jeudi 26 décembre 2019

Survol des dernières pérégrinations avant de passer en l'an 20

Septembre Saint Petersburg. (Russie)
Une ville très européenne où je ne suis pas restée longtemps, hélas et n'ai eu qu'une petite demi-journée pour l'explorer (me perdre en fait, confondant les bras de la Neva avec la rivière elle-même). Après cela j'ai eu l'occasion de la visiter à la rencontre des initiatives d'économie solidaire et le dernier jour, invitée chez Olga qui habite sur l'île de Kotline, port commercial et militaire de Saint Petersbourg. Depuis peu une route relie l’île par le Sud avec un court tunnel passant sous la voie maritime principale de la Baltique.  L'île qui fait face à la Finlande dont on voit les rives  a été complétement défigurée par le pont autoroutier  qui l'enjambe et a obligé les habitants à quitter leurs logements pour fuir le roulis incessant au-dessus de leurs têtes. Olga qui habite un peu à l'écart du monstrueux vacarme  envisageait cependant  de déménager parce qu'il est dangereux de se rendre à bicyclette de l'île au centre de Saint Petersburg par le tunnel. Pour l'avoir emprunté en me rendant  sur l'île, je confirme, je n'y risquerais pas mes os. 



De retour chez moi, un petit tour sur les bords du Tarn à Gaillac, lieu absolument paisible.


Octobre : Bergame
Promenade dans la vieille ville et diner dans un restaurant tenu par une coopérative très ancienne. Puis travail, car je ne suis pas venue en touriste

Ainsi avons nous visité la Cooperativa Ruah une recyclerie qui emploie des personnes en difficulté d'insertion et notamment des migrants.


 Une journée entière a été consacrée à la visite de la coopérative IRIS, créée en 1978 par un petit groupe qui souhaitait promouvoir l'agriculture de qualité et la consommation de proximité et qui s'est dotée ensuite d'une usine de transformation afin de contrôler d'un bout à l'autre la chaîne de production.



Nous avons rencontré un de ses fondateurs, Maurizio Gritta au sein de l'usine nouvellement aménagée, hyper moderne. Il nous a fait part de l'historique de la coopérative qui a organisé pragmatiquement son évolution tout en maintenant les principes essentiels qui étaient à l'origine du groupe d'acteurs initiaux : ne pas empoisonner la terre, créer des emplois en particulier pour les femmes, entretenir une relation directe avec les consommateurs, maintenir la propriété collective des moyens de production considérés comme un bien commun. Un objectif central est aussi d'assurer un juste prix pour le producteur et le consommateur. En suivant, la visite à la ferme a permis de mieux comprendre le lien entre toutes les activités, notamment celles qui consistent à faire connaître l'économie solidaire par le biais d'interventions auprès d'enfants de 7 à 11 ans dans leurs écoles, assurer la relève en quelque sorte.

Retour chez moi et petite après-midi détente chez des amis qui ont conçu une très belle maison construite entièrement par le propriétaire avec quelques coups de main quand même


Novembre : Jackson Mississippi
Nous sommes au cœur de la résistance des Confédérés au temps de la guerre de Sécession. Il y a d'ailleurs deux Capitoles, l'un qui n'est pas utilisé et sert exclusivement aux commémorations des hauts faits de Fédérés


L'autre tient son rôle de chambre des lois


Ce monument est dédié à toutes les femmes qui ont souffert de la perte d'un fils, d'un mari, d'un frère au cours de la guerre. 

De ce côté ci de la ville on rend hommage aux activistes des droits civiques assassinés




Medgar Evers est un héros dans la ville de Jackson. Assassiné par un suprémaciste du Ku Klux Klan en 1964 ce n'est qu'en1994, plus de 30 ans après le meurtre, que son assassin, De La Beckwith est enfin condamné après avoir vécu libre pendant 30 ans.
Chokwe Lumumba  quant à lui est également un activiste de la   Republic of New Afrika un mouvement de défense des noirs afro américains. Il est mort alors qu'il avait été élu maire de Jackson, sa mort suspecte n'a pas été élucidée.
Il n'est pas inutile d'indiquer que la population de Jackson est à 80% afro-américaine.

Nous étions merveilleusement bien accueillis par Coopération Jackson, une organisation fondée dans le but de développer une " économie solidaire " démocratique et édifiante à Jackson, Mississippi. Ses objectifs déclarés sont de développer une série d'institutions et d'entreprises indépendantes mais connectées qui peuvent donner du pouvoir aux résidents de Jackson, en particulier ceux qui sont pauvres, sans emploi, noirs ou latinos. Plusieurs coopératives existent déjà. Il s'agit notamment de l'entreprise d'entretien des pelouses The Green Team, de la ferme de légumes biologiques Freedom Farms et de l'imprimerie The Center for Community Production, qui exploite également une imprimante 3D. Ces coopératives tentent d'atténuer les causes de la pauvreté et de la discrimination tout en opérant de manière écologiquement durable. Il existe également un incubateur de coopératives, appelé Balagoon Center. L'organisation possède environ trois hectares de terrain qu'elle exploite en tant que fiducie foncière communautaire. 

Retour cahotique : correspondance manquée à Chicago où il faisait un froid de loup, transfert vers le Hyatt Regency le genre d’hôtel absurde où dans des espaces immenses  deux lits king size, un écran télé qui dévore le mur face au lit sont logés des égarés de l'espace aérien qui n'y passent guère plus d'une nuit. Gabegie absolue!

Un peu de jetlag et on enchaine. Toulouse, Forum Régional de l'Economie Sociale et Solidaire. Retenons le bel hommage à Marielle Franco, jeune femme assassinée à Rio de Janeiro en 2018

   
Juste après, Dijon où Alternatives économiques organisaient les Journées de l'Economie Autrement.
dans le Palais des Ducs et des Etats de Bourgogne. Eu le temps de faire un tour au Musée des Beaux Arts qui a bénéficié d'une très belle rénovation, et serait  l'un des plus importants après le  Louvre (dixit)



 On clôture cette cavalcade entre les continents par les illuminations de l 'Opéra.


Voilà pourquoi je me fais si rare ici. Je vous souhaite le meilleur pour l'année qui vient 

samedi 7 septembre 2019

Une insolente inspirante.

Un livre  pour découvrir une femme extraordinaire dont la vie qu'elle souhaitait "magique" a été entravée par la violence de la dictature turque qui a voulu l'annihiler et n'y est pas parvenu, du moins pas encore parce que la menace continue de peser sur elle.
Une jeune fille grandie dans une famille stambouliote, père et mère aux idées progressistes et dont l'éducation très permissive, au sein d'un univers peuplé d'artistes et d'activistes a autorisé Pinar et sa sœur à explorer leur liberté tout en se consacrant à leurs études et à de multiples activités associatives.
"Je me souviens des remontrances faîtes à ma mère et à mon père, même devant nous:"Vous les gâtez trop, ensuite elles seront faibles, elles ne pourront pas s'en sortir dans la vie. " Mais mes parents n'écoutaient guère. En réalité, ils n'étaient pas du genre à nous gâter. Car entre nous il y avait du respect mais pas de distance. Nous étions sans cesse dans les bras les un.es des autres. Même à l'âge du lycée. Ils nous aimaient, leurs comptines et leurs paroles fleuraient l'amour. Nous ne sommes pas devenues faibles. Je pense que la force d'expérimenter l'immensité de l'amour repousse les frontières. Du moins c'est ainsi que je l'ai vécu."
Faible, Pinar ne l'est certainement pas. Elle a débuté sa vie en partageant volontairement le sort des enfants de la rue avec les dangers qu'une femme encourt dans ces contextes de violence mais l'empathie qu'elle a manifesté à ces exclus lui a valu d'être particulièrement protégée en toute circonstance. Elle crée des ateliers d'artistes des rues pour permettre aux marginaux (SDF, transgenres et autres proscrits) de s'exprimer et même de tirer quelques moyens de survie de leurs productions. Elle dit qu'elle s'est construite grâce à cette période .
 Ce sont ses travaux sur la communauté kurde -elle est sociologue- qui lui valent  la torture  et la prison. Ses travaux universitaires sur le mouvement armé kurde sont la pierre angulaire qui va transformer totalement sa vie. Le 11 juillet 1998, elle est enlevé par des policiers en civil et on lui intime l'ordre de donner les noms de ceux qu'elle a rencontrés au cours de sa recherche. Comme elle refuse elle est soumise à une série de sévices épouvantables pendant deux semaines, dont elle sort le corps brisé. Elle est jetée en prison accusée d'un attentat qu'elle aurait organisé et qui avait fait plusieurs morts à la suite de l'explosion d'une bonbonne de gaz. En prison elle découvre la solidarité féminine. Ses co-détenues  massent ses membres meurtris et  la soutiennent pendant tout son séjour qui durera deux ans et demi. En dépit de l'avis des experts qui avaient diagnostiqué une explosion accidentelle, et à cause du témoignage fabriqué d'un "repenti" la désignant comme l'instigatrice de l'attentat, elle est maintenue en prison jusqu'à son premier procès qui se solde par un non lieu. Elle retrouve la liberté -sous caution - au bout de deux ans et demi.
L'expérience de la torture et de la prison ont entamé sa santé physique et psychique "Ma force psychologique n'est plus la même. je suis plus facilement atteinte par les événements, j'ai des insomnies, des angoisses. Je fais plus d'efforts qu'avant. Je ressens une très grande fatigue émotionnelle. 
Plusieurs procès ont lieu qui se soldent chaque fois par une relaxe suivie d'un pourvoi par le ministère de l'intérieur. Les médias de droite la harcèlent d'articles injurieux, menaçants.
Pinar a repris ses activités militantes et crée avec de nombreuses femmes : militantes kurdes et arméniennes, amies transsexuelles et prostituées, journalistes, artistes, chanteuses, danseuses, une coopérative culturelle , Amargi ("Liberté" en langue sumérienne).
Son engagement féministe est entrelacé avec d'autres formes d'activisme : écologique, antimilitariste, pacifiste et de façon globale tout système de domination qui produit des gagnants et des perdants, de l'arrogance d'un côté, de l'humiliation d'un autre. De la haine qui mène par exemple à l'assassinat de son ami Hrant Dink, dont la femme lâche symboliquement des colombes lors de son enterrement et évoque l'assassin de son mari : "Il fut d'abord un enfant . Nous n'arriverons à rien avant de savoir comment cet enfant a pu devenir un meurtrier". Pilar entame une recherche sur le service militaire pour comprendre ce qui"transforme un enfant en meurtrier"
L'acharnement du ministère public se maintient et menace de renvoyer Pilar en prison de façon préventive en attendant son nouveau procès. Elle a alors 38 ans (2009) et elle part avec une simple valise  pour ne pas éveiller l'attention. L'exil commence qui dure jusqu'à ce jour.
Elle restera quelque temps en Allemagne mais choisira la France dont elle connaît au moins les rudiments de la langue et  la culture.
Une nouvelle période s'ouvre qui lui offre l'opportunité de rencontrer l'homme avec qui elle partage sa vie, d'entrer à l'université comme maître de conférences associée et de partager la vie de mouvements féministes et pacifiste. Elle obtient la nationalité française
Ce livre qui mêle le texte d'accompagnement de Guillaume Gamblin et de larges extraits des entretiens qu'il a menés auprès de Pinar et des extraits de ses écrits est d'une particulière intensité. Non seulement parce que le courage et la détermination de cette femme sont exceptionnels mais ses propos recueillis sont d'une grande qualité par la profondeur et la diversité de sa réflexion sur les différentes phases de sa vie, ce qu'elle en a appris sur le monde et sur elle-même. Elle vit toujours sous la menace de tueurs mandatés pour supprimer les opposants au régime turc. Cependant elle s'applique la philosophie de Gramsci "le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté".
Continuer à résister mais jusqu'à quand ? "Car il est fatigant de lutter tout le temps. Comme plusieurs, je me sens blessée et épuisée. Je rêve d'une vie qui ne m'oblige pas à lutter sans arrêt, à résister, à m'inquiéter. Mais c'est comme ça. Soit je vais continuer à subir et à m'habituer à la torture, soit je vais résister. La vie est courte. je le sais bien mais je voudrais au moins faire croître l'espoir. Je lutterai donc jusqu'à la fin...
Ce que je retiens de ma vie ? Dans ces chemins d'espoir, on fait des rencontres magiques, on tisse des amitiés profondes, on apprend à partager, à aimer, à voyager.
C'est la création du bonheur".