est une envie de libération, d'affranchissement, c'est une histoire de liberté intérieur. Le désir de tisser avec l'autre aussi. Et de'élan, une sorte dde ferveur derrière tout ça.