Ces derniers jours, perdue dans ma campagne et relativement peu "exposée" aux nombreuses scènes que j'ai vécues quand je vivais dans le 93, à Montreuil précisément, je repensais à tous mes amis noirs ou arabes qui ont eu à subir des humiliations et des violences. Montreuil n'est pas le pire endroit à cet égard et il y a une longue tradition de cohabitation de multiples communautés dans ces cités ouvrières de la périphérie qui se gentrifient mais gardent une tradition de tolérance. Montreuil a hébergé beaucoup d'artistes de toutes les couleurs qui ont trouvé là un terrain d'accueil et de vie. Les scènes qui me navraient se situaient surtout dans le métro et dans les rues où le contrôle au faciès était flagrant.
Mais ces événements déplorables m'ont plutôt invitée à repenser à tous ceux qui ont jalonné ma vie de leurs rires et de leur magnifique art de vivre en toute circonstance même les plus extrêmes.
Je pensais à Consolata, mon amie rwandaise qui a vécu le pire de l’extrémisme avec le massacre de sa famille tutsi en 1994, car le racisme prend toutes sortes de figures.
Je pensais à Phillie, la jeune femme noire qui travaillait à la crèche et dont j'ai une très belle photo tenant dans ses bras ma petite fille, si pâle en contraste avec son beau visage lumineux et paisible. Phillie vivait avec ses trois enfants et son mari dans un taudis et nous nous étions mobilisés (les parents de la crèche) pour lui trouver un logement décent. Quand elle avait enfin pu emménager, son mari était en phase terminale de la tuberculose qui lui rongeait les poumons. Nous nous étions cotisés pour lui offrir son billet de retour afin qu'elle puisse échapper à l'obligation d'épouser son beau frère -selon la tradition- après avoir ramené le corps de son mari chéri au pays. Phillie qui vécut son drame sans jamais le faire peser, affichant son ineffable sourire dès qu'un petit réclamait ses bras.
Je pensais à Lalahoum, institutrice dans son Algérie natale mais qui n'avait pu faire valider son diplôme en France et travaillait dans une crèche dans le quartier des Minguettes à Vénissieux.. Elle m'expliquait qu'en arrivant en France, elle avait laissé ses enfants jouer dehors comme il était naturel dans son pays où tous les adultes sont responsables de tous les enfants et veillent à leur bonne conduite. Mais l'assistante sociale lui avait fortement déconseillé et elle se sentait obligée de les confiner dans son petit appartement par crainte "qu'ils tournent mal". L'assistante sociale la morigénait parce qu'elle appliquait la consigne trop à la lettre. Le paternalisme / maternalisme des Blancs !
Je pensais à Pierrette, la collègue camerounaise, qui mène d'une main ferme et efficace des projets de développement avec les femmes et les jeunes. A toutes ces jeunes Africaines avec qui j'ai travaillé et qui ont décidé après avoir fini leurs études de revenir chez elles pour que leur savoir aide leur pays à s'extraire du néocolonialisme qui continue à les vampiriser.
Je pensais aux petites filles jamaïcaines avec qui j'ai dansé, il y a longtemps, elles doivent avoir elles -mêmes des enfants. Nous dansions dans l'Ambassade de France qui nous avait accueillis à Kingston après le passage ravageur d'un cyclone qui avait détruit la plupart des habitats précaires de l'île. Elles dansaient leur joie d'avoir survécu et je dansais avec elle la gigue du bonheur d'encore exister.
Je pensais à tous ces artistes que j'aime Myriam Makeba, Manu Dibango, Angélique Kidjo et bien d'autres qui ne sont pas seulement de grands artistes mais des êtres de grande humanité.
Je pensais à Christiane Taubira, sa pugnacité et son humour et à son rappel du "principe humaniste que professe le concept africain d'unbuntu: Umuntu ngumuntu ngabantu, une personne est une personne grâce aux autres personnes".
Je pensais à cet homme politique, le seul qui m'ait inspiré un profond respect, Mandela, dont les puissants aphorismes ont beaucoup été cités mais je choisis celui-ci en la circonstance.
A tous ceux "qui ne voient pas où est le problème", je conseille de se déconfiner des certitudes de Blancs satisfaits de leur bonne chance d'être "bien nés" et de mériter leurs privilèges. En tous cas qu'ils nous laissent respirer, nous tous qui sommes de simples humains à peau rose, jaune ou noire et à sang rouge pour qui l'air pur est une nécessité absolue. Parce que par les temps qui courent, ça pue!