Petit conte de la vie ordinaire.
J'étais en ma vingtième année et la muse d'un peintre plus agé de dix ans, qui m'apprenait la vie : rire et observer, tout en fréquentant des lieux de frayages abondamment peuplés à cette miraculeuse époque de semblables aussi jeunes et écervelés que je l'étais moi-même. Une charmante, un jour de mai nous invite à nous joindre à une fête, par elle organisée, quelque part dans la campagne riante et fleurie très au-delà des ceintures de la capitale. Une fête à la campagne en mai, ça ne se refuse pas, ne serait-ce que pour renouveler la qualité de l'inspiration. Rendus sur place grâce à je ne sais quelles tractations, nous honorons le buffet, dansons sur la pointe des pieds et finissons par nous ennuyer et décider d'allumer un feu (la nuit est fraîche) et de nous poster sous les étoiles pour deviser et échanger ce qui circule (paroles et autres drogues bénignes).
Un type passablement amochée de biture décide de s'en prendre aux "écroulés" et entreprend de les réveiller en bramant et en aspergeant les assis d'une eau dispersée de sa main en gouttelettes jetées au visage, en passant. Notre amie danoise (oui, la même pour les habitués, de passage en France), profondément choquée par le procédé, d'autant que l'impétrant a mis les pieds dans le plat au sens propre renversant nos réserves de victuailles, redresse les récipients en insultant le crétin en anglais. Mon ami la soutient d'un "Good, very good !". L'imbécile, humilié de la réaction très méprisante d'une femme qu'il ne peut décemment bastonner se retourne vers le mec qui s'est manifesté et lui dit "Tu me prends pour un idiot, tu crois que je ne comprend pas ? Je vais revenir et tu auras intérêt à la fermer". Il s'éloigne. La poignée de paisibles installés le cul dans l'herbe, commente en se marrant et croit l'incident clos.
Point du tout. L'absurde fait son retour, muni d'un seau d'eau puisé au puits, s'approche de mon compagnon et le lui renverse intégralement sur le corps. Mon héros retire sa veste, la tend vers le feu en lorgant l'imbécile au rictus haineux et lui rétorque "Ca va , tu es content ?". Hystérie absolue ! Il se met à hurler dans les aigus que non, qu'il ne devait rien dire, qu'il allait revenir avec un nouveau seau, qu'il le verserait pareillement et que cette fois il exigeait une acceptation absolue, signifiée par un silence de soumission.
La plaisanterie a assez duré. On le ceinture (ses propres comparses), on l'éloigne de force et pour ce qui nous concerne, nous continuons sous les étoiles.
Le bilan se solde de la façon suivante : une bagarre entre tarés imbibés à outrance, une jeune femme désespérée des dégâts commis par les brutes, un groupe de contemplateurs d'étoiles rejoint au fur et à mesure par l'ensemble des invités hormis les acharnés de la castagne, lesquels finissent par prendre la route et débarrasser les lieux mais ratent un mauvais virage et s'emplatent dans un mur, deux morts.
Cet évènement fut initiatique et il me revient en mémoire chaque fois que colère et demesure s'affichent sous mes yeux. J'ai gardé mon admiration à cet homme qui d'un air détaché et le sourire ironique aux lèvres suspendit au dessus du feu sa veste inondée et se refusa de sauter à la gorge de son agresseur au risque d'entacher une soirée d'amitié et de libations.
7 commentaires:
Avec tout ce qu'elles en voient, comment ne pas comprendre le silence de silex des étoiles ?
Ainsi te voici à Sion ( si j'en crois ta conclusion ) ! grande voyageuse ! ( en route pour Cancannes là , moi , à chaque soir )
Cette histoire montre que les lieux les plus paisibles peuvent devenir, au hasard d'une anicroche ou d'un incident, des foyers d'invectives et de malheur.
Le monde en est chargé d'exemples sur le plan politique.
Merci pour ce travelling de mémoire.
Réponse tardive pour cause d'altercation sur le vent des blogs qui précède. Suis épuisée.
merci de vos attentions
Un sot, du sceau de son seau...
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