mardi 16 janvier 2018

Un espace de l'amour débarrassé des harceleurs

Je reproduis ci-dessous un texte de la romancière Leîla Slimani, paru dans Libération qui exprime plutôt bien ce que je pense moi-même de l'épisode "la liberté d'importuner indispensable à la liberté sexuelle"  (noter le terme indispensable) Ma propre expérience m'a démontré suffisamment que les hommes détestent être importunés quand l'importune n'a pas leurs faveurs et que cela les révulse même qu'une "moche" (entendre éventuellement une vieille) prétende les aguicher. J'ai entendu dans la bouche de mes congénère masculins les blagues les plus insultantes à l'égard de quelque malheureuse, simplement un peu insistante par ses regards énamourés. C'est dire que la liberté d'importuner se trouve clairement dans un seul camp. En revanche, si je n'ai pas rejoint le chœur des "me too" c'est uniquement parce que j'ai du mal à entrer dans ce genre de buzz et qu'en dépit de mon soutien à toutes les femmes dans des circonstances de cet ordre, je fais partie de celles qui se sont débrouillées pour ne pas tomber dans un guet-apens de cet ordre (chance ou  intuition), Pourtant ce ne sont pas les épisodes graveleux qui ont manqué, les frotteurs , les invitations insistantes, les mains baladeuses, les propositions tendancieuses etc, de même les angoisses la nuit en rentrant chez moi quand un type collait à mes pas.
Donc merci Leïla pour cette réponse tranquille et joyeuse à nos prosélytes de la drague importune. Et  on peut voir qu'elle ne fait pas partie des féministes "moches et frigides", éternelle réplique aux prises de position des femmes pour la défense de leurs droits.




Marcher dans la rue. Prendre le métro le soir. Mettre une minijupe, un décolleté et de hauts talons. Danser seule au milieu de la piste. Me maquiller comme un camion volé. Prendre un taxi en étant un peu ivre. M’allonger dans l’herbe à moitié dénudée. Faire du stop. Monter dans un Noctambus. Voyager seule. Boire seule un verre en terrasse. Courir sur un chemin désert. Attendre sur un banc. Draguer un homme, changer d’avis et passer mon chemin. Me fondre dans la foule du RER. Travailler la nuit. Allaiter mon enfant en public. Réclamer une augmentation. Dans ces moments de la vie, quotidiens et banals, je réclame le droit de ne pas être importunée. Le droit de ne même pas y penser. Je revendique ma liberté à ce qu’on ne commente pas mon attitude, mes vêtements, ma démarche, la forme de mes fesses, la taille de mes seins. Je revendique mon droit à la tranquillité, à la solitude, le droit de m’avancer sans avoir peur. Je ne veux pas seulement d’une liberté intérieure. Je veux la liberté de vivre dehors, à l’air libre, dans un monde qui est aussi un peu à moi.
Je ne suis pas une petite chose fragile. Je ne réclame pas d’être protégée mais de faire valoir mes droits à la sécurité et au respect. Et les hommes ne sont pas, loin s’en faut, tous des porcs. Combien sont-ils, ces dernières semaines, à m’avoir éblouie, étonnée, ravie, par leur capacité à comprendre ce qui est en train de se jouer ? A m’avoir bouleversée par leur volonté de ne plus être complice, de changer le monde, de se libérer, eux aussi, de ces comportements ? Car au fond se cache, derrière cette soi-disant liberté d’importuner, une vision terriblement déterministe du masculin : «un porc, tu nais». Les hommes qui m’entourent rougissent et s’insurgent de ceux qui m’insultent. De ceux qui éjaculent sur mon manteau à huit heures du matin. Du patron qui me fait comprendre à quoi je devrais mon avancement. Du professeur qui échange une pipe contre un stage. Du passant qui me demande si «je baise» et finit par me traiter de «salope». Les hommes que je connais sont écœurés par cette vision rétrograde de la virilité. Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre, non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôlables. Un homme qui sait séduire par les mille façons merveilleuses qu’ont les hommes de nous séduire.
Je ne suis pas une victime. Mais des millions de femmes le sont. C’est un fait et non un jugement moral ou une essentialisation des femmes. Et en moi, palpite la peur de toutes celles qui, dans les rues de milliers de villes du monde, marchent la tête baissée. Celles qu’on suit, qu’on harcèle, qu’on viole, qu’on insulte, qu’on traite comme des intruses dans les espaces publics. En moi résonne le cri de celles qui se terrent, qui ont honte, des parias qu’on jette à la rue parce qu’elles sont déshonorées. De celles qu’on cache sous de longs voiles noirs parce que leurs corps seraient une invitation à être importunée. Dans les rues du Caire, de New Delhi, de Lima, de Mossoul, de Kinshasa, de Casablanca, les femmes qui marchent s’inquiètent-elles de la disparition de la séduction et de la galanterie ? Ont-elles le droit, elles, de séduire, de choisir, d’importuner ?
J’espère qu’un jour ma fille marchera la nuit dans la rue, en minijupe et en décolleté, qu’elle fera seule le tour du monde, qu’elle prendra le métro à minuit sans avoir peur, sans même y penser. Le monde dans lequel elle vivra alors ne sera pas un monde puritain. Ce sera, j’en suis certaine, un monde plus juste, où l’espace de l’amour, de la jouissance, des jeux de la séduction ne seront que plus beaux et plus amples. A un point qu’on n’imagine même pas encore.

On  espère que cette "prophétie" se réalisera.


   

13 commentaires:

patrick.verroust a dit…

Bonjour Zoë,

J’ai apprécié le texte de Leïla Slimani, je ne suis pas étonné de votre position. Je me sens coincé entre la déferlante « meetoo « qui me fait honte d’appartenir à la gent masculine et des propos pour le moins contestables portés par l’aura d’une actrice. Je regrette qu’il n’y ait pas plus de voix, tous genres mêlés, qui s’expriment sur une problématique commune à tous, mais dont les femmes sont plus facilement victimes. Au-delà du condamnable harcèlement, il est en jeux la qualité des rapports entre tous les individus qui devrait être fondé sur le respect et la non -discrimination différentielle. Est -il normal que tel notable offre à sa maîtresse étudiante un poste de DRH dans une fédération mutualiste au détriment de celles ou ceux qui avaient compétences et légitimité à occuper ce poste ?
En l’espèce, il n(y a pas que le notable qui est en cause mais tous les administrateurs qui ont toléré ce favoritisme. La seule façon d’éviter une guerre des sexes est d’édifier une culture de rapports individuels et collectifs ,commune à tous les genres. Cette culture doit permettre ,’épanouissement de tous et de chacun et l’exercice de libertés légitimes. J’ose l’écrire « l’amour de la liberté » doit s’accompagner d’une acceptation de règles du jeu pour ne pas sombrer dans un ultra-libéralisme qui, en réalité, est la loi de la jungle. Il y a aussi, des contraintes à apprécier et à combattre, les revendications de Leïla Slimani sont légitimes, elles se confrontent au corps social , très hétérogène.
Il y a l’art et la manière , « la débrouille » , une femme peut danser seule sur une piste de danse sans mettre les mâles en rut , une autre met le feu qui une fois allumé….De même une tenue sexy, portée par deux femmes aussi attirantes l’une que l’autre, peut être une provocation chez l’une , le simple exercice d’un choix vestimentaire sans ambiguïté chez l’autre. Au-delà de la culture dominante qui régit ou régissait les rapports homme/femme, une société très violente, très inégalitaire, trés érotisée qui plus est ne peut que générer des frustrations avec de fatals débordements . Je ne parle, même, pas de la misérable condition humaine qui s’exprime plus dans la vilenie et la barbarie que dans la bonté et « l’humanisme »…

patrick.verroust a dit…

Je n’ai , jamais été un adepte du slip kangourou, je me suis , jamais senti obligé de sauter sur tous les « jolis petits culs » qui passaient à porter...J’avais la réputation d’un séducteur qui ne séduisait pas, cela m’a valu de belles amitiés féminines, je ne le dis pas par gloriole, je n’étais ni coincé ni libertaire,Je ne comprenais pas mes copines qui ,se voulant libérées , entraient dans des jeux qui arrangeaient les mecs mais dans lesquelles elles n’étaient ni respectées ni estimées, au contraire. j’ai soutenu le féminisme dans les années 70 et longtemps après, je ne le ferai plus. Je n’aimerais pas être « poupoulé » , je perçois cela comme infantilisant. Peut être parce que j’ignore ce que cela recouvre, je n’ai jamais reçu les attentions qui m’étaient dues, enfant ou le retour de celles que je prodiguais et prodigue, adulte. Ai-je été moderne, trop tôt, n’ai-je pas compris les codes amoureux,je ne sais pas. La réponse importe peu, il est trop tard….Je sais, par expérience de vie, par expérience professionnelle, par engagements associatifs , la complexité des rapports humains, surprenants, toujours, décevants, souvent, d’une grande richesse, parfois. Sur le plan de la sexualité n’en parlons pas. J’ai été amené à veiller à ce que des regroupements d’adolescents ne tournent pas à l’aventure malsaine, il suffit d’un élément pour qu’un groupe bascule dans des rapports pervers , il suffit de l’extruder pour que l’équilibre revienne. J’ai participé à des rencontres sur les thèmes « touche pas à mon corps » et « savoir dire non », en particulier pour des « tournantes » . Ces sujets sont délicats , ils ne s’enferment pas dans des discours, apparemment, évidents ni dans des décodages simplistes ou « politiquement correct » ...La vie n’est pas politiquement correcte….Les problématiques se rapprochent de celles qui concernent l’initiation au tabac ,la drogue , l’alcool….Il n’est pas si facile d’échapper aux « normalités » installées et d’affirmer ses vrais désirs en toute liberté.

patrick.verroust a dit…

Je fus responsable d’une grosse structure de gestion de personnel. Il m’a fallu être ce que je suis et avoir de solides défenses pour résister aux tentations, les unes audacieuses et manipulatrices, d’autres , plus bon enfant, moqueuses, histoires de me désarçonner...Il y eut ,probablement, aussi de vrais cadeaux proposés sincères et sans arrière -pensées….
Membre du Ca d’un ciné-club, j’ai soutenu le projet d’un festival LGBT qui visait à une insertion de tous les genres dans la cité. Je suis allé aux premières séances , j’ai vite abandonné , je me sentais de trop dans un « entre soi » qui m’était étranger.
J’ai subi deux harcèlements, le premier très poussé d’une femme . J’aurais eu le même comportement, il aurait relevé du pénal. Le second eut lieu lors d’un bal dégenré dont j’étais coorganisateur, j’avais accepté l’invitation à danser d’un homme. Il eut le plus grand mal à comprendre qu’il n’y aurait pas de suite. Je fus sauvé d’une accusation d’homophobie par une amie qui poussa un coup de gueule. Une fille fantastique , homosexuelle et végan, elle n’hésite pas à chanter ses choix devant une assemblée de bouchers. Elle se fait applaudir, il faut du courage et du talent pour faire jaillir une tolérance pas gagnée d’avance. J’ai vécu, lors de ses expériences les déstabilisations que ces actes peuvent créer, les difficultés d’y échapper sans humilier l’autre….
Je fréquente entre 7h30 et 8h30 , un lieu sympathique où je lis la presse en buvant un café.
Il y a une dizaine de jours, nous parlions une habituée et moi de nos points de vue sur les chanteurs et chanteuses des sixties, nous étions à peu près d’accord, la conversation ronronnait. Par je ne sais quelle cabriole, mon interlocutrice est partie sur les méfaits du colonialisme et du patriarcat . Surpris, sans être en désaccord mais pas disposé à entrer dans ce sujet, si tôt le matin , j’ai voulu replonger dans ma lecture . J’étais bien un machiste dont la caractéristique est de fuir les points de vue qui le dérange. Argument imparable ! j’étais, certainement, un colonialiste même pas repenti. Incapable de concevoir ce que peut ressentir une femme , ce à quoi j’acquiesçai d’autant plus volontiers que j’ai du mal à identifier ce que je ressens et pense, moi -même. Une preuve de plus d’un machisme, politiquement incorrect (ce qui me ferait plutôt plaisir) Elle m’interpella sur l’obligation faite par la gent masculine au sexe dit faible de porter la jupe, je glissai un timide «Pour moi, les femmes peuvent portent ce qu’elles veulent » « Parfaitement, Monsieur, elles portent ce qu’elles veulent et ne faites pas semblant d’approuver, lâchement…. » Là, j’ai fui ….Bof ou beauf ????.
Un bien long billet, je pars voir une exposition temporaire...L’art,c’est l’heure !!!!

patrick.verroust a dit…

Je précise qu'une bonne partie de l'expérience professionnelle se déroule dans un organisme qui avait le mérite de pas porter de jugements sur les comportements privés des personnes. Il faut dire que des magouilles graves avaient besoin de silence pour prospérer. Les luttes politiques, les enjeux de pouvoirs, les ambitions personnelles occupaient, suffisamment, l'espace . Cela n’empêchait pas le machisme ordinaire de s'exercer avec ses victimes et ses sacrifiées.
La priorité était la protection de l'enfance pour laquelle d'aucuns manifestaient un intérêt trouble.
Je suis, fermement, attaché à une protection des mineurs dans les rapports avec des adultes. Néanmoins,s'il m'est arrivé d'être confronté à des situations où des mesures allaient de soi et supposaient une extrême rigueur, j'ai rencontré quelques cas qui m'ont laissé perplexe même si j'ai agi avec inflexibilité. A l'écoute des paroles des adolescents d'aujourd'hui, je ne suis pas sur que mes convictions d'homme mur ne soient pas dépassées....Les lignes ont semblent ils, sacrément, bougées. Elles bousculent nos pré requis moraux et juridiques, je crois qu'il faut laisser une marge d'appréciation au cas par cas même si la ligne de protection doit être, clairement, édictée....

Zoë Lucider a dit…

@PV, ouf! des commentaires plus développés que mon propre billet. J'ai toujours été étonnée que vous ne teniez pas votre propre blog. Vous auriez matière :-)

patrick.verroust a dit…

Pourquoi? Outre le plaisir du baguenaudage intellectuel ...; la défection des blogs n'est pas encourageante et amène à ne pas disperser les lieux d'échange, vous avez créé un lieu agréable, je regrette le temps où il était, comme d'autres plus vivant, avec des commentaires incisifs y compris les imprécations de Vinosse....

Dominique Hasselmann a dit…

@ Zoë : lu aussi, quand il est paru, ce beau billet de Leïla Slimani, dont on m'avait offert le Goncourt 2016 ("Chanson douce").

Depuis, les Deneuve et autres ont dû faire amende plus ou moins honorable pour leurs propos de précieuses ridicules.

(P.S. : j'ai toujours trouvé aussi que Patrick Verroust aurait dû ouvrir son propre blog plutôt que de... coloniser celui des autres !)

la bacchante a dit…

C'est essentiel ce texte de Leïla après celui de Catherine.

Zoë Lucider a dit…

@DH, j'ai lu dans la maison de l'ogre, myennement séduite. Cela n'enlève rien à la qualité de cet article. Quant à PV, il est vrai qu'il est très prolixe mais ma foi très fidèle. Il n'ya pas trop de visiteurs désormais, alors...
@la bacchante, oui, merci de ta visite

Tania a dit…

Cette défense de la liberté d'importuner m'a semblé inopportune quand enfin un tel problème de société fait la une des médias de manière un peu plus durable et que le débat s'ouvre dans tous les milieux. Les exagérations de part et d'autre sont insignifiantes.
Merci pour le texte fort de Leïla Slimani. J'aimerais pouvoir sortir seule la nuit sans crainte d'aucune sorte.

patrick.verroust a dit…

Le monde est un gigantesque foutoir...Toute velléité de régulation se heurte à ce fait, c'est pourquoi, il faut se méfier du politiquement correct qui est un bon moyen de piétiner en niant l'inextricable du réel....Pourtant, des solutions pourraient être prônées. Dans les lieux de travail, les commissions paritaires pourraient veiller aux harcèlements, aux promotions canapés, aux pistons divers....Il faut croire qu'il existe une forme consensus mou!!!

Anonyme a dit…

Quand on sait qu'importuner signifie incommoder par sa présence ou un comportement déplacé, je me demande dans quel cas de figure on pourrait revendiquer la liberté d'importuner, qu'icelle soit mise en regard de la liberté sexuelle, comme l'ont écrit ces femmes ou en regard de quoi que ce soit d'autre.
Résister c'est employer les bons mots. Là on n'y est pas.

ArD

Zoë Lucider a dit…

@Tania, nous avons toutes envie de ne plus nous sentir des proies potentielles. Avec l'âge ce n'est plus du même ordre mais on s'entend encore dire des choses très désagréables. Se déplacer seule la nuit sans angoisse, c'est un luxe.
@PV, consensus dur plutôt!
@ArD, plaisir de vous revoir sous l'arbre! liberté d'entamer la liberté de l'autre en fait et relier cela au désir c'est une vraie stupidité. On confond le désir avec l’âpreté de la conquête.