mardi 19 mai 2009

Apocalypse végétale

la fprêt [web520]

L'énigme du dimanche (qui n'a pas mobilisé les foules!) trouve sa réponse ce jour. Le texte était extrait de Ruines-de-Rome paru en janvier 2002. Son auteur Pierre Senges né en 1968, publie chez Verticales (éditeur réputé à juste raison pour publier une littérature de recherche, des auteurs singuliers).

Un employé du cadastre, qu'une retraite sans flambeaux menace, met sa misanthropie ordinaire au service des plus noires prophéties: du jardinage considéré comme un des beaux-arts de l'Apocalypse. Feignant de cultiver son petit lopin de terre, ce paysan amateur et saboteur authentique couvre la ville de fleurs et d'arbrisseaux décoratifs. Et nul ne devine, derrière l'inoffensif passe-temps, un travail de sape qui dévaste les murs, soulève le goudron et fait retourner l'urbaine civilisation à ses friches premières. Semant sa mauvaise graine, il s'arme de patience et d'herbes folles. Il use du moindre prétexte végétal pour satisfaire ses cruautés drolatiques et laisser libre cours au chiendent de la rêverie, non sans nouer quelque idylle clandestine avec sa voisine de potager. Introduction de l'édition de poche Point Seuil 2004

Senges, je l'avais écouté au cours de Feuilles d'Automne, édition consacrée cette année à Lydie Salvayre qui l'avait invité à présenter son dernier livre. Il était passé à la question par Thierry Guichard du Matricule des anges. Entretien plein d'humour avec ce drôle de typequi avoue une passion d'encyclopédiste et se consacre à un métier de ciseleur de métaphores époustouflantes. Je reproduis la présentation de Guichard dans le MDA,n°092, avril 2008


Ébouriffant et drôle, le nouveau livre de Pierre Senges est à lui seul un festival de trouvailles littéraires.

Le nouveau livre de Pierre Senges est un mangeur de post-it. Chaque fois que vous tombez sur une phrase épatante, une métaphore juste et étonnante, une pensée roulée comme un mannequin dans un défilé de mode, vous annotez le livre ? Impossible ici, c'est un ouvrage déjà annoté que nous sert l'éditeur. Les annotations sont des aphorismes signés du grand maître allemand Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) dont la plupart sont si savoureux que vous voudrez aussi les noter. Alors le post-it s'impose. À raison d'un par page, ça fait vite beaucoup, CQFD.
Pierre Senges a imaginé ici qu'un certain Herman Sax, un siècle après la mort de Lichtenberg découvre que ses huit mille pensées sont en fait les fragments rescapés de la dispersion d'un seul et même roman.
Sa théorie est immédiatement reprise par une académie de tristes ratiocineurs suédois. Les Lichtenbergiens, bientôt, couvriront les membres de cette académie de leurs travaux, hypothèses, recherches. Il s'agit de prendre les fragments un à un et d'essayer de les assembler pour retrouver le corps du roman disparu. La tâche n'est pas aisée. Il convient, également, d'envisager toutes les causes possibles à l'éparpillement d'une oeuvre magistrale et là, les propositions ont de quoi provoquer le fou rire. Bien qu'une table des matières guide le lecteur, il reste difficile de résumer un tel livre. Pierre Senges s'en donne à coeur joie pour ressusciter les débats de l'époque et des époques suivantes, la naissance de sciences charlatanesques comme la physiognomonie inaugurée par un Lavater auquel son Lichtenberg adresse de savoureuses et rageuses missives. Il développe mille théories dont la plupart sont très romanesques, aborde une étude prolongée de l'hypocondrie, explore les milieux culturels d'Occident, pointe les éléments d'un art poétique fort séduisant. Surtout, il nous offre des propositions inédites, nous surprend prodigieusement, en une phrase ou en mille dans une symphonie de la langue : " imaginons un livre trouvé par hasard au sommet d'un arbre et lu sur la branche, ouvert d'une main, l'autre s'accrochant à une pomme ". Renversant, non ?

Fragments de Lichtenberg Verticales 633 p., 23,90 euros


Illustration : La Forêt Max Ernst

17 commentaires:

JC a dit…

J'ai toujours adoré les petits bouts pensés comme ceux de Bierce, Scutenaire, Weil, et tant d'autres dont ceux du matheux Lichtenberg.
Non seulement, il y a l'effet de curiosité que Simon Leys a bien résumé dans le titre de son livre "Les Idées des autres" mais aussi, on y découvre souvent des merveilles.
S. Weil : "Un ancien exemple de décision démocratique : libérer Barabas et crucifier Jésus"
G. Lichtenberg : "Il est vrai que nous ne brûlons plus les sorcières, mais nous brûlons toute lettre contenant une dure vérité."
Une dernière pour la route :
L.Scutenaire : "On regarde moins ce que l'on voit que ce que l'on espère".

Conclusion, l'idée de ce type, Zoë, me parait géniale : on va ouvrir une ligne de crédit et acheter l'ouvrage dont vous parlez.

Sophie K. a dit…

Voilà qui donne envie. Merci de cette découverte, Zoë (elle me plaît autant que le "jardinet" Ni Ni) :-)

D. Hasselmann a dit…

J'ai voulu m'acheter ce livre quand il est sorti, et puis j'ai oublié le nom de l'auteur...

Etant moi-même un admirateur des aphorismes de Lichtenberg (collection "Libertés" de chez Pauvert, N°36, 1966, petit livre marron papier kraft), il me manque, merci de le réanimer !

Je n'aurais donc pas pu trouver l'énigme mais j'ai ainsi, grâce à vous, récupéré le titre de l'ouvrage désiré.

"Une énigme, même si elle laisse dans l'irrésolution, est toujours utile quelque part." (D.H., "Pensées maximales", tome 4, page 893, éditions du Contre-vent.)

D. Hasselmann a dit…

J'ai voulu m'acheter ce livre quand il est sorti, et puis j'ai oublié le nom de l'auteur...

Etant moi-même un admirateur des aphorismes de Lichtenberg (collection "Libertés" de chez Pauvert, N°36, 1966, petit livre marron papier kraft), il me manque, merci de le réanimer !

Je n'aurais donc pas pu trouver l'énigme mais j'ai ainsi, grâce à vous, récupéré le titre de l'ouvrage désiré.

"Une énigme, même si elle laisse dans l'irrésolution, est toujours utile quelque part." (D.H., "Pensées maximales", tome 4, page 893, éditions du Contre-vent.)

Cactus , ciné-chineur a dit…

"trop de houle moule les foules" , disait mon pépé qui fit 14/18 puis 39/45 !
( je n'avais pas trouvé )

Anonyme a dit…

Une énigme ?
Mince, j'ai raté quelque chose.
Il est vrai que je perds tellement de temps sur le net...
Bon, qu'est-ce que je fais... ville ou campagne ? Mer ou océan ?
Ah la la...
Bises (si je puis me permettre, bien sûr...)

Dexter a dit…

bonjour,
Lichtenberg ? je l'adore, et j'adore les écrivains qui ont suivi sa trace.
on croit qu'il est drôle mais pas du tout, sa pensée est souvent profonde, elle pose de graves questions existentielles, sur l'utilité de la connaissance.
Pondre ce genre d'idées à l'époque des Lumières, quand tous les philosophes associaient le savoir à l'émancipation, c'était d'une prémonition et d'une clairvoyance étonnantes.

Parce qu'aujourd'hui c'est bien d'un excès de savoir dont nous souffrons, il avait vu juste : au delà d'un certain seuil les connaissances (sous la forme d'informations) font perdre de vue le sens des choses, comme une vague qui nous ensevelit.
Tous nos problèmes viennent de là, il faudrait sacrifier un part de notre intelligence pour retrouver la fraicheur d'esprit, la naiveté, l'innocence.

"Nous commençons tôt à lire et souvent nous lisons trop, en sorte que nous recevons et retenons une énorme quantité d'informations dont nous n'avons pas l'usage, et notre mémoire s'habitue à devenir un caravansérail de goûts et de sentiments ; dans pareille situation, nous avons besoin d'une profonde philosophie pour rendre à nos sentiments leur innocence originelle, pour nous frayer un chemin hors de cet amoncellement de choses qui nous sont étrangères, pour recommencer à sentir par nous-même et à parler pour nous mêmes, et je dirais presque : à recouvrer notre propre existence".

je prédis à Lichtenberg un grand avenir, nos enfants risquent d'en avoir besoin.
Pour l'éditeur : mon préféré est José Corti.

Dexter a dit…

tiens je vais copier cette phrase chez Harmonia, et ailleurs, en fait je vais la recopier de partout, je l'adore.

Vinosse a dit…

Ah! Si vous recopiez ça chez les agrégés(chez assou et ailleurs), vous allez vous faire désintégrer...

Moi je suis bien d'accord avec vous...
D'ailleurs ces innommables en sont le parfait exemple: un étalage de savoir pour noyer l'autre sous leur dégoulis de confiotte pas cuite...

On attend autre chose de gens cultivés.

JEA a dit…

Dimanche ?
Dans les marais. Sans gens. Sans cage.

Zoë a dit…

L'énigme avait refroidi, en revanche l'ouvrage de Senges sur Lichtenberg fait florès à juste raison. Colportez les fines saillies de nos maîtres en humour profond, nous en manquons cruellement dans la vie ordinaire où toute allusion quelconque à un jeu de mots, d'esprit est retourné à l'auteur(e) comme atteinte à la dignité de l'égomania de chaque corpuscule existant.
@ JC merci pour le choix de
citations, j'espère que vous ne serez pas déçu de votre investissement
@Sophie K, votre aimable assemblée aurait pu accueillir Lichtenberg.
@DH, votre doublon restera en l'état, il le vaut bien. Je ne sais lequel sacrifier et si je le faisais, apparaîtrait une censure alors que je ne censure pas sauf excès de connerie pure. On accepte ici les bégaiements des machines et les fautes de petite frappe (expression cactusienne que j'aime beaucoup)
@Cactus, tu as la tête ailleurs hein, in the stars.
@Dom.A L'observation du monde peut se passer de son commentaire
@Dexter Colportez,comme le héros de "Ruines de Rome sème de toutes les manières et selon des techniques adaptées à chaque circonstance.
@Vinosse, c'est en résonance avec notre échange sur la dénomination des plantes que j'ai eu l'idée de reprendre ce livre de Senges. Les gens cultivés évitent de citer les ingrédients de leurs alchimies, par souci de légèreté
@JEA et c'était bien n'est-ce pas

Loïs de Murphy a dit…

Moi aussi j'en ai entendu parler chez LMDA, il faut que j'essaye de le lire à l'occasion.

Vinosse a dit…

Ruine de Rome ?

Linaria cymbalaria ou Cymbalaria muralis...

Google! Vite!

Dexter a dit…

Zoë,
si vous voyez Lavande dites que le lundi 18 mai nous avons eu (là où vous savez) un aphorimse tous les 3 : vous, Lavande et moi !
c'est marrant non ?
ce qui est moins marrant c'est que je lui ai envoyé une quantité astronomique d'aphorismes et pour le moment il ne m'en a sélectionné que 2...

Dexter a dit…

Zoë autre chose : je viens de réouvrir un blog, je me suis permis de vous référencer,
dites le moi si ça vous pose un problème j'enlèverai votre adresse.
je ne dis pas ça pour que vous fassiez de même parce que pour le moment je n'ai écrit qu'un truc, et franchement, compte tenu de ma dernière expérience je ne suis pas sûr du tout de l'avenir de ce blog.
bàv.

Zoë a dit…

@Dexter, je suis perplexe. je suis allée sur votre blog, j'ai posté un commentaire inaugural, il semblait ne pas vouloir s'afficher et quand j'ai voulu y revenir le blog ne s'affichait plus. Bug chez moi ou chez vous,

Dexter a dit…

Zoë, effectivement, votre message n'y est pas et je n'arrive plus à aller sur overblog, il me dit adresse introuvable, j'espère que c'est une interruption momentanée, ça commence mal.