A la question « faut-il s'armer pour abattre le tyran », Etienne de La Boétie, démontrant à quel point il détenait le secret de sauvegarder, par-delà la glaciation des siècles, le ferment d'une vie à renaître, fournit à nos contemporains une réponse à laquelle ils ne pourront souscrire sans la mettre en œuvre aussitôt: « Nullement. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l'ébranliez. Mais seulement, ne le soutenez plus! Et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre » Raoul Vaneigem, pour l'abolition de la société marchande pour une société vivante. Manuels Payot, 2002
Hyam Yared, Dany Laferrière, Marie-Christine Navarro, Balma 2010.
C'est en substance ce que nous a donné à entendre Denis Laferrière, Président d’Honneur des rencontres du livre et du vin de Balma 8 et 9 mai, au cours de la table ronde « La langue pour territoire » où il était aux côtés de Denise Desautels (Le coeur et autres mélancolies, Apogée) , Nimrod Bena Djangrand ('L'Or des rivières, Actes Sud) et Hyam Yared («Sous la tonnelle, Sabine Wespieser) . La table ronde était animée par Marie-Christine Navarro (Une femme déplacée, Fayard) .
"Qu’y a-t-il de commun entre un écrivain originaire d’Haïti, un autre du Québec, un autre encore du Liban, un autre du Tchad, sinon la langue, et singulièrement la langue française écrite ? A l’heure où un certain débat sur une prétendue « identité nationale » bat son plein, il est bon de rappeler ce que les écrivains ont à nous dire sur leur territoire, celui de l’imaginaire, par définition sans frontières, et incarné par la langue, ce patrimoine/matrimoine humain mondial."
«L’énigme du retour» est le grand roman de la maturité de Dany Laferrière. On y retrouve son personnage de l’écrivain qui ne fait apparemment rien que prendre des bains dans son appartement à Montréal. Un matin, on lui téléphone : son père vient de mourir. Son père qui, dans un parallèle saisissant, avait été exilé d’Haïti par le dictateur Papa Doc, comme le narrateur, des années plus tard, l’avait été par son fils, le non moins dictatorial Bébé Doc.
C’est l’occasion pour le narrateur d’un voyage initiatique à rebours. Partant d’abord vers le Nord, comme s’il voulait paradoxalement fuir son passé, il gagne ensuite Haïti pour les funérailles de son père. Accompagné d’un neveu – qui porte le même nom que lui –, il parcourt son île natale dans un périple doux et grave, rêveur et plein de charme, qui le mène sur les traces de son passé, de ses origines. Mais revient-on jamais chez soi ? Un roman d’une facture extrêmement originale : il est en vers libres, d’une lecture très fluide, rythmée et toute en séduction."
Ces extraits sont tirés du programme, version électronique du Salon du livre et du vin de Balma, manifestation sympathique que je fréquente chaque année. Une occasion d'y rencontrer des écrivains dont certains sont également blogueurs (je n'ai pas dit blagueurs). Je tairais ma rencontre de cette année, délicieuse, ce sera mon seul commentaire. A noter que le Salon comporte un "arbre à palabres", sous lequel une lectrice tente bravement de donner à entendre des textes dans un brouhaha de haute densité.
Donc, que nous a dit Dany Laferrière avec cet humour inimitable qui se moque avant tout de lui-même ? De mémoire, car je n'ai pas pris de notes : quand il est arrivé au Québec, il s'est demandé s'il n'allait pas préférer retourner affronter le dictateur d'Haïti plutôt que le général Hiver particulièrement féroce à Montréal. Ce sont ceux qui restent qui souffrent le plus de l'exil. Celui qui part et en l'occurence le jeune homme qu'il était, découvre de nouvelles façons d'exister dans un pays libre,(mention spéciale aux charmes des Québécoises), tandis que ceux qui sont restés (sa mère en l'occurence) vivent le quotidien médiocre des temps de glaciation démocratique, amputé de la présence de ceux qui sont partis. Il n' a jamais voulu parler d'exil pour lui-même, mais de voyage, affirmant ainsi un choix délibéré et non la contrainte liée au despote.
Cet homme professe la culture du bonheur. Nimrod surenchérit en s'étonnant que la littérature soit si souvent sur le mode de la déploration quand il faudrait s'extasier de la beauté du monde.
Denise Desautels, Nimrod Bena Djangrand DanyLaferrière, en riant, a prétendu que la meilleure façon de résister au dictateur est de l'ignorer. Le dictateur veut, exige, que les pensées et les actes de ceux qu'il prétend gouverner soient totalement conditionnés par la révérence à sa référence. Qu'on le loue ou qu'on le haïsse, l'important est qu'il se doit d'occuper notre esprit. Or, il est possible de le réduire à néant en l'ignorant, purement et simplement.
Refuser de servir. Laferrière, digne émule de la Boétie.
Photos ZL. Leur qualité n'est pas excellente mais le lieu était mal éclairé et il était difficile de s'approcher de l'estrade.