mercredi 2 septembre 2009

Les zinédits. Bremen, gross fatigue!


C'est d'un tout petit avion trémoussant que je me suis extraite dans la nuit de l'aéroport de Brême. A l’hôtel, Jennifer m'attendait au bar. Elle revenait de Leipzig, impressionnée par le chantier, les contrastes hurlants entre les morceaux de ville sabordés et les nouvelles vitrines de la richesse occidentale. La réunification, elle n'avait entendu parler que de ça. Le frère de l'Est revenait au bercail, pouilleux, le nez baissé; l'aîné, le légitime, lui faisait une place au bout du banc. A une condition ! Qu'il respecte la loi du marché ! Car si Dieu agonisait dans les convulsions, la loi du Marché, elle, régnait souveraine. C'était ça la grande révélation de l'humanité à elle-même. La planète n’est qu’un énorme entrepôt de produits à acheminer à flux tendus. C'était dommage que la loi rende caduque à peu près tout du bazar antérieur. Tant pis pour le frérot, il ne fallait pas se tromper d‘ « ismes », essayer de bidouiller des trucs tordus pour des mises en commun utopiques. Erreur sur l'espèce ! L'humain est un être de meute avec un grand chef plus fort ou plus malin qui détient droit de vie et de mort sur sa troupe ! C'est le chefaillisme qui règne partout, générant ceux qui rampent, ceux qui se terrent, ceux qui ferraillent et ceux qui prennent une balle dans le dos.

Elle me trouvait sombre, Jennifer.

- Fatiguée, je suis fatiguée. Je voudrais m’enfermer dans une petite cellule blanche, qu'on me passe une écuelle, des livres et des disques.

- Ah ! Ce n'est pas tout à fait de l'ascétisme pur, ça.

- Ce n'est pas l'ascétisme que je cherche, c'est le silence. Le brouhaha me ronge. Je ne sais plus rien distinguer. J'ai envie d'une cure d'oubli, les politiciens, les théoriciens, les académiciens, les militaires, les tortionnaires, les affameurs, les décideurs, les suiveurs, les contractants, les contractés, engloutis !

- Ca conduit aux drogues dures ces désirs d'abolition, me dit Jennifer, en demi-teinte, car à la liste, elle aurait pu ajouter son lot. »

- Eh bien ! Tout cela nous place dans d'excellentes dispositions pour aller ausculter le cœur de cette charmante cité, demain matin.

- Hanséatique, m'a précisé Jennifer. »

Extrait "Le voyage des enfants". Bremen. Zolucider,1997, Inédit, p 140


Une suite vendredi dans le cadre des "Vases communicants" chez Dominique Boudou

Pour un excellent article sur les affres de l'inédition lire Pierre Jourde Confessions d'un lecteur de manuscrits
Photo Statue de Roland à Brême

14 commentaires:

Vinosse a dit…

Le Roland de Roncevaux ?????

Zoë a dit…

@Vinosse
C'est la question que j'avais posée à l'Allemande qui nous accompagnait. Et elle m'a rappelé en rigolant que la Saint Empire Romain Germanique englobait des Latins et des Saxons dans un vaste territoire, avant que les fils de Carolus ne le coupe en morceaux.
Voici ce que dit l'UNESCO pour justifier le classement de l'ensemble au patrimoine mondial.
"L'ensemble de l’hôtel de ville et de la statue de Roland de Brême, et son symbolisme, sont directement liés au développement des concepts d’autonomie civique et de liberté de marché dans le Saint Empire romain germanique. Le Roland de Brême fait référence à une figure historique, le paladin de Charlemagne inspirateur de la chanson de geste française et d’autres types de poésie épique du Moyen Âge et de la Renaissance."

Vinosse a dit…

Il est vrai que Carolus Magnus était empereur de plein de trucs et que Roland aurait peut-être existé...

Chuis pas spécialiss...

JEA a dit…

- "C'est le chefaillisme qui règne partout, générant ceux qui rampent, ceux qui se terrent, ceux qui ferraillent et ceux qui prennent une balle dans le dos."

Prémonitoire ! Vous aviez vu Sarkohimself dans votre encrier ?

Dexter a dit…

Zoe, c'est quoi les inédits ?
page 140 ?
ça veut qu'il y en a 140 autres avant ?
vous avez écrit un livre ?

que pensez-vous de cet article de Jourde ?
quelles conclusions faut-il en tirer ?

Zoë a dit…

@JEA, oui une bonne dizaine d'années avant son avènement, mais il n'est que le produit d'un système, d'une culture
@Dexter, j'en pense du texte de Jourde exactement ce qu'il dit : il y a un paquet de pages qui dorment dans des tiroirs. Tant mieux, tant pis ? Qui le sait.
C'est la page 140 du Voyage des enfants Qui en comptent encore beaucoup d'autres oui.

Sophie K. a dit…

Oh mais oui, je reconnais bien là un sentiment déjà ressenti...
Beau texte, Zoë.
"Gross fatigue" presque envolée, du coup.
;-)

Loïs de Murphy a dit…

Et bien ça c'est du teasing ! Vivement demain chez Boudou.

Zoë a dit…

@Sophie K Ca va mieux en le disant,n'est-ce pas O' toi la reine des Ni Ni.
@Vivement demain sur C'était demain ! Tu l'as fait exprès ?

Cactus , ciné-chineur a dit…

I'm so tired , clapped out , voire flabergasted that I can't even write in my bloody french !
Yes Yes !!
see you !!!

mon chien aussi a dit…

Ce que dit Jourde est vrai. Et pour Laclavetine, il a raison aussi. L'édition, on ne te voit pas puis on te voit, mais tout ça c'est toujours sous l'angle qui ne te convient pas. Le tout, c'est d'éviter de se coincer dans ce fameux "angle".

Cactus , ciné-chineur a dit…

Mon chien , j'ai une nigme pour vous chez moi !
_ mes excuses , Zoë si je me sers de vous un tantinet ! ( qui aime bien , blogue bien )_

BT a dit…

J'aime beaucoup ce fragment de livre. Il en dit davantage sur vous. J'aimerai lire les pages qui précèdent et les suivantes. Il faudra qu'on cause un jour des zones et des quartiers saccagés par l'Histoire.
Good Bye Lénine, vous l'avez vu ce film? ;)
Ps: j'ai des amis exquis à Bremen qui m'ont tout raconté au sujet de "leur" Roland. Et dans la foulée, ils m'ont déclaré leur passion pour Roland Barthes.

Zoë a dit…

@Cactus, I'm so astonished!
@MCA, oui dilemne, passer sous les fourches caudines ou se condamner au silence.@Cactus...comme chez toi
@BT, "leur" Roland est un héros mais il n'a pas les mêmes exploits dans son catalogue. sans surprise. C'est drôle quand même ce Roland qui rappelle que nous avons appartenu à un empire commun.