L'énigme du dimanche (qui n'a pas mobilisé les foules!) trouve sa réponse ce jour. Le texte était extrait de Ruines-de-Rome paru en janvier 2002. Son auteur Pierre Senges né en 1968, publie chez Verticales (éditeur réputé à juste raison pour publier une littérature de recherche, des auteurs singuliers).
Un employé du cadastre, qu'une retraite sans flambeaux menace, met sa misanthropie ordinaire au service des plus noires prophéties: du jardinage considéré comme un des beaux-arts de l'Apocalypse. Feignant de cultiver son petit lopin de terre, ce paysan amateur et saboteur authentique couvre la ville de fleurs et d'arbrisseaux décoratifs. Et nul ne devine, derrière l'inoffensif passe-temps, un travail de sape qui dévaste les murs, soulève le goudron et fait retourner l'urbaine civilisation à ses friches premières. Semant sa mauvaise graine, il s'arme de patience et d'herbes folles. Il use du moindre prétexte végétal pour satisfaire ses cruautés drolatiques et laisser libre cours au chiendent de la rêverie, non sans nouer quelque idylle clandestine avec sa voisine de potager. Introduction de l'édition de poche Point Seuil 2004
Senges, je l'avais écouté au cours de Feuilles d'Automne, édition consacrée cette année à Lydie Salvayre qui l'avait invité à présenter son dernier livre. Il était passé à la question par Thierry Guichard du Matricule des anges. Entretien plein d'humour avec ce drôle de typequi avoue une passion d'encyclopédiste et se consacre à un métier de ciseleur de métaphores époustouflantes. Je reproduis la présentation de Guichard dans le MDA,n°092, avril 2008
Ébouriffant et drôle, le nouveau livre de Pierre Senges est à lui seul un festival de trouvailles littéraires.
Le nouveau livre de Pierre Senges est un mangeur de post-it. Chaque fois que vous tombez sur une phrase épatante, une métaphore juste et étonnante, une pensée roulée comme un mannequin dans un défilé de mode, vous annotez le livre ? Impossible ici, c'est un ouvrage déjà annoté que nous sert l'éditeur. Les annotations sont des aphorismes signés du grand maître allemand Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799) dont la plupart sont si savoureux que vous voudrez aussi les noter. Alors le post-it s'impose. À raison d'un par page, ça fait vite beaucoup, CQFD.
Pierre Senges a imaginé ici qu'un certain Herman Sax, un siècle après la mort de Lichtenberg découvre que ses huit mille pensées sont en fait les fragments rescapés de la dispersion d'un seul et même roman.
Sa théorie est immédiatement reprise par une académie de tristes ratiocineurs suédois. Les Lichtenbergiens, bientôt, couvriront les membres de cette académie de leurs travaux, hypothèses, recherches. Il s'agit de prendre les fragments un à un et d'essayer de les assembler pour retrouver le corps du roman disparu. La tâche n'est pas aisée. Il convient, également, d'envisager toutes les causes possibles à l'éparpillement d'une oeuvre magistrale et là, les propositions ont de quoi provoquer le fou rire. Bien qu'une table des matières guide le lecteur, il reste difficile de résumer un tel livre. Pierre Senges s'en donne à coeur joie pour ressusciter les débats de l'époque et des époques suivantes, la naissance de sciences charlatanesques comme la physiognomonie inaugurée par un Lavater auquel son Lichtenberg adresse de savoureuses et rageuses missives. Il développe mille théories dont la plupart sont très romanesques, aborde une étude prolongée de l'hypocondrie, explore les milieux culturels d'Occident, pointe les éléments d'un art poétique fort séduisant. Surtout, il nous offre des propositions inédites, nous surprend prodigieusement, en une phrase ou en mille dans une symphonie de la langue : " imaginons un livre trouvé par hasard au sommet d'un arbre et lu sur la branche, ouvert d'une main, l'autre s'accrochant à une pomme ". Renversant, non ?
Fragments de Lichtenberg Verticales 633 p., 23,90 euros