
C'était la Saint Valentin hier ? Ah bon! Justement, étaient de passage mes amis chéris, amis, amours, on ne sait quelle nuance. Le temps s'était mis au plus beau, le froid nous pelait le nez et les oreilles mais j'étais contente de leur offrir un tour sous les rayons après tout ce gris qui les avait accablés. Nous avons marché sur la petite route, bordée de grosses mottes ocres, et finissant en impasse sur le lac, aménagé autrefois à grands frais pour abreuver les cultures, qui ne sert plus que de réserve aux canards, crapauds et autres carpes. Paysage paisible et changeant avec ce faux air d'immuabilité rassurante et trompeuse. La terre sculptée par le labour.
Je venais de lire un article de
Paul Shepard où ce précurseur de l'écologie politique décortique les logiques qui ont fondé la civilisation agricole et urbaine au détriment de celle des chasseurs cueilleurs pourchassés, spoliés voire assassinés au cours des temps. Or, Sheppard montre que ces tribus ont perduré pendant des millénaires grâce à une économie dont une poignée de survivants nous donnent encore en exemple les modes et les mœurs aux antipodes des nôtres.
Cette terre sculptée c'est "la pathologie écologique".
(En soutenant des populations humaines vastes et mal-nourries, et de par leurs effets destructeurs sur l’environnement lorsqu’elles sont cultivées en monocultures, les céréales sont réellement le symbole et l’agent de la guerre agricole contre la planète). Le détail de son long argumentaire vaut le détour, qui associe tous les maux dont nous souffrons à ce changement de paradigme capital qui a transformé l'homme (avec une détérioration de sa propre image ) de chasseur en laborieux laboureur, s'inventant son propre esclavage, domestiqué par son cheptel. Pour justifier la haine dont ils sont l'objet, les chasseurs- cueilleurs sont caricaturés, y compris par des scientifiques de mauvaise foi (dixit Shepard)
"Après avoir équipé le chasseur avec des impulsions bourgeoises et des outils paléolithiques, nous jugeons par avance que sa situation est sans espoir." Pourtant il pratiquait un contrôle des naissances, il n'avait pas besoin comme le paysan de bras, au contraire il se défiait de trop de bouches à nourrir, qui aurait pu endiguer le débordement démographique, la vraie bombe à retardement . Mieux, le temps consacré à la survivance et aux questions matérielles lui laissait le loisir des siestes, des jeux avec les enfants, des fêtes et autres sources de satisfaction dont les peuples agricoles puis ouvriers ont dû faire le deuil.
Les chasseurs-cueilleurs résistent à la flatterie de leurs voisins fermiers et éleveurs, des missionnaires, des bonnes âmes, des publicitaires et des soldats. Ce n'est qu'en les capturant, qu'en les piégeant, qu'en les piétinant et qu'en les cassant qu'on pourra leur faire abandonner leur “sauvagerie très primitive” en échange du paquet cadeau bien parfumé et joliment emballé de la civilisation.
Si nous ne pouvons imaginer revenir en arrière, en revanche les principes de sobriété et de limitation de nos appétits matériels au bénéfice de ce qui n'altère ni ne pollue et cependant nous remplit et nous dilate (l'amour, l'amitié, la musique, l'art) serait un renversement de paradigme enfin postnéolithique.
Les problèmes contemporains ne sont (...) nouveaux que dans leur amplitude. L'arrogance et l'apathie (hybris et akedia) qui les sous-tendent sont aussi vieilles que la civilisation.
Et puisque c'était la fête des amoureux un petit cadeau qui ne coûte rien et qui vaut de l'or
« O parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans les draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus ·
Et toi fille verte mon spleen
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
D'où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles »
Léo Ferré La mémoire et la mer