Depuis quelques jours, je suis en deuil.
Je ne suis pourtant pas du genre à éplucher la presse people pour y glaner les derniers ragots sur les stars du système. Et bien depuis le 18 janvier, je cherche les articles parus, les interviews, les extraits de films consacrés à Jean Pierre Bacri. J'aimais le comédien et j'aimais la personne qui refusait les faux semblants et n'était pas dupe. Son travail d'écriture avec Agnès Jaoui prenait pour cible l'hypocrisie, de façon générale et son personnage, qu'on dépeignait trop souvent comme le raleur, bougon, volontiers désagréable ne l'était qu'en réaction à cela : la tricherie déguisée en politesse, les bonnes manières dissimulant l'égoisme, le vernis sur la vraie brutalité. Un air de famille met en scène l'arrogance d'une vedette de la télé totalement aveugle au reste de la famille, dont Bacri est le frère modeste qui a conservé le café du paternel et entretient son vieux chien en dépit des exhortations à l'euthanasie. Bacri est malheureux, il est rogue mais c'est de lui qu'on se sent proche. Il y a souvent des fêtes prétextes dont la fausse gaieté fait mieux ressortir les vieilles rancunes et les petites misères cachées. Lui est celui qui dit qu'il est déçu, fatigué, sans illusion. Dans "le goût des autres" il fait montre naîvement d"inculture", il est la risée des snobs et par contraste ce sont les snobs qui sont odieux, Dans "Place publique" son dernier film -hélas- il endosse le rôle d'un animateur de télé menacé de licenciement pour être remplacé par un plus jeune. Il ne le sait pas et se comporte de façon odieuse au cours de la fête (encore une) de pendaison de crémaillère donnée par son agente ( Léa Drucker). Après beaucoup de péripéties toutes plus drolatiques et après qu'il a appris successivement qu'il est lourdé puis qu'il est repris, il termine la soirée chantant "Osez Joséphine" et c'est émouvant . Dans les entretiens de promotion du film il dit qu'il s'agissait bien de se payer un de ces "importants " qui font leur beurre de pousser à la confidence intime des invités, pourvu qu'ils soient eux- mêmes un peu célèbres. Jabac ( le surnom qu'on donne au duo ), de grands observateurs de la société et des êtres humains dont les films recèlent une multitude de portraits que La Bruyère ne renierait pas s'il lui prenait le goût de revenir au 21 siècle. C'est la lucidité du regard qui est touchant chez Bacri, la douleur sous-jacente au rire. Au fond c'est un Alceste qui a finalement un code de conduite et de dignité incompatible avec toutes les forgeries dont le paysage médiatique est friand. Il est bien l'illustration de la fameuse formule, l'humour, la politesse du désespoir. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent nous faire rire de notre misérable finitude sans caricature et sans vilénie. Je le regarde ironiser dans l'émission C à vous pour la promotion du film et j'ai le coeur serré de deviner sur son visage comme je l'avais perçu dans le film les ravages de la maladie qui va l'emporter
Donc ces jours-ci je regarde au moins un film par jour pour accompagner ma tristesse et pour qu'il demeure vivant encore un peu. Agnès, j'ai le coeur lourd quand j'imagine ton chagrin.