mercredi 6 mai 2009
Carte postale rétroactive. La Suède, ses nuits courtes, ses chevaux légers
Lorsque je suis allée à Stockholm, le mois de juin offrait ses nuits si courtes qu'on ne les voit pas. On s'endort il fait jour, on se réveille il fait jour. J'ai pris un bateau pour me promener entre les petites îles qui constituent un archipel que les Suédois envahissent dès que leurs loisirs leur permettent. J'ai beaucoup aimé marcher dans cette ville, aérée, joyeuse. De même à Göteborg, je me suis amusée à devoir m'aplatir pour passer sous les ponts des canaux et bras de mers qui irriguent la ville.
A Saträbruk , un bled perdu situé entre les deux villes, j'ai passé dix jours dans un orphelinat transformé en Centre de séminaires, en compagnie "d'homologues" des cinq continents.
Mon souvenir le plus ému se situe dans un lieu dont j'ai oublié le nom à quelques kilomètres de l'embarcadère du ferry qui relie le Danemark à la Suède et qui fut ma première rencontre avec la Suède.
Une ferme où j'ai passé une semaine irréelle de février (neige et glace à perte de vue), chez des amis de Mette, ma copine danoise qui m’hébergeait à l'époque. J'y avais éprouvé une émotion inoubliable. La Danoise gaillarde et belle comme une aurore qui gouvernait le lieu avec son compagnon, entraînait à la monte des chevaux. Elle m'avait demandé de tenir la bride d'un cheval qu'elle habituait à la selle. Si je me sentais de courir auprès de lui sur la piste où elle l’entraînait, ça lui serait utile, mais je n'étais pas obligée.
J'avais une certaine trouille de ces colosses dont les muscles frissonnaient à hauteur de mon front et qui agitaient leurs têtes dans des dénégations que je considérais comme m'étant personnellement adressées. Mais peut-on jouer les poules mouillées devant une amazone qui vous toise avec un rire léger, pétri d’indulgence ?
J'ai couru. Dans la chaleur irradiante de cette encolure que je frôlais de l'oreille, m'efforçant de trouver au fond de moi une musique qui s'associerait à la paisible cadence. Il trottait, je courais et comptais mes pas sur les siens. Accorder mon souffle a desserré l'étau de la peur dans ma cage thoracique. Elle, elle rebondissait sur sa selle, calme, le front haut, le regard tantôt posé sur les petites avalanches croulant des sapins bordant le lac où patinaient des canards, tantôt sur moi
- Ca va ?
- Ca va !
Je suis devenue légère. Il me semblait qu'accrochée à la bride de mon poulain, j'étais montée sur quelque invisible coussin d'air, sur lequel je glissais, aérienne.
En réalité, j'ahanais, alors qu'elle continuait seule son tour de piste en le faisant galoper, pour lui faire plaisir. Pendant que je la contemplais en essayant de calmer la brûlure de mes poumons, j'éprouvais de façon violente le désir de ce plaisir-là. Etre portée par ce bel animal, partout où j'irais. Ce fut culminant et fugace.
Je suis revenue par la suite à ma vieille terreur des bêtes puissantes dont la brusque émotivité peut m'anéantir par le déchainement des forces incontrôlables (par moi) qui les animent. C'est une superstition, une limite ou une vraie sagesse. Je n'ai encore jamais pu en décider.
Photo Stockholm 2001. ZL
lundi 4 mai 2009
La maman des poissons, elle est bien tranquille
Quelle sangsue, ce blog ! Je pars quelques jours et je retrouve tout en chantier. J'ai négligé mon Vent des blogs, forcément. Les stationnaires eux ont poursuivi leurs travaux. Sur chaque site j'ai plusieurs actualités périmées à remettre dans mon goût du jour. Je suis prise en tenaille entre mon désir de fidélité et ma grosse flemme. Sans compter les com sur mon site que je n'aurai pas honorés d'un amical accusé de recevoir. Il me faut choisir les sacrifiés et me ruer sur les incontournables. Et vous savez quoi ? Dieu reconnaîtra les siens.
Paris ! Quelle invraisemblable familiarité me lie à ce lieu. Je remets mes pas sans surprise dans les couloirs gavés d'affiches de deux mêtres de haut avec des images plus grandes que moi qui toutes m'exhortent à acheter quelque partie du microcosme (cinéma, théâtre, vêtements, meubles, cours d'Anglais...) comment fais-je pour vivre sans ces merveilles, d'ordinaire ? Je slalomme entre des êtres obstinés à rejoindre leur propre destination, des quémandeurs de toute espèce. La grande innovation depuis ma fuite (15 ans déjà) et qui n'est pas récente mais a rattrapé nos congénères d'autres capitales : je sais combien de minutes je vais attendre le prochain métro et même le second !
Je suis arrivée jeudi soir, sans encombres, accueillie par mon amie américaine (adaptée francophone depuis trente ans).
Mon amie habite au dessus de la gare Montparnasse. Les sons ordinaires des déplacements ferroviaires nous parviennent assourdis, comme transposés symphoniques. Au dixième étage, la vie ordinaire s'éthérise. Les immeubles sont de clignotantes répliques des forêts de Max Ernst.
Le chien Saxo,un Golden Retriever d'une grande douceur, inscrit de l'organique dans cet univers, en venant humblement mendier son lot de caresse.
Je ne ferai aucun commentaire sur le premier mai. Voir le numéro spécial du Chasse clou, il résume à sa manière ce que je pourrai en dire.
Mon amie souhaitait voir Gran Torino. Clint Eastwood, ça ne se refuse pas. Je l'ai volontiers accompagnée en ignorant que le titre était en fait le nom d'une voiture, objet symbole d'une transaction délictueuse puis aimante, je vous laisse découvrir. Il n'empêche, le fond de l'histoire, c'est le retournement d'un vieux réactionnaire qui a décimé du "Niakoué" (guerre de Corée) et voit son quartier envahi par les Jaunes, singulièrement des Hmongs, contraints à l'exil pour avoir été partisans des Américains pendant la guerre du Vietnam. Sacs de noeuds gordiens dont l'histoire mondiale regorge. On assiste à la conversion du vieil acariâtre sous l'effet conjugué de deux adolescents, l'une, jeune fille pleine de pugnacité et d'humour, l'autre, le frère, un garçon efféminé au regard des codes de sa culture et de la culture américaine (un mec ça cogne, voire ça bute). On a droit au ballet des flingues. C'est terriblement inscrit dans la dramaturgie yankee.
Clint est un vieillard (79ans ) qui a toujours fière allure. Ses films sont profonds et efficaces.
Ma fille voulait voir Welcome. Son chéri le lui avait conseillé. Bien-sur, un Philippe Lioret / Vincent Lindon, c'est un bon ticket, allons-y. Eprouvant. On a beau savoir à l'avance de quoi il s'agit, voir les types s'enfiler des sacs plastiques sur la tronche pour éviter de se faire repérer par le taux de CO2 lié à leurs échanges pulmonaires, ça étouffe. Tout le film nous travaille au remords d'appartenir à cette "civilisation" qui croit se protéger en éliminant de la façon la plus épouvantable quelques surnuméraires, au prétexte qu"il faut éviter d'encourager l'immigration clandestine, quand les conditions de vie à l'origine de ces transhumances sont telles que rien ne peut empêcher ces damnés de tenter d'accéder à un Eldorado, quelles que soient les épreuves qui les attendent. Tout plutôt que la mort lente. L'histoire en l'occurrence est sublimée par la quête amoureuse du jeune héros, prêt à franchir le Channel à la nage.
Calder, oui mais à quel prix (12 euros, by the way), mais le coût le plus lourd à mes yeux reste le temps passé dans les queues. Pour entrer dans l'usine culturelle (examen des sacs 20mn), puis acquérir le billet (15mn), puis accéder au sixième étage, le nez sur l'arrière-train de qui nous précède, puis présenter son ticket avant de franchir la porte de l'expo. Une fois à l'intérieur se démancher le cou (tellement le monde se presse) pour admirer ce qu'il y a à. Et il y a c'est un fait. Le petit cirque accompagné de la célèbre vidéo où on voit Calder animer ses animaux miniatures en produisant des sons curieux ouvre l'exposition. Les portraits en fil de fer, si bien éclairés que la lecture de leur projection d'ombre se transformant pendant que la sculpture tourne sur elle-même, nous offre pour chaque visage une panoplie étonnante d'expressions. L'exposition est surtout intéressante pour ces oeuvres, dont toute la série de Joséphine Baker, la technique du métal, idéale pour transposer la souplesse du corps de la danseuse. Quelques peintures du temps de sa fascination pour Mondrian (très en-deça d'icelui), quelques stabiles dont La baleine et le requin. Au total , un moment de jubilation plein d'humour, si on fait abstraction de l'irritation éventuelle procurée par le congénère qui commente à haute voix ou les mômes qui se font tartir et l'expriment bruyamment.
Je vous fais grâce de la série Kandinsky (deux expos pour le même prix, au pas de course pour cause de train à prendre de ma chérie). J'ai particulièrement aimé les séries d'aquarelles, formats plus réduits et les dessins. Kandinsky ou la couleur orgiaque.
Le soir, j'allais à la fête d'anniversaire de mes deux amis. Elle, j'ai travaillé de conserve pendant dix ans. Nous avons été comme les deux bras d'un même corps (sic) et nous avons ensemble soulevé pas mal de vieilles montagnes miteuses qu'il s'agissait de transformer en plaines fertiles . D'origine slovène, elle a bénéficié fort heureusement, au même titre que son mari, d'origine turque, de la vague de naturalisation initiée par Mitterrand . Deux magnifiques personnes dont la France n'a eu qu'à se féliciter, qui ont eu un fils brillant, appartenant désormais à l'élite intellectuelle. Lui, excellent bassiste, avec ses acolytes dont une chanteuse qui n'a rien a envier à Kate Bush, nous ont régalés de oldies but goodies. J'ai un peu mal aux mollets.
Raconter ces quelques péripéties, c'était une façon de me remettre sous le vent.
Illustration Calder Goldfishbowl
mercredi 29 avril 2009
Voyages, voyage
Clopine m'a soufflé le sujet du jour. Elle s'extasie du miracle de l'avion qui vous fait traverser le monde en quelques heures et ce, grâce à l'abnégation des personnels, de l'hôtesse, qui mime pour la énième fois, les consignes de sécurité ayant vocation à ne point servir, au pilote qui vous arrache et vous dépose de là à là sans défaire le brushing. Elle dit avoir peu usé de ce moyen (épouvantable bouffeur de pétrole, d'oxygène, générateur de bruit et de méchants gaz) et être la première génération de sa lignée.
Il se trouve que j'ai dû utiliser l'avion à un rythme sans commune mesure avec celui de notre Très Haut et de ses différentes cours, mais cependant plutôt soutenu à une époque.
Comme Clopine, je souffre de cette douleur épouvantable qui au moment de l'atterrissage, à cause de la dépressurisation, se vrille au niveau des sinus et de l'oreille, de sorte qu'on a l'impression que tous les vaisseaux vont exploser et qu'une AVC va finir par nous anéantir. La première fois du moins, parce qu'ensuite, on ne saurait dire qu'on s'y habitue, du moins sait-on qu'on en réchappe.
Des avions manqués, retardés, détournés (pour cause de verglas, de brouillard, de tempête), des valises perdues, des correspondants qui ne vous attendent pas et vous ne savez pas où vous devez vous diriger, des transferts anxiogénes (Ammam, 40 degrés pas de climatisation , les avions en retard, des annonces indéchiffrables, des gens qui s'évanouissent par suffocation), des transits au pas de charge, des appels qui ne vous sont pas parvenus parce que votre nom est vraiment trop déformé, des itinéraires étranges, particulièrement alambiqués pour complaire aux impératifs d'un prix d'agence (ainsi un Dar Es Salam / Paris, via Moscou, Aéroflot la compagnie la moins chère). Mille anecdotes.
Nous allons au Maroc chez des amis, janvier est terrible, nous espérons le soleil. Comme nous sommes coincés dans la salle d'embarquement, un type fait preuve d'un bagout inouï, nous récitant du Céline, du Flaubert, du Baudelaire, comme il respire. Fabrice Lucchini avant qu'il ne soit très connu, il n'a encore tourné que (si on peut dire) dans le Perceval de Bresson. Au retour, trois semaines plus tard, c'est la fuite du Shah et son atterrissage en catastrophe a Marrakech qui nous retient une journée supplémentaire dans un très bel hôtel, où nous retrouvons Lucchini et son verbe fougueux.
L'avion entre New Delhi et Katmandou (bien après la ruée vers l'Inde des années 70) où je constate que les femmes secondent spontanément les mères lorsque les enfants brament pendant que nous dégustons de délicieuses brochettes de lamelle de viande qu'on croirait cuites au brasero.
Un Fokker qui tangue entre Paris et Brème sans interruption de sorte que lorsque nous atterrissons je mets un temps fou à trouver l'équilibre ordinaire, joscille comme sur le pont d'un navire.
Une arrestation ubuesque à Frankfort: nous sommes deux hommes et quatre femmes et les deux ressemblent à on ne saura jamais qui. Nous sommes dérivés alors que nous sommes en transit et nos bagages fouillés et nos inquisiteurs ont beaucoup de mal à accepter de nous relâcher, nous étions censés représenter une grosse prise semblait-il.
Un avion minuscule de 20 places dans lequel on ne peut se déplacer qu'en se courbant et qui nous offre un panorama sur les plaines à céréales du Saskatchewan où on ne décèle aucun édicule attestant de l'existence de cultivateurs pour ces immenses étendues de blé.
Un jour, je manque l'avion pour Palerme après moultes péripéties dont je vous fais grâce mais qui m'ont littéralement réduite en charpie, je décide de ne pas prendre le suivant et de ne plus jamais utiliser l'avion.
Je ne me suis pas tenue à cet intégrisme, à cet absolu tabou, mais il est vrai que j'ai réorienté ma vie, en partie pour échapper à la foire des aéroports qui se ressemblent et sont tous uniques. Mention spéciale pour celui de Chicago où on prend des navettes qui longent des kilomêtres de batiments où stationnent et se démènent des milliers d'artisans de ce miracle du déplacement dans l'espace et le temps, où on est accueilli avec des chiens et où dans les couloirs passent en boucle le rappel des consignes de sécurité.
Voyage donc. Aujourd'hui, jeudi, je prend le TGV et je "monte à la capitale". Visite d'amis, observation du mouvement social de ce premier mai, l'expo de Calder à Beaubourg si le temps de queue n'est pas décourageant et grande fête d'anniversaire d'une amie chère avant de revenir sous le soleil exactement, lundi.
Illustration : Alexander Calder. Joséphine Baker (IV), vers 1928
© Calder Foundation, New York / Adagp, Paris 2009
mardi 28 avril 2009
Déjà né, pas encore mouru
Nous sommes des statues de terre chaude, d'insectes mis à nu, antennes ténues et molles, ballotés au hasard de courses ahuries. Nous pousse au ventre un démiurge têtu, aveugle et sourd. Nos yeux sont des vitrines ou vaquent des fantômes, notre bouche une meule déhanchée, nos oreilles des tambours vrillonnants.
Corps, susceptibles, précaires, capricieux, frôlant, foulant un destin idéal, femmes en demande de la lance des hommes, hommes en labour, assassins de leurs propres naissances, expurgeant au dehors l'irrécusable mystère du dedans.
La vie erre ainsi au domaine des morts, désir et peur du devenir, hors du marbre de l'éternité.
Pour je, naître n'a pas de futur, je ne naîtrai plus. Mourir n'a pas d'antérieur. Je n'ai pas pas encore mouru.
Je ris de vivre en cet étrange miroir.
Photos 9 avril 09 ZL
dimanche 26 avril 2009
Vent des blogs 10. Météo pourrie ? Lisons !
Ce sera un tout petit vent, tout doux. Notre Cactus s'est enfin décidé à ranger un peu son foutoir en un lieu accessible à ses visiteurs où il ne se prendront plus les pieds dans les tapis. C'est très aéré, de bon goût, bref n'hésitez pas, la République des Ivres n'est pas morte. A votre santé !
Comme si je n'avais pas assez des piles de livres qui s'entassent à mon chevet (oui ce sont eux qui me veillent), hier, j'ai passé mon après-midi au Salon du livre et du Vin (ça va ensemble non ?) de Balma. , et j'ai envie de passer en revue mes recrues des derniers jours, tous ne relevant pas de cette dernière expédition.
Lepape, j'avance lentement en alternant avec d'autres. Actuellement (469 /702), Girardin (1806 -1881) invente "La Presse", ancêtre de nos médias, avec financement via la publicité et inaugure l'ère des écrivains tâcherons qui se crèvent à pisser de la ligne de feuilleton pour survivre. Balzac, Dumas et beaucoup d'autres vont tirer subsistance de ce qui fournira par la suite les romans de ce XIXème où le genre va devenir florissant. Première littérature populaire et premier capitalisme de presse.
"Le prof de philo nous a demandé de lire un livre de Schopenhauer qui s'appelle esthétique et je sais plus quoi. Puisque tu vas à Ombres Blanches*, tu peux me le ramener, maman s'il te plait (oui ma fille s'adresse à moi en termes délicats, surtout dans ce genre d'occurence). J'ai donc adjoint à Esthétique et Métaphysique, le petit traité L'art d'avoir toujours raison, dédié à mon usage personnel et dont j'extraies ce passage de l'ultime stratagème (38 en tout) [...]de cent hommes, on en trouvera à peine un seul qui soit digne qu'on discute avec lui. Quant aux autres, qu'on les laisse dire ce qui leur passe par la tête, car desipere est juris gentium (c'est un droit de l'homme que d'être idiot), et qu'on médite ce conseil de Voltaire: La paix vaut encore mieux que la vérité. Méditons.
Au Salon, Bernard Maris (Oncle Bernard à Charlie Hebdo) présentait son dernier opus Capitalisme et pulsion de mort (Albin Michel) écrit en collaboration avec Gilles Dostaler. En 1930 Freud (Malaise dans la culture) et Keynes (Perspectives économiques pour nos petits enfants) font la même analyse. Le capitalisme et l'obsession de l'accumulation relèvent de ce que Freud a nommé la pulsion de mort et dont il pronostiquait les pires conséquences. Freud était pessimiste : Les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu'avec l'aide de ces dernières il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier. Keynes espère encore que le pire peut être évité : Nous honorerons ceux qui sauront nous enseigner à cueillir chaque heure et chaque jour de façon vertueuse et bonne, ces gens merveilleux qui savent jouir immédiatement des choses, les lys des champs qui ne peinent ni ne filent. Freud va mourir à Londres en 1939 au pire moment du délire hitlérien et Keynes en 1946 après avoir été un des principaux artisans des Accords de Bretton Woods qui ont permis la mise en oeuvre des Etats providence de l'après guerre, mais avant la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Je reviendrai sur ce livre lorsque je l'aurai lu.
Pour la littérature, écouté hier débattre Régine Detambel (Noces de chêne, Gallimard) et Pascale Kramer (L'implacable brutalité du réveil, Mercure de France). Aux deux bouts de la vie, les tabous ligotent les êtres dans un mutisme contraint. Les amoureux octogénaires doivent affronter le scandale que suscite leur passion jugée indécente. Les jeunes parents ne peuvent exprimer la terreur qui les assaille, dès la naissance de l'enfant, à l'idée qu'ils ont peut-être commis une erreur en s'accouplant et plus encore en faisant naître de cette union une nouvelle vie. Les livres sont les seuls instruments pour se débarasser de ces alliénations.
J'ai bavardé avec plaisir avec Pia Petersen dont j'avais apprécié la pugnacité du discours au cours d'une table ronde où elle avait clairement positionné l'Art comme nécessairement politique. Son héros Iouri dans son livre éponyme (Actes Sud) pousse l'engagement politique de son art au point que sa compagne finit par craindre qu'il ne franchisse le cap de la criminalité. Pia Petersen est Danoise et s'est "enfuie" (ce sont ses termes) du Danemark à l'âge de 16 ans pour échapper à l'anesthésie d'une société où le tout sécuritaire enferme chaque geste sous la chappe du contrôle social. Le modèle scandinave dit'elle tant vanté pour ses vertus est en fait basé sur la mise sous tutelle des citoyens par la mise en oeuvre du tout sécuritaire. Pour elle la France est un pays où on respire encore un air de liberté mais pour combien de temps. Ce fut le sujet de notre échange.
Anne-Christine Tinel (Tunis par hasard, Editions elysad) a vécu sept ans en Tunisie. Dans son roman édité par une petite maison tunisienne, elle entremèle une histoire de vie et la description de ce pays qu'elle a rencontré, elle aussi pour fuir une situation douloureuse. Elle avait auparavant vécu en Algérie, puis en France et dit se sentir essentiellement méditéranéenne. Nous avons parlé de ces doubles appartenances lient en nous nos origines et un pays de coeur, de la difficulté de se réacclimater après une longue absence et de la difficulté d'écrire tout en travaillant et élevant des enfants. Rien d'original, mais un vrai plaisir d'échange. J'attends de la lecture de son livre une immersion en terre d'Afrique du Nord.
Je me suis dévoilée (ah bon c'est Zoë ? quelle surprise ! bonne ou mauvaise, ils ne l'ont pas dit) à Manu Causse et Emmanuelle Urien, dont j'avais déjà lu les livres et avec qui je causais de temps à autre par blog interposé. Deux belles personnes que j'espère revoir, puisque nous sommes toulousains, eux permanents et moi intermittente.
Il y avait tant d'autres à rencontrer, Jean Rouaud par exemple, mais je parlai avec Régine Detambel quand il présentait son dernier livre La femme promise. Mabanckou dont on lisait aujourd'hui, en sa présence Mémoire de Porc-épic et je n'y suis pas revenue. Temps pourri (40km sous la pluie) et mille autres choses à faire dont ce billet n'en est qu'une.
Emmanuelle Pagano (Le tiroir à cheveux ) n'était pas à Balma, mais son livre est en cours. A la page 20. J'espère qu'à la page 40 je serais plus séduite, on m'en a dit si grand bien.
Pour conclure ce patchwork un peu foutraque, un article dans Politis de cette semaine Mensonges et infantilisation (p 26, 27). Olivier Doubre s'entretient avec Michela Marzano, à propos de l'ouvrage qu'elle vient de publier Le fascisme, un encombrant retour ? (Larousse "Philosopher"). Elle s'alarme des signes qui montrent en France et en Italie que nous sommes entrés dans un régime autoritaire, antichambre éventuelle d'un nouveau fascisme.
Philosophe italienne vivant en France, chercheuse au CNRS elle est convaincue que les intellectuels et en particulier les philosophes doivent assumer leur rôle et dénoncer de risque d'un "encombrant retour" et considère en s'appuyant sur l'apport de la pensée critique de l'Ecole de Francfort, notamment celle d'Adorno "qu'au moment où l'on a encore la possibilité de s'exprimer, ce qui est le cas (elle se doit de s') engager pour permettre à la pensée de rester vivante.
Restons vivants !
Celle-ci, ci-dessous, l'air de rien, est enceinte. Encore une portée qu'il faudra distribuer auprès de parents adoptifs. Si ça vous tente, n'hésitez pas à passer commande
Et pour être absolument complète: Fronton Château Bouissel et Corbières Château Serres Hauterive Le Vieux Salon du Livre et du Vin.
*Pub gratuite pour ma librairie chérie sise à Toulouse
Photos ZL
jeudi 23 avril 2009
Noircir pour mieux blanchir
Pour justifier le bienfondé d'une domination, il importe de souligner les faiblesses constitutives du dominé en le décrivant sous les traits les plus négatifs tout en l'idéalisant quelque part pour motiver notre générosité à son endroit. [...] "Noircir" et "dénigrer" (littéralement ) l'Africain pour mieux "blanchir" le Blanc [...] L'essence même de ce que nous ne tolérons pas : qu'une réalité puisse échapper à l'emprise de nos catégories" Roland Louvel. L'Afrique Noire et la différence culturelle, L'harmattan, 1996.
Sculptures Ousmane Sow
mardi 21 avril 2009
Complices de l'inavouable
J'écoutais ce soir, dans ma voiture chargée de cageots de légumes à destination de mes voisins amapiens* (j'étais de distribution aujourd'hui), l'émission de Kathleen Evin, L'humeur vagabonde,
Invité à s'entretenir avec l'hôtesse Patrick de Saint-Exupéry pour son livre "Complices de l'inavouable, la France au Rwanda"qui reparait aux Editions les Arènes. Ce journaliste ne décolère pas depuis 15 ans, depuis qu'il a assisté en direct au génocide des Tutsis au Rwanda, terme que la france ne parvient pas encore à valider pour des raisons extrèmement glauques, compte tenu de ses responsabilités indirectes sinon directes dans ce drame abominable.
Le Rwanda, je l'ai connu en 1982 et déjà les tensions ethniques entre Tutsis et Hutus étaient très fortes. Cette région de l'Afrique centrale, ex colonie belge était en effervescence. Des transfuges se croisaient de l'Ouganda ou Amin Dada avait furieusement sévi, du Burundi où les Tutsis régnaient après de sanglantes ponctions dans les rangs des Hutus (en 1973 notamment, environ 200000 morts) et juste le contraire au Rwanda. Sans parler des Zaïrois de la région du Kivu déjà et encore aujourd'hui en rébellion armée contre Kinshasa.
A Kigali, nous avions rencontré un jeune attaché culturel de l'Ambassade de France avec qui nous avions lié une amitié autour de la musique et du match de foot France Allemagne qui avait polarisé toute la capitale le temps d'une soirée mémorable que j'avais partagée avec C. une adorable Tutsi guère plus intéréssée par le football que je ne le suis.
Quelques mois plus tard, rentrés en France, nous apprenions que C. avait été emprisonnée dans un camp en raison de ses relations avec les Blancs, promues au rang de crime selon un décret dicté par la femme du président Habyarimana, celui qui devait mourir 12 ans plus tard dans l'attentat de son avion, évènement considéré comme le déclencheur du massacre qui s'ensuivit.
En 1982, notre ami (juif d'une famille très religieuse) était reparti à Kigali et avait épousé la sublime C. (sans en dire un mot à sa famille, une goy, noire de sucroît !) pour la tirer de son camp. Nous l'avions accueillie, elle avait eu le crâne rasé mais elle était sauve. B. et C. commencèrent leur vie de couple, séparée en toute amitié et elle trouva du travail et se mit à apprendre l'accordéon.
En 1994, nous avions organisé une fête pour saluer tous nos amis avant d'embarquer nos meubles, nos chats et nos enfants et rejoindre nos terres du Sud Ouest où se cultivent les maïs dont on gave les canards. C. avait promis d'être des nôtres. Le veille elle apprit que sa famille avait été enfermée avec plus de deux cents autres dans une église à Kibuye et qu'après la machette, c'est le feu qui avait achevé le "travail".
Une de ses soeurs avait réussi à s'échapper. C. lui obtint un visa et un ticket d'avion. Elle mourut sur la route qui la conduisait du Zaïre à l'aéroport de Bujumbura.
C. obstinée, finit par découvrir que son plus jeune frère que sa mère avait eu avec un Hutu avait été épargné. Elle finit par le retrouver, le faire venir en France, l'inscrire dans une école. Un jour, il a fugué et s'est engagé dans la Légion..
C. entre temps avait préparé un master de logistique et travaille désormais dans des ONG, elle doit être au Soudan après l'Arménie où elle a bien cru mourir de froid, la Guinée, le Tchad et d'autres que j'oublie ou ignore.
Ce soir, je ressens à nouveau le malaise et l'amertume qui me submergeaient, l'écoutant me raconter les péripéties de ses recherches, y compris lorsque au risque de sa vie elle est revenue enquêter à Kibuye. "Il fallait que je voie l'église brûlée pour y croire".
C'est la personne la plus douce, gaie, intelligente que j'aie jamais rencontrée. D'une beauté extraordinaire comme beaucoup de Tutsis. Je pense à elle ce soir. Et, oui, je crois que par notre indifférence à tout le moins nous avons été les complices de l'inavouable.
Photo Wikipedia