mardi 17 février 2009

Nous sommes tous créoles


Il se passe des évènements extraordinaires aux Antilles. Les médias insistent sur la grève anti vie chère, mais la vie chère est le détonateur. C'est tout autre chose qui est en jeu, enjeu.
J'ai sélectionné ci-dessous quelques très belles assertions que je soutiens des deux mains
(...) la force de ce mouvement est d'avoir su organiser sur une même base ce qui jusqu'alors s'était vu disjoint, voire isolé dans la cécité catégorielle – à savoir les luttes jusqu'alors inaudibles dans les administrations, les hôpitaux, les établissements scolaires, les entreprises, les collectivités territoriales, tout le monde associatif, toutes les professions artisanales ou libérales. (...)
Derrière le prosaïque du "pouvoir d'achat" ou du "panier de la ménagère", se profile l'essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l'existence, à savoir : le poétique. (...)

Le libéralisme procède à une "épuration éthique" à savoir désenchantement, désacralisation, désymbolisation, déconstruction même) de tout le fait humain. (...)
Ce mouvement se doit donc de fleurir en vision politique, laquelle devrait ouvrir à une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes. (...)
tous ces mécanismes que créent un nuage de voracités, (donc de profitations nourries par " l'esprit colonial " et régulées par la distance) que les primes, gels, aménagements vertueux, réductions opportunistes, pianotements dérisoires de l'octroi de mer, ne sauraient endiguer.(...)

On peut mettre la grande distribution à genoux en mangeant sain et autrement.(...) Ceci fait partie et depuis fort longtemps de mes convictions profondes. Et encore ce qui suit
On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété.
Je ne peux que recommander d'aller lire en détail la totalité de la déclaration de ces intellectuels. Oui les intellectuels ont un rôle majeur à jouer dans le rétablissement d'un monde respirable, actuellement placé sous le couvercle des maniganceurs du profit à tout crin.
Il est vraiment temps que ceux qui se prennent pour les puissants s'assoient en toute modestie avec ceux qu'ils prennent pour quantités négligeables sous l'arbre à palabres.

Neuf intellectuels antillais, Ernest Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William ont rédigé ce "Manifeste pour les 'produits' de haute nécessité".

http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/02/16/neuf-intellectuels-antillais-contre-les-archaismes-coloniaux_1156114_823448.html


Photo. Permanent Invisible. Clemt


lundi 16 février 2009

Dialogue taiseux















Il joue sur un Stradivarius, moi je joue sur un Stradivaurien
L'anathème ça vaut rien
Qu'est-ce qui vaut la peine de quoi?
Le bonheur comme mètre étalon ça vaut rien
Ca se tortille et ça mesure la tête en bas
C'est hypothétique et même hypothéqué
Tout est hypothétique, faut juste choisir l'hypothèse
Qui reste à l'épreuve des preuves
Les preuves fatiguent la vérité

Photo Sans toi(t). ZL


dimanche 15 février 2009

Amours anciennes


C'était la Saint Valentin hier ? Ah bon! Justement, étaient de passage mes amis chéris, amis, amours, on ne sait quelle nuance. Le temps s'était mis au plus beau, le froid nous pelait le nez et les oreilles mais j'étais contente de leur offrir un tour sous les rayons après tout ce gris qui les avait accablés. Nous avons marché sur la petite route, bordée de grosses mottes ocres, et finissant en impasse sur le lac, aménagé autrefois à grands frais pour abreuver les cultures, qui ne sert plus que de réserve aux canards, crapauds et autres carpes. Paysage paisible et changeant avec ce faux air d'immuabilité rassurante et trompeuse. La terre sculptée par le labour.
Je venais de lire un article de Paul Shepard où ce précurseur de l'écologie politique décortique les logiques qui ont fondé la civilisation agricole et urbaine au détriment de celle des chasseurs cueilleurs pourchassés, spoliés voire assassinés au cours des temps. Or, Sheppard montre que ces tribus ont perduré pendant des millénaires grâce à une économie dont une poignée de survivants nous donnent encore en exemple les modes et les mœurs aux antipodes des nôtres.
Cette terre sculptée c'est "la pathologie écologique". (En soutenant des populations humaines vastes et mal-nourries, et de par leurs effets destructeurs sur l’environnement lorsqu’elles sont cultivées en monocultures, les céréales sont réellement le symbole et l’agent de la guerre agricole contre la planète).
Le détail de son long argumentaire vaut le détour, qui associe tous les maux dont nous souffrons à ce changement de paradigme capital qui a transformé l'homme (avec une détérioration de sa propre image ) de chasseur en laborieux laboureur, s'inventant son propre esclavage, domestiqué par son cheptel. Pour justifier la haine dont ils sont l'objet, les chasseurs- cueilleurs sont caricaturés, y compris par des scientifiques de mauvaise foi (dixit Shepard) "Après avoir équipé le chasseur avec des impulsions bourgeoises et des outils paléolithiques, nous jugeons par avance que sa situation est sans espoir." Pourtant il pratiquait un contrôle des naissances, il n'avait pas besoin comme le paysan de bras, au contraire il se défiait de trop de bouches à nourrir, qui aurait pu endiguer le débordement démographique, la vraie bombe à retardement . Mieux, le temps consacré à la survivance et aux questions matérielles lui laissait le loisir des siestes, des jeux avec les enfants, des fêtes et autres sources de satisfaction dont les peuples agricoles puis ouvriers ont dû faire le deuil. Les chasseurs-cueilleurs résistent à la flatterie de leurs voisins fermiers et éleveurs, des missionnaires, des bonnes âmes, des publicitaires et des soldats. Ce n'est qu'en les capturant, qu'en les piégeant, qu'en les piétinant et qu'en les cassant qu'on pourra leur faire abandonner leur “sauvagerie très primitive” en échange du paquet cadeau bien parfumé et joliment emballé de la civilisation.
Si nous ne pouvons imaginer revenir en arrière, en revanche les principes de sobriété et de limitation de nos appétits matériels au bénéfice de ce qui n'altère ni ne pollue et cependant nous remplit et nous dilate (l'amour, l'amitié, la musique, l'art) serait un renversement de paradigme enfin postnéolithique. Les problèmes contemporains ne sont (...) nouveaux que dans leur amplitude. L'arrogance et l'apathie (hybris et akedia) qui les sous-tendent sont aussi vieilles que la civilisation.


Et puisque c'était la fête des amoureux un petit cadeau qui ne coûte rien et qui vaut de l'or

« O parfum rare des salants

Dans le poivre feu des gerçures

Quand j'allais géométrisant

Mon âme au creux de ta blessure

Dans le désordre de ton cul

Poissé dans les draps d'aube fine

Je voyais un vitrail de plus ·

Et toi fille verte mon spleen

Et je voyais ce qu'on pressent

Quand on pressent l'entrevoyure

Entre les persiennes du sang

Et que les globules figurent

Une mathématique bleue

Dans cette mer jamais étale

D'où nous remonte peu à peu

Cette mémoire des étoiles »

Léo Ferré La mémoire et la mer



mercredi 11 février 2009

Son siège dans le bon angle


Toute littérature est entachée de ridicule : sa gravité, sa solennité, son outrance, son tour péremptoire ou inspiré... inévitablement l’un ou l’autre de ses profils est déjà sa caricature. Le lecteur n’a plus qu’à disposer son siège dans le bon angle pour y trouver matière à rire et se moquer. La conscience aiguë de ce ridicule constitue sans doute le secret désespoir de tout écrivain lucide.

Eric Chevillard (soi-même) l'Autofictif

Photo OC

mardi 10 février 2009

Le taureau par les cornes


« Volonté imparfaite, intention fugitive ». La diablesse Velléité me harcèle. Elle rôde à l'affût de chacune de mes rêveries qui sont temps de concoctions de stratégies d'efficacité. Je contemple les jours à venir, je les bourre jusqu'à la gueule de résolutions, j'élabore de savants agencements pour tout articuler dans une économie bien ajustée de fins et de moyens, j'échafaude les argumentaires, je prévois mes itinéraires. Bien entendu, mon maillage accuse de multiples coups de ciseaux délivrés à l'impromptu par sa Majesté Velléité, Vel pour les intimes. Elle s'attaque sans vergogne à tous mes chantiers -je m'efforce d'en mettre en route de multiples dans le même temps, se livrant des concurrences impitoyables, lui facilitant ainsi la besogne. Je souhaite insister sur le caractère éminemment intime de nos relations. Mon entourage ne soupçonne pas notre permanente cohabitation. On aurait tendance à me trouver agitée et productive au moment même ou son poison m'engourdit. Il gauchit mon regard et me porte à considérer soudain ce que je me proposais de prendre en mains, voire que je manipulais déjà, comme parfaitement dérisoire, dénué de tout attrait, monstrueusement lourd, stupide, dévoreur de temps et d'énergie. A peu près toutes mes entreprises rencontrent Vel sur leur chemin. Même momentanément désarmée par mon obstination à poursuivre, repliée dans sa petite molécule, elle ne s'absente jamais totalement. Je la connais depuis toute petite. Nous nous crêpons le chignon depuis le berceau. J'ai sans cesse dû lui claquer sa petite gueule ironique et boudeuse.

Elle se le tient pour dit quelques minutes, quelques heures, quelques années, ça dépend du sujet et revient à la charge avec ses petits sifflotements moqueurs, ses sarcasmes foudroyants.

« Je » se doit d'être honnête, il lui arrive plus souvent qu'il ne faudrait d'écouter la harpie

- pourquoi t'agiter quand tout cela sera à refaire sous peu (« Je » nettoie les vitres ou arrache des herbes au jardin)
- prendre un stylo pour noter ta fulgurante idée ? Qu'a-t-elle de si extraordinaire, mille cerveaux l'ont déjà formulée (« Je »réfléchit à un article ou a un petit morceau de bravoure lyrique -té léphoner ? Pour parlerde quoi et à qui? (« Je » songe à la négligence de ses amitiés)

- aller au concert ? Combien de kilomètres à déguster avant d'entrer dans la foule (« Je » se désole de la pauvreté de ses sorties).

Tout pourrait aller au mieux si « Je » ne réclamait sa petite collection de bons points à se décerner et ne trouvait, la nuit venue, la collection un peu maigre. « Je »est plein de forfanterie, imaginant, le naïf, qu'il a un rôle même modeste à jouer, dans l'orchestration du monde. Vel prétend que tout se vaut et rien ne se ressemble. Ce n'est pas encourager rationalité et catégories. Sa ritournelle : « il y a trop de tout, c'est de vide que nous manquons» . Ce n'est pas très stimulant pour l'effort.

On doit à la vérité de reconnaître à ce point de vue de sérieuses victoires quand il évite à « Je »de saumâtres déconvenues. Renoncer à sortir pour s'en féliciter quelques heures plus tard, quand la tempête s'est levée méchamment et qu'un excellent concert passait à \a radio. Vel fanfaronne alors, elle pose à l'intuition lumineuse. Elle sort ses meilleurs arguments sous les atours veloutés de la prudence, ses formes les plus lascives. Elle est l'ennemie déclarée des arpenteurs de sentiers escarpés vers les sommets noyés de brouillard qu'il faudra abandonner pour le chemin de retour. Vel se sert de mille subterfuges pour déranger le cours des accomplissements, elle opère sous forme d'incursion (le téléphone, un enfant, un orage). Plus l'envahissement se prolonge plus sa pression s'affirme, elle va tordre le bras sans appel. Elle opte pour les incontournables lancinants (la faim, la soif, le sommeil), use de ruses (maux de tête, foulure du doigt, sciatique), casse la machine pour tempérer sa fougue. C'est elle qui rend l'hôpital attractif aux bien portants, On peut y être dorloté et exempté de tout service. Hélas, il faut faire la preuve qu'on souffre vraiment et on n'est jamais sûr de ne pas mourir, ça réduit les marges de manœuvre de notre discoureuse.

Vel a un frère jumeau (si on peut dire compte tenu de leur symétrique androgénie). Si plaisir (le jumeau) jaillissant, fait gonfler la voile de l'intention, Vel replie ses tréteaux et laisse la piste libre. « Je » s'en empare. Ah ! Ah! Jusqu'au bout, j'irai jusqu'au bout, le point final à une portée de syllabes, une conclusion qui ferme le ban.

Bon, je l'ai matée pour cette fois la diablesse. Je vais me faire un petit thé. Si je ne reviens pas, c'est elle qui m'aura eue.

Photo Colombe occitane O C

lundi 9 février 2009

Bonnes résolutions



Regarder le sexe au fond des tropismes,
Détrôner le Dieu CAC et la déesse pépette
Eviter de se prendre pour le centre d'un monde
Accepter la folie, rechercher la raison
Suspendre les convictions, regarder à deux fois
Minimum
Refuser la violence, rétablir la palabre
Visiter les paradis artificiels et en redescendre
Caresser et non battre, baiser et non hacher
Oindre les tout petits de mots doux pour la route
Se mêler de ce qui nous regarde
Regarder de quoi ils se mêlent
Humouriser comme on vaporise
Voyager sur la pointe des pieds
Partager tout ce qui encombrerait sinon
Cultiver silence et solitude
Bramer en coeur quand ça nous chante
Installer la ville à la campagne
Et vice versa
Présenter un passeport vierge aux frontières
Saluer d'un bras levé le soleil et le vent.

Photo Little Buda. ZL

samedi 7 février 2009

Cartes postales rétroactives (1) . Cornes de gazelle



Entre la frontière rwandaise et Biramulo en Tanzanie, seuls Muzungu (nous deux) dans un bus bourré d'Africains, frontaliers ou non. Les Ougandais sont à l'époque réfugiés politiques en diaspora dans toute l'Afrique centrale et de l'Est. A l'approche de la frontière une partie des passagers s'est évanouie dans la nature et n'a réintégré le bus que quelques kilomètres au delà. Le douanier s'est un peu énervé, nos passeports sont trop en règle. Pourquoi avions nous acheté notre visa à Kigali au lieu de nous en acquitter à proximité immédiate de ses poches !
Nous roulons sur une piste de latérite. La guerre entre l'Ouganda et la Tanzanie a ruiné le pays et le réseau routier relativement en bon état (aide de la Chine à Nyerere) a été bousillé par les chars remontant de Dar el Salam vers Kampala pour faire rendre gorge à Idi Amin Dada qui s'était lancé dans une ultime mégalomanie, envahir la Kagera. Il manque une vitre et nous avons un foulard en filtre sur la bouche et le nez, notre peau est d'un rouge franc au dessus. Nous roulons et la savane et ses herbes hautes et grillées s'étend à l'infini. Brusquement du maïs et du blé, des arbres à thé des caféiers, une profusion effarante. Le bus s'arrête. Des nuées d'enfants nous proposent des petites bananes , des graines grillées, des boulettes de céréales. Nous finissons par comprendre que nous sommes au sein d'une expérience agronomique canadienne; le flux de dollars et d'engrais a transformé la savane en coulée verte. Quelques 25 kilomètres d'épis dressés hauts et de route goudronnée et nous rejoignons les mornes étendues poussiéreuses et les nids de poule chaotiques. Plus tard, le bus s'arrête à nouveau, au milieu de cette savane à peine hérissée de quelques arbres décharnés et cependant majestueux, baobabs mythiques dont la découverte m'a au premier abord déçue. Peu de couronne, une peau d'éléphant, une allure balourde mais une telle variété de forme, et des circonférences du tronc inouïes. Une cahute se dresse là. Tout le monde descend. Mon compagnon s'est endormi et le remue-ménage de l'étape ne l'a nullement alerté. J'ai très envie d'une tasse de thé. Je vais m'installer à une des tables de la taverne de fortune. Je ne suis pas très à l'aise, seule face de lune parmi ces visages de pure anthracite. Je tente de boire au plus vite mon thé mais il est brulant. Une femme qui partage une table voisine avec deux autres se porte vers moi. Elle pose près de ma tasse deux cornes de gazelle dans une coupelle, accompagnant son offrande d'une mimique de complicité rieuse pour ma solitude d'égarée. Ce geste d'amicale sollicitude me revient souvent en mémoire. Il me serre le cœur lorsque, -l'actualité est prodigue-, j'entends que l'un ou l'autre de ces ressortissants venus de ce magnifique continent où j'ai voyagé en toute liberté est saisi au col, sans ménagement et "renvoyé".

quelques unes de mes négresses chéries : la grande Billy, Rokia Traore, Angélique Kidjo
et Aminata Traore