vendredi 25 septembre 2009

Epitaphe pour les morts de la rue


Alors que je débutais ce blog j'avais posté ceci, que j'ai retiré par la suite et je dirai pourquoi

Te rappelles tu, cet homme au regard de rapace, si fier, si beau ?
Ce copain de bohème des années du Marais ?
Ce fou de vie qui se retrouva enfermé pour 3 ans ?
Tape sur Google : R.J.
Tristesse.

N.

J'ai tapé. Je suis arrivée directement sur la liste 2007 des morts de la rue. Il y apparaissait, mort le 22/01/2007, Paris 13. J'ai tapé d'autres noms dont je n'ai plus de nouvelles, puisque les hommes fiers et beaux à vingt ans peuvent mourir seuls, dans la rue, comme lui en ce mois de janvier où j'ai failli moi-même mourir. Ils seront accompagnés pour leur dernier voyage par ces hommes et femmes (Collectif des morts de la rue) déterminés - qu'ils en soient remerciés- à leur manifester une dernière fois leur appartenance à cette espèce qui se distingue de ses compagnons mammifères par le langage et le rituel funéraire. Ce mort là m'obsède. Ainsi nous avons été proches d'hommes et de femmes qui mourront seuls et abandonnés et nous, ne le saurons que parce que cet outil invraisemblable, Google, est capable de repérer dans une liste leur nom que des humains compassionnels auront noté à cette fin, nous alerter. Mais il y a dans cette liste des dates de mort avec comme seule trace de celui là qui est parti, X homme, environ 50 ans, 28 / 01/ 2007 Paris 15. Comment en arrive-t-on à ne même plus avoir de nom ? Pas de papiers, perdus ou volés et non renouvelés, jamais obtenus ? Plus de famille, plus d'amis ? Errance subie ou choisie et dégénérant peu à peu ? Rebelle, peu enclin à la courbure de l'échine, on refuse la bride sur le cou. Mais la ville est la pire des jungles où survivre. Ou bien de chômage en RMI, on ne peut plus s'assurer un couvert. Pour R., il n'y avait aucune fatalité. C'était un homme intelligent, possédant les moyens de se créer une niche de survie. Quelle fatale déréliction l'a conduit à cette mort solitaire ? Nous ne saurons probablement jamais.


Quelques semaines plus tard j'ai remarqué un commentaire qui était resté en souffrance (c'est le cas de le dire). On me demandait de prendre contact d'urgence, un numéro de téléphone et un mail étant joint.
J'appris ainsi que le frère de cet ami avait eu connaissance de la mort de R. par le biais de Gougueule, qu'il avait trouvé mon épitaphe par la même voie et il me demandait de retirer mon texte. R. s'était brouillé avec sa famille, sa mère ne savait rien de la mort de ce fils ainé, elle était cardiaque et risquait de tomber sur l'information par hasard. R. est mort dans son camion, dans un garage qu'il louait, c'est la propriétaire qui l'a découvert. Mort de quoi ? On ne sait. Il n'y a pas d'enquête pour ceux que personne ne réclame. J'ai donc retiré mon texte, assez bouleversée par ma conversation avec cet homme que j'avais croisé une ou deux fois quand je fréquentais R.

Pourquoi je remets en circulation ce billet (en l'anonymisant cette fois) ? Parce que j'ai lu aujourd'hui que depuis le début 2009, au moins 205 SDF sont morts. le 25 novembre, le collectif Les Morts de la rue rendra hommage à ces soldats tombés au front de la misère. La cérémonie aura lieu Place du Palais Royal à Paris.
Je n'ai pu publier "épitaphe à RJ" ce sera donc une épitaphe collective répertoriée comme anonyme Nous avons trop aimé les étoiles, pour avoir peur de la nuit.

Le collectif des morts de la rue

Illus L'homme de demain. Paul Klee 1933

15 commentaires:

Vinosse a dit…

Bon, bin, Preumsse une seconde fois...

JEA a dit…

Non pas une minute de silence
mais au moins une année,
sans lumière

Cactus , ciné-chineur a dit…

Je viens me signer !
merci pour ce billet , Zoë !! ( je n'ai pas trouvé d'épithète pour cet épitaphe ; peut-être parce que je suis non fumeur , ayant choisi de vivre ! )

Anna de Sandre a dit…

J'ai bossé comme travailleuse sociale auprès des SDF il y a des années. Puis j'ai quitté "le milieu du social", écœurée par sa vision des SDF et sa façon de les traiter.
Lis le bouquin de Patrick Declerck, Le sang nouveau est arrivé. Il explique très bien ce foutage de gueule.

claire a dit…

Le tableau de Paul Klee,"l'homme de demain" est un enfant... choix pertinent pour mille raisons.

Cactus , ciné-chineur a dit…

Claire serait donc peintre m'essouffle mon petit doigt , coincé qu'il est entre l'auriculaire et le funiculaire !

Zoë a dit…

@Vivi, on a les records qu'on peut
@JEA Etreindre les étoiles
@Cactus et pit'et bien que c'est mieux
@Anna de Sandre, je connais le bouquin et le milieu des travailleurs sociaux. Tu es dure mais tu as hélas raison
@Claire, oui en feuilletant mon Klee chéri à la recherche d'une inspiration d'illus, j'ai trouvé cette peinture (1933!)Quelle prémonition.
@Cactus funambule va!

Je pars en week end. A dimanche. j'espère avoir de la lecture

JEA a dit…

@ Claire

Vous aviez demandé Cocteau, il vous attend.

Sophie K. a dit…

Merci pour ce post, Zoë.
Après, longue balade sur le ouèbe, l'esprit en friche, avec l'espoir qu'aucun de ceux que j'ai aimés n'aura eu à affronter de nuit sans étoiles.

Biz, beautiful.

Tania a dit…

Que dire? Une minute de silence ne suffit pas.

Vinosse a dit…

Une minute ??? Tout le week-end si ça se trouve...

Cactus , ciné-chineur a dit…

c'est grave ? je me suis remis à fumer , un peu à cause de vous Zoë !
pour l'instant une épitaphe seulement !
Sissi !

mon chien aussi a dit…

Préparez les mouchoirs et les sopalins, vu l' temps qui s'annonce, on va ramasser les cadavres à la pelle, cet hiver, pour la grande surprise de tout l' monde...

Cactus , ciné-chineur a dit…

espérant juste manquer à cet appel : Mon chien est revenu , Dieu n'est plus à louer !

Depluloin a dit…

Pfoufff... Superbe, Zoë! C'est ce billet qu'il faut lire! Je le mettrais bien en lien si vous le voulez bien?

(En réalité, j'avais commencé un texte pour faire suite à mon "vieux" comme métaphore des "soldats" de la rue... mais que les miens mots étaient pauvres eux...)