vendredi 29 mai 2009
Vos gueules, les mouettes !
Pour certains le langage est le lieu du naufrage, pour d'autres il est une bouée.
Le bavardage, le murmure, le cri, l'homélie, la harangue, l'oraison.
La métaphore, l'antinomie, l'ambiguïté, l'oxymore, l'antiphrase.
La philosophie, les sciences, les concepts, le raisonnement, le paradoxe, le sacré.
Le politique, le social, le survivre, le faire mieux.
La musique, l'arabesque, la calligraphie, le jeu de facettes, l'imbrication des sens.
Être privé de terre n'est rien, être exclu du langage est la pire des infortunes.
Je n' ai jamais cessé d'être taraudée par tous les attentats commis en permanence qui privent les êtres humains de l'accès au langage et j'ai vécu obsédée par ces champs de bataille dont l'issue est de la faire boucler au camp adverse, de fermer les vannes de logorrhées jugées ineptes, profanes, voire hérétiques.
Au fond , le rêve de toute puissance c'est d'abasourdir au point de rendre muet.
Photo Traces d'humeurs humaines 28 mai 2009 . ZL
mercredi 27 mai 2009
Une nouvelle rhétorique : le storytelling
J'apprends à l'instant que Julien Coupat, entendu ce jour par le juge, devrait être relâché. Faut-il attribuer le dessillement d'une justice jusque là plutôt aveugle (pour ne pas dire bouchée) à l'influence de la publication dans le monde du 25 mai d'un entretien où il met particulièrement bien en lumière l'invention de l'ennemi, utilisée par tous les stratèges de la répression fomentant leurs mauvais coups en inventant à l'usage de l'opinion publique la justification des "mesures exceptionnelles " appelées à le devenir de moins en moins et à être d'autant mieux acceptées que la figure de l'ennemi rencontre les peurs enfouies.
Avec cette fable des "anarcho-autonomes", on a dessiné le profil de la menace auquel la ministre de l'intérieur s'est docilement employée, d'arrestations ciblées en rafles médiatiques, à donner un peu de chair et quelques visages. Quand on ne parvient plus à contenir ce qui déborde, on peut encore lui assigner une case et l'y incarcérer. Or celle de "casseur" où se croisent désormais pêle-mêle les ouvriers de Clairoix, les gamins de cités, les étudiants bloqueurs et les manifestants des contre-sommets, certes toujours efficace dans la gestion courante de la pacification sociale, permet de criminaliser des actes, non des existences. Et il est bien dans l'intention du nouveau pouvoir de s'attaquer à l'ennemi, en tant que tel, sans attendre qu'il s'exprime. Telle est la vocation des nouvelles catégories de la répression.
En même temps que la libération de Coupat, nous apprenons que les anarco-autonomes n'existent pas. Ouf, on respire !
Or le lien que je vous propose sur le site du monde conduit à un texte amputé. Comme je ne peux en restituer l'entièreté, je vous livre ce qui suit que j'ai pu recueillir à partir de la totalité de l'interview, parue dans la version papier semble-t-il et transmise ce matin par un ami.
La servitude est l'intolérable qui peut être infiniment tolérée. Parce que c'est une affaire de sensibilité et que cette sensibilité-là est immédiatement politique (non en ce qu'elle se demande "pour qui vais-je voter ?", mais "mon existence est-elle compatible avec cela ?"), c'est pour le pouvoir une question d'anesthésie à quoi il répond par l'administration de doses sans cesse plus massives de divertissement, de peur et de bêtise. Et là où l'anesthésie n'opère plus, cet ordre qui a réuni contre lui toutes les raisons de se révolter tente de nous en dissuader par une petite terreur ajustée.
Nous ne sommes, mes camarades et moi, qu'une variable de cet ajustement-là. On nous suspecte comme tant d'autres, comme tant de "jeunes", comme tant de "bandes", de nous désolidariser d'un monde qui s'effondre. Sur ce seul point, on ne ment pas. Heureusement, le ramassis d'escrocs, d'imposteurs, d'industriels, de financiers et de filles, toute cette cour de Mazarin sous neuroleptiques, de Louis Napoléon en version Disney, de Fouché du dimanche qui pour l'heure tient le pays, manque du plus élémentaire sens dialectique. Chaque pas qu'ils font vers le contrôle de tout les rapproche de leur perte. Chaque nouvelle "victoire" dont ils se flattent répand un peu plus vastement le désir de les voir à leur tour vaincus. Chaque manœuvre par quoi ils se figurent conforter leur pouvoir achève de le rendre haïssable. En d'autres termes : la situation est excellente. Ce n'est pas le moment de perdre courage.
Ceci est la conclusion, avouez que ce serait dommage de s'en priver, ce n'est pas le moment de perdre courage, dit-il et j'en suis bien d'accord.
Tout cela participe d'un nouveau sport rhétorique le storytelling ou l'art de raconter des craques pour faire avaler les pires nuisances à la plèbe et la manipuler dans le sens du poil, faire passer des mesures impopulaires (l'exemple le plus célèbre étant l'existence d'armes de destruction massive en Irak pour justifier ce que l'on sait). J'écoutais donc aujourd'hui Christian Salmon (Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits - éd. La Découverte - 236p., 18€) illustrer son propos en citant la formule moultes fois réitérée de Notre très haut justifiant les troupes envoyées en Afganistan comme suit "c'est un pays où on coupe la main d'une femme parce qu'elle met du vernis à ongles", ce qui est de pure invention (même si le sort des femmes afghanes n'est certes guère enviable).
Dans le style de mensonges éhontés suscités et encouragés par les pouvoirs, la minoration ou la déformation des mobilisations populaires. Le silence qui parle publie un texte intitulé Des sorcières à Seattle: comment nous avons bloqué l'OMC /Anomyme du XXIème siècle. La "sorcière" qui s'y exprime décrit dans le détail les formes d'organisation qui ont permis de résister par la non violence à l'assaut des brigades armées, diligentées pour juguler l'extraordinaire mobilisation contre le processus inaugural de l'OMC. Evènement considérable qui scelle l'avènement de la société civile internationale. Le caractère non violent de cette première avait été très préparé (formations à la non violence). Lorsqu’ils avaient affaire au gaz lacrymogène, aux jets de poivre, aux balles de caoutchouc et aux chevaux, chaque groupe pouvait évaluer sa propre capacité à résister à la brutalité. En conséquence, les fronts du blocus ont tenu face à une incroyable violence policière.
Et pourtant les médias ont placé la violence dans le camp des manifestants.
Comment accorder le moindre crédit aux discours des beaux parleurs, lorsqu'on sait à quel point ils ne sont qu'une collection de chimères et de billevesées.
dimanche 24 mai 2009
Vent des blogs 13. Ni héros, ni martyr.
J'ai eu un week-end partagé entre le soutien à une association revendiquant la mise en œuvre de l'Utopie (tout un programme... flou), et l'éradication des malheureuses indésirables qui ont la mauvaise idée de coloniser quelques rosiers ou autres sujets ayant quartier libre eux. Donc orties, viornes et autres pestes dont une horreur de couvre sol à fleur jaune dont j'ignore le nom mais qui supplante si on n'y prend garde absolument tout ! Sans parler des luzernes. Bref, vous vous en foutez, je le comprend, mais ça explique mon extrème flemme ce soir pour me pencher sur les merveilles de la blogosphère.
Si vous tenez absolument aux découvertes y'en a un qui ne fait que ça, son site est une longue suite de sites, on peut y piocher si on a faim. Il commente de temps à autre, vous l'avez croisé ici ou là, en une étrange bouillie d'annonces qui renvoient à son répertoire. En cherchant à retrouver son site je suis tombé sur celui de Totem, qui reprenait dans un billet dissertant sur la blogosphère le titre du site "bloguer or not bloguer".(L'article date de 2007). Pas trop actif mais semble reprendre vie (18 mai ). Encouragements.
On déplore la disparition de Kamizole, du moins le Lait d'Beu affiche "n'est plus actif". C'était un incident technique, il semble se prolonger. Qu'elle se signale au moins.
Idem notre Cactus, parti visiter les vedettes à Cannes et soudain arrêt de l'image et du son. Le blog est là en revanche mais inanimé. Cactus, on s'inquiète. (Au passage, la palme à Haneke, mouais).
Découverte au travers des Lettres libres, Sophie K, qui partage un site avec une belle palette de talents. Strictement confidentiel ne l'est pas plus que d'autres et pas moins. On y présente l'ordre de chevalerie des Ni Ni (référence obligatoire). Voici la façon dont on s'adresse au manant :
Honorables Correspondants,
Admirables Canailles,
Gens de chair et de plumes,
Vieux potes de la meilleure soupe,
Autre découverte "le silence qui parle" annonce la tenue du Festival social de la culture antifasciste Bologne /29-90-31 mai & 1er-2 juin 2009. En réponse à mon commentaire, j'ai eu droit à ce lien sur un extrait de Michel Foucault dont je garde la phrase qui suit :
* N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire."
Dans le genre abominable on a la junte militaire birmane. Pour ceux qui l'auraient zappé, j'en parlais mercredi, Loïs de Murphy aujourd'hui, Aung San Suu Kyi est en danger, plus qu'elle ne l'a jamais été. Jane Birkin a entrepris une campagne pour provoquer la mise sous séquestre, au profit de la population birmane, des sommes faramineuses versées par Total à la Junte. S'il veut faire l'intéressant Sarko, voilà un bon chantier, Total c'est une entreprise française non?
Pour finir, un appel d'Alex Türk dont Claude-Marie Vadrot se fait l'écho dans son blog (Politis)
« Plus aucun secteur d’activité, plus aucune parcelle de notre vie individuelle et collective, n’échappe désormais au développement et à la pression des technologies nouvelles de l’information. Dès lors, plus aucun aspect de la vie en société n’échappe à la réflexion et à l’action de notre commission. C’est dire combien je mesure le poids de nos responsabilités, mais aussi l’intensité des attentes de nos concitoyens et l’exigence de la demande des pouvoirs publics.
Ma foi, il semblerait que cet homme, président de la CNIL, très conscient des enjeux du développement de la surveillance et des intrusions dans la vie de chacun d'entre nous permises par la technologie, cet homme donc, dénonce l'incurie des moyens pour assurer la mission à lui confiée. Dans ces conditions on osera avancer qu'elle va finir par être confisquée.
Camarades italiens, je vous emprunte les termes de Pasolini que vous citez en exergue de la présentation du colloque antifasciste "“L’Italie pourrit dans un bien-être qui n’est qu’égoïsme, stupidité, inculture, ragots, moralisme, contrainte, conformisme : contribuer de quelque façon que ce soit à cette pourriture est, maintenant, le fascisme.” Pier Paolo Pasolini / Vie Nuove n°36 / 1962.
Quarante ans plus tard n'est-ce pas cela qui vient et non l'insurrection ?
Photo Cadaques. ZL
vendredi 22 mai 2009
Cartes postales rétroactives (7) Sydney.
Un de mes amis s'est installé au coeur du bush dans la région de New Castle en Australie. J'ai eu l'occasion de me rendre à Sydney et nous nous sommes retrouvés dans un restaurant italien. Voici un extrait de notre conversation (avril 1995). Elle me semble d'une grande actualité
- Je n’ai pas de gros besoins. Je mange ce que je cultive, je fabrique à peu près tout ce que j’utilise. C’est la satanée bagnole dont je suis dépendant. Je complète avec mon chanvre.
- ? ! ?
- Ben oui, ça te choque ? Tu ne crois pas que je vais me laisser impressionner par toutes ces conneries autour d’une plante aussi anodine. Je ne vois pas où est le crime, procurer du plaisir à des gens qui par ailleurs sont avocats, journalistes, médecins, toute la bonne bourgeoisie, tu peux me croire, et qui ont une vie tout à fait « honorable ». Une plante qui pousse naturellement autour de moi. Moi, je ne fume plus depuis longtemps, ni tabac, ni herbe, rien. Mais je n’oblige personne à faire mes choix et je serais idiot de me priver d’une source de revenu que je trouve aussi légitime que mon travail du bois. Elle est bonne mon herbe et je la vends un prix correct à des adultes qui l’utilisent pour eux-mêmes. A chacun ses choix. Je vis seul et c’est ce qui me plaît dans ce pays. On peut y être seul des jours et des jours sans risquer une rencontre.
- Tu es devenu bien misanthrope pour le voyageur impénitent que je connaissais, avide de rencontrer les humains de cette planète.
- Justement. Je me suis aperçu que je préférais la compagnie des arbres et desanimaux à celle des hommes.
- Pas ce cliché, s’il te plait !
- Je te fais grâce de mes années de pérégrinations du Pakistan à l’Inde, à l’Indonésie. J’ai fini par débarquer sur ce continent. Et à part pour quelques vrais potes, mes rapports avec les autres sont de commerce et ça me convient. Le reste du temps, je suis dans mes bois, je regarde la profusion qui m’entoure et j’en jouis intensément. Il y a des serpents, des varans, des lézards à collerette, des échidnés, des ornithorynques, des milliards d’insectes, d’oiseaux…
- C’est dans ton zoo que j’aurais dû approcher la faune et la flore australienne.
- Chiche ! Je t’emmène. Si nous partons maintenant, nous y sommes à minuit, je te balade toute la matinée demain matin et tu peux reprendre un train vers midi et être à temps à Sydney pour attraper ton avion.
- Ca me tente cette petite folie. Mais je ne crois pas que P.E apprécierait mon éclipse à la réunion demain matin. Dommage, j’aurais volontiers troqué «les essentielles mises au point» contre une promenade dans le bush. Tu vis dans l’illégalité, ça ne te gène pas ?
- L’illégalité ? Je les connais ceux qui fabriquent les lois. Qui pourrait me donner des leçons ? Les «chevaliers de l’industrie» ? Ceux qui prétendent que l’avenir de l’homme c’est de fabriquer toujours plus de cochonneries inutiles, du prêt à jeter en plastique, ensaché dans du plastique, glissé dans des boîtes de bouffe pour mieux la vendre à des gamins drogués de téloche. Des corn flakes bourrés de pesticides avec un petit mickey, du veau reconstitué avec un bon de réduction sur une moulinette à vent. Et plastique sur plastique nous refiler des aliments qui ne nourrissent que les comptes en banque et les décharges monstrueuses de détritus.
Qui d’autre ? Les héros de l’artillerie qui font leur beurre grâce à des saloperies de mines anti personnel ? Qui ? Les prédicateurs de la santé ? Ils feraient mieux de s’inquiéter de la prolifération du nucléaire, du mercure, du plomb, de l’amiante devant laquelle nous devons nous incliner. Ou encore les bénédictins du pastis qui ont envoyé dans le décor des générations et des générations. Je ne vends pas de la chimie reliée à des gangs. Je ne nourris aucun lucre. Je n’ai simplement pas l’esprit suffisamment tordu pour confondre une plante et toute la mythologie déraillante qui l’accompagne. Ce n’est pas de ma faute si les guerres de territoire et de religion ont banni certains produits et porté au pinacle d’autres, ni si le rêve est proscrit de nos sociétés soit disant bien pensantes. Je sais très bien que le trafic de drogue supporte le trafic d’armes, il faut bien qu’ils désignent leur miroir aux alouettes. En taxant le plaisir, comme d’habitude.
- Excuse-moi, je suis un peu perplexe.
- Moi, je n’ai pas envie de passer dans leur tourniquet. Ma vie est au bout de mes bras. Quand mes bras tomberont, je mourrai, c’est tout. En attendant, je me lève le matin, dans le concert des oiseaux et des insectes, je ne sais rien de ce que la journée va m’offrir. J’ai bien toujours mon petit programme, genre : aujourd’hui je défriche la parcelle du bas, ou je fends du bois toute la journée ou j’entame la table que Machin m’a demandée. Mais si plus fort et plus intéressant se présente, je prends : le passage d’un ami, les traces d’une bestiole que je n’ai encore jamais vue et que je piste pendant deux heures pour l’apercevoir. Certains jours je m’escrime au ciseau à bois pendant quinze heures, d’autres, je lis toute la journée. Et tu voudrais que j’échange ça pour m’inscrire sur la liste des «utiles », ceux qui rament dans le «bon sens » en courbant l’échine pour gratter de quoi remplir leur écuelle. Merci bien ! Je peux manger toute ma vie sans sortir de mes fourrés si j’y suis réduit. C’est pour ça que je suis venu m’installer ici, pour me créer un camp légitimement retranché. J’en ai marre de leur jeu de massacre. Ni envie de prendre des coups, ni d’en donner. Ca ne m’intéresse pas la bimbeloterie de leurs mâts de cocagne. Qu’on me foute la paix à tracer mes sillons, peinard, et à tarabuster mes souches ! Si ça les amuse les autres, les strass et les paillettes, les fontaines de champagne, les bolides qui se crachent à 200 à l’heure, la furie des cohues autour d’eux, les mendiants et les savants qui les servent, qu’ils continuent. Ca fait partie des pilules qui les consolent d’avoir à mourir un jour, chacun sa dope. Mais qu’ils laissent ceux, qui s’en foutent de ce cirque, vivre modestement et jouir autrement. Et qu’ils nous lâchent avec leur baratin. Les «lois économiques» ! Tout le monde le sait bien, c’est la plus redoutable des fausses religions, révélée par ceux qui tirent les marrons du feu, relayés par les compagnies du mensonge organisé qui lavent plus blanc la conscience du tiroir caisse. Qu’on arrête de nous présenter comme des demi-dieux des nababs prétentieux,. Ils devraient plutôt nous sembler grotesques, des obèses du fric puant la charogne de la misère et de la mort dont leur boursouflure se nourrit. Au mieux, on devrait en garder quelques-uns qu’on viendrait regarder se pavaner pour se rappeler que le ridicule a tué cette branche de la famille. L’homme libre doit mépriser ce fatras.
- Ouf ! Tu es radical !
- Radical ? Mais c’est ce que pensent les quatre cinquièmes de la planète. Et dans la culpabilité. On leur fait croire qu’ils sont exclus parce qu’ils se sont trompés de religion, alors que les grands prêtres du tout économique sont les vrais renégats.
- Je dois avouer que mon repli était motivé par une lassitude, un désir de mise à distance, toute petite, toute relative. J’avais le sentiment de me noyer, d’être sans cesse obligée d’agiter mon corps pour ne pas couler à pic. J’ai eu besoin de me satelliser pour regarder tout ça avec le bon recul. Illusion d’optique comme d’habitude. L’homme ne fait jamais que changer de focale. Toute vie n’a aucun sens, si ce n’est celui que nous voulons bien, jour après jour, lui accorder.
- Et alors ? As-tu l’impression d’avoir trouvé le lieu du sens pour toi ?
- Plutôt d’avoir tenu les rênes d’un chariot dont je continue d’ignorer la destination finale, si ceux qui tiennent les autres rênes ne les lâcheront pas, si je ne vais pas moi-même valdinguer dans le décor. La seule chose que j’essaie de faire, c’est de garder les yeux ouverts, le bras ferme et le réflexe frais, le plus longtemps possible. Mais je découvre la route au fur et à mesure.
- Et c’est bien ça qui est passionnant me dit Phil en me flattant tendrement l’omoplate.
Photos Retrouvailles à Sydney. ZL
mercredi 20 mai 2009
Les femmes sont au front.
On ne présente plus l'opposante à la junte militaire qui sévit en Birmanie. Fille du héros de l'indépendance birmane, assassiné peu avant la proclamation officielle en 1947, elle aurait dû devenir Premier Ministre en 1990 à la suite des élections qui avaient donné une majorité de 82% des suffrages à son parti "La ligue nationale pour la Démocratie. Assignée à résidence, elle subit actuellement un procès à huis clos qui s'est ouvert lundi 18 mai, dans une prison de Rangoun. Elle est jugée pour avoir laissé un ressortissant américain séjourner chez elle en violation des restrictions liées à son assignation à résidence. Elle encourt cinq ans de prison, ce qui l'exclurait du paysage politique pendant les élections controversées que la junte entend organiser en 2010. Sa période d'assignation à résidence expirait théoriquement le 27 mai. Les motifs et les conditions de la visite du ressortissant américain (il aurait nagé pendant deux heures alors qu'il est diabétique et en petite forme physique selon sa propre femme) sont extrêmement troubles et on ne peut que suspecter une machination pour entraver toute possibilité d'action de cette femme très populaire, qui n'a jamais abdiqué en dépit des conditions indignes qui lui sont faites par la junte.
Vandana Shiva, fondatrice de la « Fondation de recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles » Navdanya, se bagarre pour préserver les savoir faire indigènes que la mondialisation menace de finir d'éradiquer après que le colonialisme anglais les a étouffés, marginalisés, criminalisés. Elle mène un combat pour le droit à la souveraineté alimentaire, l'accès universel à l'eau, la biodiversité et le contrôle paysan des semences. Elle est considérée comme une "écoféministe", terme désignant à la fois la défense du droit des femmes (en Inde on assassine encore les bébés féminins pour échapper à l'obligation de la dot ou on brule les brus pour renouveler le pactole avec une nouvelle épouse) et la sauvegarde du patrimoine naturel. Vandana Shiva fait œuvre gandhienne de conquête pour la dignité.
Taslima Nasreen fait l'objet de menaces de mort pour avoir dénoncé le sort fait aux femmes et aux minorités non islamistes dans son pays, le Bangla Desh, où sévit un islam intégriste. Sa tête est mise à prix et elle ne peut vivre dans son pays alors que toute son entreprise d'émancipation s'adresse en premier lieu aux femmes qui y subissent la ségrégation et les formes les plus arriérées d'inféodation.
Rigoberta Menchu se bagarrant pour la sauvegarde des peuples indigènes, la Kenyane Wangari Maathai, écologiste, prix Nobel 2004, menacée de mort pour son opposition au président kényan Mwai Kibaki, la liste est loin d'être exhaustive....
Courage les femmes !
mardi 19 mai 2009
Apocalypse végétale
L'énigme du dimanche (qui n'a pas mobilisé les foules!) trouve sa réponse ce jour. Le texte était extrait de Ruines-de-Rome paru en janvier 2002. Son auteur Pierre Senges né en 1968, publie chez Verticales (éditeur réputé à juste raison pour publier une littérature de recherche, des auteurs singuliers).
Un employé du cadastre, qu'une retraite sans flambeaux menace, met sa misanthropie ordinaire au service des plus noires prophéties: du jardinage considéré comme un des beaux-arts de l'Apocalypse. Feignant de cultiver son petit lopin de terre, ce paysan amateur et saboteur authentique couvre la ville de fleurs et d'arbrisseaux décoratifs. Et nul ne devine, derrière l'inoffensif passe-temps, un travail de sape qui dévaste les murs, soulève le goudron et fait retourner l'urbaine civilisation à ses friches premières. Semant sa mauvaise graine, il s'arme de patience et d'herbes folles. Il use du moindre prétexte végétal pour satisfaire ses cruautés drolatiques et laisser libre cours au chiendent de la rêverie, non sans nouer quelque idylle clandestine avec sa voisine de potager. Introduction de l'édition de poche Point Seuil 2004
Senges, je l'avais écouté au cours de Feuilles d'Automne, édition consacrée cette année à Lydie Salvayre qui l'avait invité à présenter son dernier livre. Il était passé à la question par Thierry Guichard du Matricule des anges. Entretien plein d'humour avec ce drôle de typequi avoue une passion d'encyclopédiste et se consacre à un métier de ciseleur de métaphores époustouflantes. Je reproduis la présentation de Guichard dans le MDA,n°092, avril 2008
Ébouriffant et drôle, le nouveau livre de Pierre Senges est à lui seul un festival de trouvailles littéraires.
Le nouveau livre de Pierre Senges est un mangeur de post-it. Chaque fois que vous tombez sur une phrase épatante, une métaphore juste et étonnante, une pensée roulée comme un mannequin dans un défilé de mode, vous annotez le livre ? Impossible ici, c'est un ouvrage déjà annoté que nous sert l'éditeur. Les annotations sont des aphorismes signés du grand maître allemand Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) dont la plupart sont si savoureux que vous voudrez aussi les noter. Alors le post-it s'impose. À raison d'un par page, ça fait vite beaucoup, CQFD.
Pierre Senges a imaginé ici qu'un certain Herman Sax, un siècle après la mort de Lichtenberg découvre que ses huit mille pensées sont en fait les fragments rescapés de la dispersion d'un seul et même roman.
Sa théorie est immédiatement reprise par une académie de tristes ratiocineurs suédois. Les Lichtenbergiens, bientôt, couvriront les membres de cette académie de leurs travaux, hypothèses, recherches. Il s'agit de prendre les fragments un à un et d'essayer de les assembler pour retrouver le corps du roman disparu. La tâche n'est pas aisée. Il convient, également, d'envisager toutes les causes possibles à l'éparpillement d'une oeuvre magistrale et là, les propositions ont de quoi provoquer le fou rire. Bien qu'une table des matières guide le lecteur, il reste difficile de résumer un tel livre. Pierre Senges s'en donne à coeur joie pour ressusciter les débats de l'époque et des époques suivantes, la naissance de sciences charlatanesques comme la physiognomonie inaugurée par un Lavater auquel son Lichtenberg adresse de savoureuses et rageuses missives. Il développe mille théories dont la plupart sont très romanesques, aborde une étude prolongée de l'hypocondrie, explore les milieux culturels d'Occident, pointe les éléments d'un art poétique fort séduisant. Surtout, il nous offre des propositions inédites, nous surprend prodigieusement, en une phrase ou en mille dans une symphonie de la langue : " imaginons un livre trouvé par hasard au sommet d'un arbre et lu sur la branche, ouvert d'une main, l'autre s'accrochant à une pomme ". Renversant, non ?
Fragments de Lichtenberg Verticales 633 p., 23,90 euros
dimanche 17 mai 2009
Le vent des blogs 12. Enigmes à gogo.
Je ne sais qui en a lancé la vogue, le week-end, sur certains blogs c'est l'énigme. Peut-être à l'origine "les Papous dans la tête" l'émission de France Culture (dimanche 12H45-14h), culte pour certains : un texte est proposé et les éminents Papous doivent en deviner l'auteur."Les Papous dans la tête" réunissent des écrivains, des journalistes, des peintres et même une cantatrice. Leur empire s'arrête là où commence l'esprit de sérieux, car culture sans gaieté n'est qu'une ruine de l'âme. Dixit la fiche de présentation du Dictionnaire (ss dir Françoise Treussard, bien sûr)avec Eva Almassy, Jacques A. Bertrand, Patrick Besnier, François Caradec, Patrice Caumon, Jérôme Clément, Henri Cueco, Hélène Delavault, Patrice Delbourg, Lucas Fournier, Serge Joncour, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Patrice Minet, Gérard Mordillat, Ricardo Mosner, Dominique Muller, Jean-Bernard Pouy, Jacques Vallet. Pour retrouver tous les rigolos qui jouent suivez le lien des liens.
Pour ma part j'en extraie Hervé Le Tellier dont le titre d'un des ouvrages m'enchante oulipiennement "Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable" (le Castor astral 1998). Les autres sont tous fort honorables. Découvrez Delbourg, Mordillat etc , si ce n'est déjà fait.
Sur ce concept j'ai pu répertorier au moins trois blogs qui pratiquent la religion de l'énigme. Il y en a sans doute beaucoup plus, mais il s'agit de ceux que j'ai croisés au fil de mes randonnées, relativement circonscrites (pas le temps de faire mieux).
Chantal Serrière, nous proposait cette semaine un texte d'Aminata Traore, haute et forte figure de l'altermondialisme, à partir d'un essai, l'Afrique humiliée. Ne jamais renoncer, tel est son viatique.
Paul Edel titillait ses habitués avec un texte de Gide. Evidemment si on visite à postériori, on n'a plus à concourir mais on peut toujours s'amuser des commentaires où les adeptes se chipotent sur les antériorités et les délicatesses du jeu qui consistent à ne pas dévoiler d'emblée (quand on est très fort et ils le sont) mais à glisser de fines allusions, indices pour les suivants et preuves pour l'antériorité dans la divination.
Chez les Libres, ils sont trois à se relayer pour animer le blog et singulièrement "l'énigme du samedi soir", laquelle comporte deux volets, accompagnés d'illustrations (généralement des peintures) dont il faut également découvrir les auteurs. Ce samedi Soded nous proposait une lettre d'Héloïse à Abélard, un tableau de Klimt (j'avais trouvé, même si venant trop tard, il était inutile de me manifester). En revanche le deuxième texte, aucune idée . L'amour de Petrarque pour Laure dans ses"Canzoniere". Eh oui, ça ne nous rajeunit pas.
Afin de renchérir sur cette excellente manie et exceptionnellement pour fêter un nouveau blog dans ma liste, en remplacement de celui dont on ne prononce pas le nom par crainte de ses particulièrement furieuses avanies, un extrait, dédié à Vinosse et à tous ceux qui fidèlement viennent s'enquérir des tribulations de ma caboche. Si vous trouvez, vous êtes très forts !
Tout bon pépiniériste doit savoir inséminer une fleur à l'aide de son propre pollen: un pollen à cueillir tôt le matin, quand la fleur est encore mâle, et à en saupoudrer son pistil, le soir, quand la fleur est devenue femelle (il s'agit donc d'espacer les visites, savoir jouer habilement de la répétition et de l'alternance); la réussite des opérations repose sur la précision des rendez- vous et sur la fidélité, bien qu'en·apparence passer d'un mâle à une femelle suppose la plus extrême des inconstances.
Spéciale dédicace donc à Vinosse, La Feuille charbinoise et Cactus pour leur amitié plantureuse.
Cactus était déjà au tableau d'honneur sur le dernier VDB mais cette semaine il cancanne de Cannes alors c'est la pointe extrème de l'actu.
A demain pour la solution. A moins que, chers intervenautes, vous n'ayez élucidé le mystère avant que je ne vous livre en pâture (excellente) l'écrivain qui a commis ces conseils étranges.