lundi 22 février 2016

Quelques heures en bonne compagnie

La première des douze nouvelles du recueil que nous a  concocté Frédérique Martin donne le ton. Nous entrons dans un monde où on peut vendre sa mère (Le désespoir des roses), venir interviewer un candidat au suicide sans pour autant le dissuader (Dites nous tout), se marier juste après avoir surpris son futur avec sa meilleure amie dans une position sans équivoque (Les alliances), choisir son futur enfant sur catalogue (Le fruit de nos entrailles), devenir star d'un jour dans un hyper sans avoir rien demandé, et être jetée en pâture aux envieux (Le pompon du Mickey) ou encore rendre visite à l'assassin de sa femme, et lui infliger non pas le spectacle de sa douleur comme le font la plupart des victimes mais la disséquer pour l’inoculer en retour. Frédérique Martin nous entraîne dans un univers impitoyable avec ardeur, humour et à revers des situations le plus souvent épouvantables avec toute la délicatesse d'une dentellière des émotions humaines. "Du pur malt et bien tassé" comme l'annonce la quatrième de couverture. J'envisage de te vendre (j'y pense de plus en plus). Belfond
Couverture J'envisage de te vendre
Tout autre chose, mais également pétri d'humour, La joyeuse complainte de l'idiot. Michel Layaz. Éditions Zoé, 2004, réédition chez Points-Seuil, 2011. Points. "La demeure", comme son nom l'indique accueille des demeurés, c'est à dire des sujets qui ne sont pas parvenus à se dépouiller suffisamment de leur singularité pour se faire admettre dans le monde dit "normal". Ce lieu nous est décrit par un des résidents dans une langue extrêmement châtié, précise, car nous avons affaire à un amoureux des dictionnaires et à un fin observateur des personnages qui l'entourent. Les adultes, gardiens de cet univers, ont également trouvé refuge dans ces lieux pour cultiver en paix les manies les plus drolatiques qui les habitent. Madame Viviane veille,  reine de cette ruche où coule le miel de la bienveillance et où on prend soin de nourrir les pensionnaires des mets les plus délicieux. De sorte que leur départ (obligatoire après 21 ans) est un crève-cœur. Michel Layaz, par l'intermédiaire de ses "joyeux idiots" nous donne en pâture quelques unes des absurdités qui font le bonheur de nos normalités. Un délice! Je découvre cet auteur, je vais le visiter plus longuement.





Jane Campion  par Jane Campion Michel Ciment Cahiers du Cinéma,


 Une plongée dans la vie et l'oeuvre de cette cinéaste, une des rares femmes a avoir décroché une palme à Cannes pour la leçon de piano (1993). L'intérêt de l'ouvrage tient, outre à l'excellente iconographie, plus de 280 illustrations tirées des films de Jane Campion, aux entretiens qu'elle a accordés à Michel Ciment au fur et à mesure de la sortie de ses films. On découvre à la fois le processus de création, l'intrication entre sa vie et ses films qui sont soit directement inspirés de sa propre vie, soit des adaptations de livres qui l'ont accompagnés. C'est le cas de "Un ange à ma table" inspiré de la trilogie autobiographique de Janet Frame (To the Is-Land, An angel at my table,The Envoy From Mirror City). Je ne passerai pas en revue l'oeuvre de Jane Campion, le livre le fait très bien (empruntez le à la bibliothèque si vous ne pouvez vous l'offrir, c'est ce que j'ai fait), je vais juste vous livrer un passage de l'entretien du 23 avril 1993 à propos de la leçon de piano.
-Dans vos films la mort est liée à la nature , Sweetie meurt en tombant de l'arbre. Dans un ange à ma table, deux sœurs meurent en se noyant. Ici, Ada a presque péri dans la mer.
"Je n'y ai pas pensé, mais je vais tenter de trouver une réponse! Il se peut que ce soit toujours la même histoire : on croit  pouvoir contrôler la nature, et elle est plus forte que vous. Pour survivre, il faut faire une trêve avec elle, se montrer humble et accepter la part de nature qui est en vous. La volonté humaine peut devenir disproportionnée dans son rapport au monde. Enfant on croit être le maître du monde, et on apprend qu'on ne l'est pas, sinon on se prépare des temps difficiles".

Une petite citation pour conclure: Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime, il est complice ! (George Orwell)

Je pars quelques jours au bord de l'océan, m'oxygéner les neurones.

lundi 8 février 2016

De la civilisation

Comme je ne suis pas beaucoup venue ces derniers temps sur ce blog, si ce n'est pour éradiquer les commentaires pourris du billet précédent, je reviens avec quelques réflexions en vrac, inspirées par mes dernières lectures ou pérégrinations

"Contrairement à l’idée selon laquelle le mode de vie de la culture dominante est « naturel », les êtres humains ont vécu en petits groupes écologiques, participatifs et équitables, pendant plus de 99% de l’histoire de l’humanité."
Où l'on apprend si on ne le savait déjà les méthodes "douces" de Christophe Colomb (autoproclamé « vice-roi et gouverneur » des Caraïbes et des Amériques")  qui ont permis de faire passer la population des "sauvages " indigènes en trois ans de 8 millions à 3 millions. En 1514 il ne restait plus que 22 000 indigènes, et après 1542 ils étaient considérés comme éteints. Bel exploit!
Un article éclairant sur les soi-disant  bienfaits de notre si belle civilisation qui s'est exportée partout dans le monde au détriment des êtres humains qui n'envisageaient pas la conquête mais une vie paisible et dénuée de violence Retour sur : la civilisation Par Aric Mac Bay.
 
J'étais à Bruxelles et le contraste était particulièrement violent  entre le petit hôtel chaleureux où j'ai dormi, situé sur Place du jeu de balle, où se tient tous les jours le marché aux puces, et les folies mégalomanes du quartier du Parlement européen. Ce sont des gouffres à énergie qu'il faut chauffer ou refroidir à grands frais. Ce n'est nullement agréable, tous ces lieux sont calqués sur le modèle américain, tout est trop! On se perd dans les couloirs. Seul bon point à mes yeux une buvette où on trouve du café à 50 centimes et des sandwichs à deux euros. On aménage les prix pour ces malheureux députés. Enfin bref! Très civilisé!

A Paris, j'ai fait un petit saut dans une galerie de la rue Quincampoix (je n'étais pas repassée par cette rue que je connaissais plutôt comme haut lieu des "filles de joie"). Thaddée ne peut être qualifiée de fille de joie sauf si on donne à cette expression sa valeur littérale. L'exposition de ses collages "Les demeures de l'esprit " était délicieuse, son travail est d'une délicatesse inouïe. Quant à son univers, disons que cette jeune femme est un peu perchée et navigue entre des espaces temps improbables. Elle découpe de vieilles encyclopédies et réalise ses collages en associant ses captures selon une logique à elle seule connue mais qui procède d' un étirement onirique  entre passé et futur. Un trait d'union entre ces temps où le progrès s'enregistrait dans les encyclopédies pour les temps futurs et  notre époque de chamboulements incessants.



Thaddée a un très joli rire. J'ai eu le plaisir de bavarder quelques minutes avec elle. Nous avons évoqué ce bon Depluloin * dont nous devrions retrouver prochainement une compilation des billevesées sur un site. Je ne manquerais pas de signaler le déménagement si Thaddée nous alerte.   

Lu Pas Liev de Philippe Annocque ou comment entrer sous le crâne d'un simple d'esprit. Plus de repères, ni d'espace, ni de temps, pas de logique dans le déroulement, seulement le questionnement récurrent de Liev sur sa propre réalité. Liev ou plutôt Pas Liev place en abime toute certitude et nous sommes nous-mêmes sans cesse sur l'expectative. De quoi cet homme nous parle-t-il sinon des ruminations qui habitent tout à chacun, des spéculations que nous osons à partir d'éléments ténus de la réalité, des rêves absurdes qui nous visitent y compris les yeux ouverts.  Ce long monologue nous conduit vers une fin,  un peu comme des "Souris et des hommes", sauf que nous sommes avec George du début à la fin et qu'il n'y a pas de Lennie pour le protéger.

Pas Liev, Quidam éditeur, octobre 2015

Le spectacle  Ici les aubes sont plus douces  a eu lieu le dernier jour à Toulouse devant une salle largement occupée par des amis. . Nous sommes sur le front russe avec des femmes soldats, des femmes à peine sorties de l'enfance et plongées à corps perdus dans la guerre. La guerre fait paraît-il partie de la civilisationPerformance très puissante. A la fin, silence absolu! Un temps nécessaire pour émerger de l'énergie déployée par les acteurs dans ce combat perdu de la vie contre la guerre. Puis applaudissements chaleureux.

Le lendemain grande tablée avec ceux qui étaient venus de loin et avaient dormi sous notre toit. Nous avons pris notre repas  sur la terrasse. Décidément les hivers sont si doux. Trop ?

 
*Une de ses amies a publié des brouillons (était_ce une bonne idée?) mais le site devrait déménager. En attendant vous pouvez visiter son humour unique