mercredi 15 avril 2020

Confinement et délires.

Aujourd'hui, je n'ai pas envie d'écrire mais de partager deux textes que j'ai trouvé très forts et qui traduisent si bien le maelstrom d'émotions qui me traversent ces derniers jours.
Le premier est une révolte contre ces injonctions à être encore compétitifs dans notre isolement forcé. Bien "réussir son confinement". On est saoulés par les conseils  abondamment délivrés par nos bons bergers qui veillent sur le troupeau à l'arrêt et par  leurs propos lénifiants ou culpabilisants.
Non ce virus n'est une bonne chose pour rien ni personne

Le second est celui d'une française confinée à Venise et qui constate de quelle façon les vieilles personnes restent considérées dans leur besoin de vivre avec les autres alors qu'en France on envisage de les obliger à moisir plusieurs mois au delà du déconfinement "pour leur bien " alors qu'ilest évident que  ça risque de précipiter leur fin (c'est peut-être le projet caché). Mais je vous laisse découvrir le texte, précédé de cette magnifique photo de Venise déserte et paisible


Je vous écris d’une maison vénitienne où, chaque matin, je suis soulagée d’être réveillée par mes voisins du dessus. Leur radio, leurs apostrophes d’une pièce à l’autre, leurs rires, leurs cannes sur le parquet, leurs coups de fil à leurs proches dont je ne rate aucune péripétie…J’ai l’impression de faire partie de la famille! Mes voisins sont mari et femme, ils ont tous deux 94 ans et, comme la plupart des personnes âgées en Italie, ils vivent en paix chez eux, en compagnie de leurs souvenirs, dans les murs qui ont vu grandir leurs enfants. En Italie, seuls 1,6% des personnes âgées vont en maison de retraite, ce pis-aller inacceptable pour les italiens dont le sens de la famille s’étend à toutes les générations. Les « badanti », dames de compagnie ou aides-soignantes, secondent parfois les familles mais les enfants restent très présents dans le quotidien de leurs parents âgés.
Ce matin, je n’ai pas été réveillée par mes voisins car je n’ai pu trouver le sommeil. Le silence de la nuit vénitienne était aussi profond que d’habitude, l’air toujours aussi doux mais une idée entendue à la radio française me vrillait le coeur. Dans quel cerveau mal câblé, dans quel cœur aride, dans quelle âme dénuée de toute empathie a bien pu naître le projet d’interdire le déconfinement des personnes âgées jusqu’à la fin de l’année? Loin de moi l’ambition d’alimenter le débat sur les bienfaits ou les méfaits du confinement, je ne suis pas virologue. Mais en tant qu’être humain, je sais qu’on peut mourir de solitude, de chagrin, d’isolement. Je sais que, pour déclencher chaque matin la petite étincelle qui va nous remettre en piste pour une nouvelle journée, il faut avoir envie de vivre. Les projets, la curiosité mais surtout l’amour, l’amitié, la vie sociale nous font sourire à la vie.
A Venise, j’aime le spectacle des personnes âgées papotant sur les "campi", franchissant les ponts, grimpants les étages de leurs maisons sans ascenseur, parfois au bras de leur "badante", vaillantes parce que entourées et habituées à accomplir elles-mêmes le plus longtemps possible leurs tâches quotidiennes. Ici, les anciens sont respectés, ils sont une source inépuisable d’échanges, de conseils, ils font partie de notre vie et sont de toutes les réunions de famille.
Dans le pays d’où je viens, les plus âgés vivent souvent dans un monde parallèle, s’étiolent, rétrécissent puis meurent faute d’avoir encore leur place dans une société qui les considère comme des poids et voudrait les rendre invisibles.
Depuis des semaines, des millions de personnes de tous âges attendent de sortir de chez elles, de retrouver l’étincelle des matins nouveaux. Lorsque ce jour arrivera, aurons-nous le cœur de demander aux plus âgés d’attendre de longs mois encore pour revoir les êtres aimés, pour renouer avec leurs sorties, leurs habitudes, leurs loisirs, avec tout ce qui leur donne le désir de se lever et de jouir de leur droit inaliénable à vivre? Oserons-nous prétendre que c’est pour les protéger que nous prenons le risque de les voir s’étioler et s’éteindre comme des petites flammes affaiblies par le chagrin de la solitude et de l’abandon? Prendrons-nous le risque que la perte de tout désir de vivre tue bien plus que ce virus? Infantiliserons-nous, priverons-nous de leur libre-arbitre ceux qui nous ont mis au monde puis éduqués, aimés, soutenus? La vieillesse est un aussi un état d’esprit et je connais des octogénaires tellement plus jeunes que certains adolescents blasés!
Un jour nouveau se lève sur la Sérénissime, les mesures de confinement allégées nous redonnent quelque espoir de goûter enfin ce printemps. Pour les plus âgés, la vie se compte parfois en printemps, ceux que l’on a vécu, ceux que l’on vivra encore, ceux que l’on ne verra plus. « C’est dur de mourir au printemps, tu sais… » chantait Jacques Brel. On ne saurait mieux dire.
Arièle Butaux, Venise, 14 avril 2020
37 ème jour de confinement.

Petit conseil, aller voir le Journal de Jeanne qui compile quelques autres morceaux choisis 

9 commentaires:

patrick.verroust a dit…

Bonjour Zoë,

Votre article m'a fortement plu, j'espère que nous serons nombreux à défendre nos droits fondamentaux , en particulier, celui d'aller et venir. Je vous fait grâce du courrier que j'ai envoyé aux députés de ma circonscription, ainsi qu'aux hautes autorités qui se croient autorisées. Je vous en transmets le titre:
NON à LA DICTATURE DE COVID 19
Manifeste d’un être humain
Citoyen
Assigné à Résidence, transformé en ZEK

Objet : Refus d’ un Confinement de longue Durée
POUR LES PERSONNES Âgées ou en Situation de Faiblesse
REFUS DE la discrimination
Suivie d’une analyse Prospective sur la situation présente

Je vous recommande de lire l'article du professeur Gaëtan Gavazzi , publié dans le monde du 15 et 16 :« Pour le déconfinement, la discrimination par l’âge est à bannir »

patrick.verroust a dit…

Re-Bonjour :

Dans mon courrier , j'ai pointé que si la récession actuelle est aussi forte que celle de 1945, cette dernière a été suivie des "trente glorieuses" , qu'il y a de grands chantiers pour préparer les réponses aux crises qui se profilent. J'ai fait remarqué que les concepts-valises de récession et de croissance sont flous , que l'indice , introduit dans le PIB, devrait être un indice de référence pour les deux concepts précités...

patrick.verroust a dit…

"Distanciation sociale" que voilà une jolies expression pour une société fracturée covide de contacts....

Zoë Lucider a dit…

@PV, pas de discrimination , quel que soit le motif. On va "punir" les gens d'être vieux. Et comme le dit très bien le texte, c'est quand on est âgé qu'on a le plus besoin de contacts humains.

Anne a dit…

Bonjour Ariele (ou zoé?)e, venant de chez Tania, j'ai survolé plusieurs de vos articles récents et j'aurais beaucoup à dire, mais inutile: je suis plutôt d'accord, surtout avec l'article ci- dessus.
Je mets votre lien sur bloglovin et viendrai régulièrement, commentaire ou pas.
Merci!
Bon confinement!
Anne

Zoë Lucider a dit…

@Anne, bienvenue sous l'arbre. Arièle non, Zoë oui. je suis allée voir votre blog. Très belles compositions

Tania a dit…

Oui, c'est dur de mourir au printemps, et sans ses proches à son chevet. Tout cela est trop sensible pour que je commente davantage.

Dominique Hasselmann a dit…

Belle lettre que celle de la Française à Venise (idem pour la photo).
Le gouvernement, qui n'en est plus à un revirement près, a fait marche arrière concernant le "confinement" prolongé jusqu'à la fin de l'année... tel qu'il avait été annoncé solennellement par le petit Chef à la télé dans sa dernier "adresse " à ses "chers compatriotes".
On fait maintenant confiance à "la responsabilité individuelle" des personnes âgées.

Idem pour les Ephad où leur majorité est parquée : on accorde maintenant un droit de visites (deux personnes, pas plus) avec mesures de précaution. Un semblant d'humanité apparaît soudain, bizarre !

Mais on va réouvrir les écoles... va comprendre !!! Il faut que les Français travaillent plus, comme l'a dit le Medef.

La "gouvernance" en cette période de pandémie navigue doncà vue (comme le porte-avions Charles-de-Gaulle) : vivement l'élection présidentielle (on ignore si d'autres pourront avoir lieu avant !), afin qu'on renvoie définitivement le petit Guignol dans ses foyers. ;-)

Zoë Lucider a dit…

@Tania,Oui, je comprend, je vous embrasse très fort.
@D.H Oui on se rappellera de cette époque comme la navigation à vue par temps de brouillard. Pourvu qu'au final nous ne touchions pas de plein fouet l'iceberg de la dure réalité.