samedi 27 octobre 2018

Merci Fred Vargas


Eh! Oui, encore un remerciement. Trouvé sur Facebook et transféré ici où il sera moins lu, - normal je ne publie quasiment plus- mais où il restera de façon plus permanente. Fred Vargas dit tellement bien ce que je ressasse depuis longtemps sur ce blog et ailleurs. C'est un texte qu'elle a écrit  il y a une dizaine d'années et tellement terriblement d'actualté alors que la peste noire fait encore reculer l'horizon du possible.

Aucun texte alternatif disponible.



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''Lettre de Fred Vargas : la troisième révolution

Nous y sommes
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore''.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain

Petit rappel et recommendation Petit traité de toutes vérités sur l'existence (2001)

mardi 25 septembre 2018

Merci Manu

 

Je viens tout juste d'achever la lecture du dernier Manu Causse

Je suis très mauvaise critique, surtout si le livre m'a troublée, émue,, angoissée (les névralgies ophtalmiques, je connais, certes pas de l'intensité dont souffre le personnage, mais j'ai une familiarité intime avec le processus) . Cette histoire de jeune garçon puis d'homme victime, c'est tellement à rebours de  l'habituel héros de roman, toujours un peu plus héros que l'ordinaire des gens "normaux". Celui-là est comme une boule de flipper, il part dans tous les sens, chaque fois qu'un joueur le prend en main.  Il ne décide rien de sa vie, obéit aux injonctions de quiconque se prend d'intérêt pour sa personne, il se sent tellement personne. Ah! Non quel jeu de massacre! Une mère archi fêlée, qui le rabaisse et le brutalise, un père disparu, mort, mais en fait pas mort, Une femme qui le méprise et s'envoie en l'air sans vergogne et ainsi de suite. Une embellie avec une femme aimante mais ces satanées crises d'hallucinations fichent tout en vrac.  On suit le périple inouï de cet infortuné qui ne semble jamais savoir ce qu'il veut, parce qu'il s'est bâti sur le déni et le mensonge. Mais, il va... Je n'en dis pas davantage.  J'oubliais un élément important, tout cela est truffé de cocasseries, blindé d'humour et finalement plutôt optimiste. Lisez Manu. Et pour vous faire connaître le drôle de bonhomme je lui ai piqué un texte qu'il vient de faire paraître dans son blog 

Je le contresigne tant il est proche de mes propres ruminations. Inquiet mais à l'affut des signes de  résilience du "bon sens", car il y en a tout de même qui scintillent dans  ce magma d'absurdités

Chanson d'automne

Combien de temps que tu n'as pas glissé, par une nuit de demi-lune, dans le jardin,
combien de temps qu'à l'écart des dormeurs tu n'as pas écrit la veille du solstice, de l'équinoxe ?

tu ne comptes plus,
plus pour rien,
Combien de temps t'es-tu contraint à mesurer tes paroles,
tes mots, tes titres, un deux trois un deux trois,
à caler un image au centre ou à gauche ou à droite,
Combien de temps t'es-tu, combien de temps t'es-tu tu

J'ai peur, ce soir, j'ai peur à n'en plus dormir, à compter mes terreurs et mes bénédictions,
j'ai peur de ne plus compter, de ne plus écrire,
j'ai peur de voir la terre s'effondrer le ciel nous fondre sur la tête les eaux monter les chars envahir les rues la rage gagner du terrain,
la guerre engendrer la guerre engendrer la guerre engendrer la paix des épuisés

déjà dans le jardin les rats gambadent,
et que puis-je y faire, je refuse de les empoisonner,

je ne peux leur laisser ronger la substance toxique qui de leurs viscères coulera
dans les fleurs
dans le sol
dans les eaux qui s'infiltrent et la pluie qui remonte,
condamnant à l'avance bien plus qu'une portée de surmulots
un écosystème

piégé par mon économie, par mon système, pris à ma propre nasse, enfermé, infirme, finissant.

J'ai peur et j'enrage.

J'avais écrit cette histoire, Arthur et les oiseaux, ce texte sans prétention qui disait "On a sauvé les oiseaux", un passé dans le futur, conditionnel en quelque sorte,
et le texte était beau, le texte allait naître
et soudain - oh tiens non, il y a déjà ici - Le ciel sans les oiseaux.

J'ai souri, magnanime, hasard de l'édition, pas un texte parfait,
mais la nuit mon coeur soudain s'étrangle - pas pour les mots, par pour l'album,
mais pour ce que je dirai à l'Arthur qui m'inspire :

- Non, on ne les a pas sauvés ?

J'ai peur je n'en peux plus de penser la planète à deux doigts de la fin, au rebord du chaos. Ça m'est impossible, je m'y refuse,
je me voile les yeux
je me perds dans le bruit, le travail et le vin,
je me perds dans ce que je projette, j'ai chaud, je climatise,
je somatise en vrac, je ne veux plus sentir

Pourquoi suis-je muet - la frayeur qui m'agite est-elle inaudible ? Se perd-elle dans le fracas des disputes futiles (oh tel polémiste a bien fait son travail en insultant une telle, tel nervi qui rêvait de flingues et de conduites américaines se fait tancer publiquement, trompettes des médias, tambour des instabooks, cliquetweets assourdissants)

ou bien ne sert-elle à rien qu'à remplir les derniers jours ?

mais la Terre, bordel, la Terre s'ouvre, la Terre nous vomit, la Terre se gratte de nos excès, s'enflamme de notre prolifération, de notre insatiable, la Terre tempête de nous supporter,

La pyramide de Maslow, la pyramide de misère, besoin, toujours besoin, besoin d'en avoir plus, de produire reproduire surproduire et détruire
pour éloigner la nuit et les vieilles terreurs

besoin de brandir haut, de tremper tromper trumper défaire,
d'agir et de gicler, de secouer
besoin d'être violent
de détruire à moi seul le bien commun

Ô reconnaître que tout ça m'appartient
me découvrir incapable
de tout arrêter
de m'arrêter
d'arrêter

demain, demain j'

Alors, quoi faire ? Désespérer ?

Ou alors écrire.
Écrire l'avenir.
Clamer le récit de la planète que nous avons sauvée. Raconter nos échecs et nos crises, nos erreurs, le passé. Raconter l'avenir, tisser les lendemains,
l'équilibre,
convaincre par la légende
rallier par la beauté.

J'aimerais bien, tu sais, te raconter
la prise de conscience, le prix de la vie
comment les hommes ont appris à écouter
aux portes de leurs rêves
comment soudain, juste au bord de l'abîme,
ils se sont arrêtés,
se sont regardés mains tremblantes
se sont souvenus des enfants, des chemins dans les plantes
des oiseaux, du silence

d'un soir d'été il y a longtemps

ont respiré
se sont souri
ont reculé d'un pas, puis d'un autre
ont cessé de croire pour décroître
pour décoller

quelqu'un lança une plaisanterie, et tous rirent de ces rires qui fêtent la fin des guerres, de ces rires aux larmes gaies

et quand ils eurent franchi l'abîme d'un coup d'aile,

quand ils eurent compris
qu'ils n'étaient pas le monde, qu'ils en étaient la fin

ils partirent se reposer et se souvinrent

du jour où ils avaient failli devenir fou
et des histoires qui les sauvèrent.


La lune est calme. Une voiture passe sur l'avenue. Un moustique tète la chaleur de la lampe.
Je vais dormir. Je vais rêver.
Je me lèverai à l'automne
pour le fêter.


Merci Manu