mercredi 3 décembre 2008

Adelphité de Marie Didier

Je fréquente depuis trois mois une petite troupe de femmes qui se réunissent le premier mardi du mois pour s'entretenir exclusivement d'Art au féminin et particulièrement de littérature. Le fondement de leur agrégation est "la transmission". Après un petit régal offert par l'hôtesse de la soirée, nous nous regroupons autour du foyer et la cérémonie commence. Les deux précédentes étaient consacrées l'une à la figure de Sarah dans les textes bibliques, l'autre à la maternité dans la littérature.
Hier soir nous recevions Marie Didier (dernier opus, Morte saison sur la ficelle. Gallimard). Marie est une femme médecin qui n'exerce plus. Son premier ouvrage (Contre visite Gallimard) elle l'a écrit pour, dit-elle, "démâter" l'image triomphale du médecin qui ne peut apparaître aux yeux de ses patients que rempli de certitudes et d'énergie positive. L'écriture était le lieu de mise en abîme de cette imposture mais également la possibilité d'un recul sur une pratique si profondément engageante et le temps donné à sauver par les mots les visages et les bribes de vie et de mort qui iraient s'enfouir sinon dans l'oubli absolu.
Nous avons évoqué son travail sur Jean Baptiste Pussin (Dans la nuit de Bicêtre, Gallimard), précurseur méconnu de la psychiatrie actuelle, le premier à traiter les insensés avec empathie et dont le combat acharné a contribué à leur redonner la dignité d'êtres humains. Oublié par l'histoire officielle qui n'a retenu que le médecin Pinel (lui-même inspiré par les méthodes d'observation de Pussin), cet homme d'une infinie délicatesse sous une apparence frustre, pourvu d'une vitalité extraordinaire a permis aux marginaux que la société traitait comme des animaux d'accéder à la reconnaissance de leur commune appartenance à l'humanité.
Elle dit :" A un certain stade, j'étais si envahie par le monceau de thèses et de documents d'archives que j'ai relu "L'amant " de Marguerite Duras pour retrouver la simplicité d'écriture.
A la lecture, pour ce qui me concerne je n'ai perçu que la précision de l'écriture et la tendresse de cette adresse en direct aux mânes d'un homme, dont elle se sent proche ("la tuberculose, le rôle de soignant ) et cependant à des années lumière, puisque désormais on ne traite plus les insensés autrement que comme malades, encore que, la régression là aussi guette.
Où se trouve le lecteur quand on écrit ? lui avons-nous demandé. On n'écrit que mu par le désir du verbe, on est son propre lecteur, le lecteur est une abstraction et il est impossible, le voudrait-on, d'écrire avec l'intention de séduire. "Si je m'ennuie moi-même je peux jeter à la poubelle, c'est le seul indice utile".
Nous avons ensuite évoqué d'autres écrivains. L'une de nous avait préparé la photocopie d'une série de réponses à la question pourquoi écrire tirées de " Trouver la source" de Charles Juliet.
Je retiens la suivante, ": Ecrire pour soustraire des instants de vie à l'érosion du temps" si proche de ce que déclare Annie Ernaux dans Les années.
Cet espace ne permet pas de restituer toute la palette de nos échanges et je ne saurais commettre certaines indiscrétions comme de révéler ce que Marie nous a confié à propos d'une étrange et dramatique occurrence liée de façon intime à son dernier ouvrage"Morte saison sur la ficelle". Il faut voir ce beau visage plein et lumineux, se creuser et se ternir un instant à l'évocation de cet épisode douloureux.
Oui, Marie, chaleureuse, diserte, curieuse, attentive, nous a offert un beau moment adelphique. ("parce que l’on pourrait remplacer fraternité par un nouveau mot, adelphité, pour mieux exprimer l’idée d’une solidarité harmonieuse entre tous les humains, femmes et hommes" http://encorefeministes.free.fr/manifeste/manifeste.php3. )

Aucun commentaire: