dimanche 27 janvier 2019

La sorcière re - suscitée

Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traitres n’est pas victime, il est complice ! (George Orwell).

J'ai bien envie de republier ici une chronique du temps où je m'amusais avec ma sorcière bien aimée.
Presque dix ans déjà et encore tellement d'actualité. Une dizaine de chroniques de cet acabit je vous en propose deux

Les recettes de la Sorcière du placard aux balais 19 /03 / 10


3

- Bonsoir, votre Gracieuseté.
- Il est tard. Je m'apprêtais à éteindre le feu sous mon bouillon de onze heures. Que me voulez-vous ?
- Notre planète boursicote. Un nombre invraisemblable d'atomes et d'entités sociales se consacrent exclusivement à cette marotte. Pendant qu'ils pianotent et parlotent, un nombre non moins hallucinant et même extravagant d'atomes et d'entités sociales pataugent et expirent. Selon les experts patentés ou auto-proclamés, ces deux phénomènes seraient corrélatifs. Que faire, o' grande prêtresse ?
- Réduire le nombre de boursicoteurs à un de ces cercles fermés et inoffensifs de joueurs de bridge ou de crapette. Et pour cela limiter la circulation d'argent et augmenter les échanges démonétisés.
- Mais c'est impossible o' ineffable succube !
- Pourtant il semblerait que sans vos petits ruisseaux ils ne pourraient espérer leurs riviéras. Vous êtes nombreux, ils sont une poignée.
- Tout en haut une poignée mais vous ne comptez pas les intermédiaires.
- Eh bien commencez par ceux-là. Raccourcissez, étrécissez, qu'ils n'aient plus d'espaces où poser leurs pompes à phynance.
- C'est très difficile o' subtile pythie.
- Un peu de nerf, c'est ce qui vous manque et un peu d'imagination aussi. Cessez de reproduire les vieilles bévues et de baver sur les mêmes colifichets que vos prédécesseurs.
- Mais comment o' délicate visionnaire ?
- Changez de focus et de focale, retirez vos œillères et détachez votre collerette.
Maintenant, excusez-moi, je dois me livrer à mes ablutions. Pour ce soir, ce sera tout.

Et encore 14/04/10


- Bonsoir o' Lumière des tréfonds
- Vous me dérangez dans mes méditations. Quel en est le motif ?
- C'est que, Subtile Gorgone, la planète menace de s'enflammer au motif que rien ne va plus, que les dés sont pipés, qu'on n'y voit plus très clair, que satire et hagiographie s’entremêlent et s'annulent, exultation et dépression alternent et nous épuisent, inondations succèdent à tremblements de terre, nous ne savons plus où donner de l'urgence, bref nous souhaiterions que votre sagacité nous désigne ne serait-ce qu'un tout petit, minuscule sentier de crête entre tous ces chaos.
- Le chaos est la nature première du monde.
- Sans doute, mais Sublime Protectrice, comment conjurer ces oracles qui nous annoncent une mort par extinction lente et douloureuse ?
- Il se peut qu'elle soit rapide et presque indolore.
- Que nous conseillez-vous pour échapper à un destin si funeste.
- Croyez-vous qu'il m'importe de secourir une engeance coupeuse de tête? Ça non ! Débrouillez vous puisque vous ne savez pas échapper à l'embrouille. Il est bien temps de consulter une fois que vous avez prétendu tout savoir sur tout, tout gouverner sans une once d'humilité, tout posséder sans remise. Allez, ne venez pas pleurnicher au bord des gouffres. Mettez à contribution votre fameuse "raison", peut-être saurez-vous en tirer un brin de bon sens, vertu que vous avez tenu en mépris ces derniers siècles.
Et maintenant, retirez-vous, je retourne à mes occupations.

Illustration Sorcière

Et un petit lien vers un trio de charmantes sorcières



samedi 29 décembre 2018

Florilège d'arbres pour entamer une nouvelle année









Inspiré par les Yachaks (Chamanes), le projet « Frontière de Vie » est la création sur le pourtour du territoire de Sarayaku, 300 kms de long et 135 000 hectares de forêt primaire d’une immense frontière d’arbres à fleurs de couleurs. Un symbole à valeur universelle émergera ainsi lentement de la forêt amazonienne, vivante incarnation du désir universel de paix et de protection de la Terre. Ce sera le message de tout un peuple, élan vital, expression de sa volonté farouche de préserver son mode de vie, mais aussi, de créer avec nous une vaste solidarité planétaire. José Gualinga, Peuple Kichwa de Sarayaku Amazonie équatorienne. (2009)

A ceux qui restitueront sa poésie à la vie quotidienne, rien ne résistera." Raoul Vaneigem

 2019, prenez soin de vous, cultivons la paix

dimanche 23 décembre 2018

Identité notionnelle




"Elle est née quelque part, certes, mais elle n'y est pour rien et même aurait préféré naître ailleurs, un goût prononcé pour l'exotisme.
Elle a grandi mais on l'y a poussé. Elle a eu beau freiner des quatre fers, elle a bien été obligée de se redresser et aussi bien, commencer à prendre langue puisque c'était décidément plus efficace que les cris et les borborygmes pour obtenir du pain et des jeux.
Elle a chanté, on a prétendu qu'elle le faisait bien. Toute musique entrant dans son oreille ressortait par sa bouche. Elle était la mémoire familiale. Comment c'est déjà, tu sais bien cette chanson ? Elle s'exécutait.
Elle a dansé, son corps souffrait de trop de raideur si elle ne lui donnait pas de l'exercice, danser lui était aussi indispensable que courir et plus compatible avec les espaces confinés.
Elle a écrit, sur le plâtre frais que son père appliquait sur les murs, il admirait la performance et haussait les épaules quand sa mère protestait. Le graffiti comme méthode, en droite ligne des cavernes
Elle a aimé les livres. Elle lisait avant de savoir lire. Elle se promenait avec un livre quand elle n'aurait pu en déchiffrer un mot. Elle harcelait son frère pour qu'il lui apprenne et quand enfin elle entra à l'école, elle considéra avec mépris ces morveux accrochés aux basques de leur môman et braillant comme à l'abattoir.
Elle a aimé l'école, ah oui, elle trouvait passionnant tout ce qu'on y apprenait. Tout, sans exception. Le monde s'ouvrait enfin, immense, et elle allait y faire une grande carrière de vivante si elle ne mourait pas tout de suite, car cette perspective l'accompagnait tous les jours. Vis comme si tu devais mourir demain.
Elle a su très tôt qu'elle ne resterait pas toute sa vie au bord de cet Atlantique dont pourtant elle aimait les rochers, les dunes, l'iode et le bruit des vagues.
Elle a désiré Paris, la ville prodige, où on peut façonner un destin, autre chose que cette province où la rumeur tenait lieu de pedigree. Paris, la joie de son immersion à peine ternie par la souffrance de ses oreilles et de ses sinus, sursaturés d'émanations, le bruit et l'odeur. Paris les quais, les lumières, les bars, les musées, la cinémathèque, les petits restaurants où elle avait ses habitudes et une ardoise, les chambres sous les toits d'où elle tutoyait les pigeons.
Elle a voulu connaître le vaste monde et s'y est risquée avec peu de moyens et les yeux plus grands que le ciel.
Elle a donné la vie après avoir longtemps hésité, parce qu'elle craignait de perdre sa folle insouciance, ce qui advint.
Elle s'est employée en harangues et gesticulations afin de faire mousser d' improbables utopies, en particulier celle d'un monde où les frontières seraient tracées au bolduc.
Elle a divorcé de la Capitale, elles ne sauraient vieillir ensemble.
Et la voici, juchée sur une petite colline, contemplant le couchant et ne sachant toujours pas si elle est ce qu'elle croit être, ou celle que les autres croient voir.
J'oubliais. Ses papiers sont estampillés d'origine contrôlée et depuis longtemps déjà, on ne les lui réclame plus."


(Ph. JEA / DR).

Paru en janvier 2010 chez JEA, Mosaïques dans le cadre des Vases communicants

samedi 15 décembre 2018

De l'optimisme au pessimisme et inversement. Bon anniversaire l'Arbre !

En rendant visite à un blog ami, je prend conscience que "L'Arbre à Palabres" est né il y a dix ans . Bon, on ne peut pas dire qu'il soit très vaillant désormais, on est loin des 169 posts de sa première année d'existence. C'était un temps d'effervescence dans la blogosphère. On publiait beaucoup, on lançait de grandes polémiques dans les commentaires. Désormais, à part quelques précieux acharnés et assidues, presque tous ceux que je suivais avec gourmandise sont, comme ici, un peu clignotants quand ils ne sont pas  désormais éteints.
Alors, en recherchant un article dans mes archives, je suis tombée par hasard sur ce texte, daté de 2008, l'année de naissance de ce blog mais un peu avant. Je le trouve bien adapté à la période et je le dépose ce jour en hommage à tous les humains de bonne volonté qui persistent à maintenir un peu de paix et d'espoir dans un monde qui ne cesse de se convulsionner.    


De l'optimisme au pessimisme

Cette année j'ai envoyé mes vœux sous la forme suivante « Optimisme, lucidité, pugnacité, sérénité, cocktail subtil à concocter, d'un effet revitalisant garanti." Comme vous me semblez fonctionner avec ce genre de carburant, j'ai eu envie de défendre la recette auprès de mes compagnons lecteurs.

L'optimisme n'est pas une prédisposition mais une hygiène mentale qui relève du pari pascalien : le pire, anesthésiant, mortifère, n'est ni plus ni moins avéré que son antonyme.

La lucidité est une fonction utile à chaque instant pour distinguer les vessies des lanternes, la flagornerie de l'hommage et la probité de l'imposture.

La pugnacité n'est pas folle agressivité mais volonté articulée à la résistance, toutes choses nécessaires pour seulement se lever chaque matin.

La sérénité consiste essentiellement à ne pas craindre la mort. Lorsqu'elle nous fauchera nous n'aurons plus aucun regret, à moins d'imaginer que notre corps en se dissolvant relâche une âme en quête de salut, ce qui, à Dieu ne plaise, relève à ce jour de la pure mythologie.

Si on observe le cours du vivant, on constate qu'il procède de ces principes. En revanche les pulsions mortifères sont antagoniques, en tension nécessaires sans doute, mais dangereuses dans leur exacerbation.

Le pessimisme chronique réduit tout acte à son inanité.

La lucidité, sous bassement revendiqué de la logique pessimiste consiste essentiellement à traquer les mauvaises raisons de se satisfaire du dégoût du monde et à considérer avec mépris la modestie du quotidien.

La pugnacité revêt souvent l'uniforme de la guerre, recours soi-disant ultime pour convertir un monde dissolu.

Quant à la sérénité, elle se confond ici avec l'atrophie émotionnelle, rempart de l'angoisse.

Bien entendu, nous avançons chacun sur la corde tendue entre ces pôles et nul n'échappe à l'optimisme niais, aux aveuglements suivis de trous noirs, aux désirs de meurtres, au chaos émotionnel.
23 06 2008
Aujourd'hui j'ajouterai bienveillance.
Prenez soin de vous et de tout ce et ceux  qui vous accompagnent.

dimanche 2 décembre 2018

Bribes de vie



Oui, cette petite chose, suspendue anime la grosse bébête
Elle est heureuse d'avoir été engagée pour  participer à l'aventure de La machine
Ci-dessous un court aperçu





La Halle / Musée où s'agite tout un arsenal de machines, grosses et petites et où se tiennent des ateliers sur cet art étonnant


Un autre jour, un ami, Mathieu Chiva a modelé en direct le visage d'un ami au cours d'une délicieuse soirée qui s'est achevée par la projection du film "L'artiste et son modèle" une merveille en Noir et Blanc et un des derniers rôles de l'immense Jean Rochefort



Un ami est parti dans ce cercueil décoré par tous ceux qui l'aimaient et nous étions nombreux.
 Un enterrement très vivant si j'ose dire


J'ai aussi beaucoup bougé. Bilbao, Paris, Barcelone


Je vous fais grâce des vues du musée Guggenheim. J'y suis allée bien-sûr et un autre jour je me suis échappée pour aller tremper mes pieds dans l'océan.


Dernière destination en date (j'en reviens) Timisoara. La ville sera ville européenne de la Culture en 2021. Elle s'y prépare en redonnant des couleurs à ses monuments hérités de son époque austro-hongroise

L''art mural y est bien développé en tout cas.


Et quel plaisir de marcher dans des rues qui ne sont pas gavées de voiture et entre des murs vierges de placards publicitaires, en s'arrêtant dans des petits cafés cosy où tourne une musique douce émanant d'un vinyle



Hier matin de ma chambre d'hôtel un spectacle d'oiseaux fuyant à tire d'ailes, mais quoi ?

samedi 27 octobre 2018

Merci Fred Vargas


Eh! Oui, encore un remerciement. Trouvé sur Facebook et transféré ici où il sera moins lu, - normal je ne publie quasiment plus- mais où il restera de façon plus permanente. Fred Vargas dit tellement bien ce que je ressasse depuis longtemps sur ce blog et ailleurs. C'est un texte qu'elle a écrit  il y a une dizaine d'années et tellement terriblement d'actualté alors que la peste noire fait encore reculer l'horizon du possible.

Aucun texte alternatif disponible.



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''Lettre de Fred Vargas : la troisième révolution

Nous y sommes
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance. Nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse). Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix. On s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux. D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais. Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille, récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore''.
Fred Vargas
Archéologue et écrivain

Petit rappel et recommendation Petit traité de toutes vérités sur l'existence (2001)

mardi 25 septembre 2018

Merci Manu

 

Je viens tout juste d'achever la lecture du dernier Manu Causse

Je suis très mauvaise critique, surtout si le livre m'a troublée, émue,, angoissée (les névralgies ophtalmiques, je connais, certes pas de l'intensité dont souffre le personnage, mais j'ai une familiarité intime avec le processus) . Cette histoire de jeune garçon puis d'homme victime, c'est tellement à rebours de  l'habituel héros de roman, toujours un peu plus héros que l'ordinaire des gens "normaux". Celui-là est comme une boule de flipper, il part dans tous les sens, chaque fois qu'un joueur le prend en main.  Il ne décide rien de sa vie, obéit aux injonctions de quiconque se prend d'intérêt pour sa personne, il se sent tellement personne. Ah! Non quel jeu de massacre! Une mère archi fêlée, qui le rabaisse et le brutalise, un père disparu, mort, mais en fait pas mort, Une femme qui le méprise et s'envoie en l'air sans vergogne et ainsi de suite. Une embellie avec une femme aimante mais ces satanées crises d'hallucinations fichent tout en vrac.  On suit le périple inouï de cet infortuné qui ne semble jamais savoir ce qu'il veut, parce qu'il s'est bâti sur le déni et le mensonge. Mais, il va... Je n'en dis pas davantage.  J'oubliais un élément important, tout cela est truffé de cocasseries, blindé d'humour et finalement plutôt optimiste. Lisez Manu. Et pour vous faire connaître le drôle de bonhomme je lui ai piqué un texte qu'il vient de faire paraître dans son blog 

Je le contresigne tant il est proche de mes propres ruminations. Inquiet mais à l'affut des signes de  résilience du "bon sens", car il y en a tout de même qui scintillent dans  ce magma d'absurdités

Chanson d'automne

Combien de temps que tu n'as pas glissé, par une nuit de demi-lune, dans le jardin,
combien de temps qu'à l'écart des dormeurs tu n'as pas écrit la veille du solstice, de l'équinoxe ?

tu ne comptes plus,
plus pour rien,
Combien de temps t'es-tu contraint à mesurer tes paroles,
tes mots, tes titres, un deux trois un deux trois,
à caler un image au centre ou à gauche ou à droite,
Combien de temps t'es-tu, combien de temps t'es-tu tu

J'ai peur, ce soir, j'ai peur à n'en plus dormir, à compter mes terreurs et mes bénédictions,
j'ai peur de ne plus compter, de ne plus écrire,
j'ai peur de voir la terre s'effondrer le ciel nous fondre sur la tête les eaux monter les chars envahir les rues la rage gagner du terrain,
la guerre engendrer la guerre engendrer la guerre engendrer la paix des épuisés

déjà dans le jardin les rats gambadent,
et que puis-je y faire, je refuse de les empoisonner,

je ne peux leur laisser ronger la substance toxique qui de leurs viscères coulera
dans les fleurs
dans le sol
dans les eaux qui s'infiltrent et la pluie qui remonte,
condamnant à l'avance bien plus qu'une portée de surmulots
un écosystème

piégé par mon économie, par mon système, pris à ma propre nasse, enfermé, infirme, finissant.

J'ai peur et j'enrage.

J'avais écrit cette histoire, Arthur et les oiseaux, ce texte sans prétention qui disait "On a sauvé les oiseaux", un passé dans le futur, conditionnel en quelque sorte,
et le texte était beau, le texte allait naître
et soudain - oh tiens non, il y a déjà ici - Le ciel sans les oiseaux.

J'ai souri, magnanime, hasard de l'édition, pas un texte parfait,
mais la nuit mon coeur soudain s'étrangle - pas pour les mots, par pour l'album,
mais pour ce que je dirai à l'Arthur qui m'inspire :

- Non, on ne les a pas sauvés ?

J'ai peur je n'en peux plus de penser la planète à deux doigts de la fin, au rebord du chaos. Ça m'est impossible, je m'y refuse,
je me voile les yeux
je me perds dans le bruit, le travail et le vin,
je me perds dans ce que je projette, j'ai chaud, je climatise,
je somatise en vrac, je ne veux plus sentir

Pourquoi suis-je muet - la frayeur qui m'agite est-elle inaudible ? Se perd-elle dans le fracas des disputes futiles (oh tel polémiste a bien fait son travail en insultant une telle, tel nervi qui rêvait de flingues et de conduites américaines se fait tancer publiquement, trompettes des médias, tambour des instabooks, cliquetweets assourdissants)

ou bien ne sert-elle à rien qu'à remplir les derniers jours ?

mais la Terre, bordel, la Terre s'ouvre, la Terre nous vomit, la Terre se gratte de nos excès, s'enflamme de notre prolifération, de notre insatiable, la Terre tempête de nous supporter,

La pyramide de Maslow, la pyramide de misère, besoin, toujours besoin, besoin d'en avoir plus, de produire reproduire surproduire et détruire
pour éloigner la nuit et les vieilles terreurs

besoin de brandir haut, de tremper tromper trumper défaire,
d'agir et de gicler, de secouer
besoin d'être violent
de détruire à moi seul le bien commun

Ô reconnaître que tout ça m'appartient
me découvrir incapable
de tout arrêter
de m'arrêter
d'arrêter

demain, demain j'

Alors, quoi faire ? Désespérer ?

Ou alors écrire.
Écrire l'avenir.
Clamer le récit de la planète que nous avons sauvée. Raconter nos échecs et nos crises, nos erreurs, le passé. Raconter l'avenir, tisser les lendemains,
l'équilibre,
convaincre par la légende
rallier par la beauté.

J'aimerais bien, tu sais, te raconter
la prise de conscience, le prix de la vie
comment les hommes ont appris à écouter
aux portes de leurs rêves
comment soudain, juste au bord de l'abîme,
ils se sont arrêtés,
se sont regardés mains tremblantes
se sont souvenus des enfants, des chemins dans les plantes
des oiseaux, du silence

d'un soir d'été il y a longtemps

ont respiré
se sont souri
ont reculé d'un pas, puis d'un autre
ont cessé de croire pour décroître
pour décoller

quelqu'un lança une plaisanterie, et tous rirent de ces rires qui fêtent la fin des guerres, de ces rires aux larmes gaies

et quand ils eurent franchi l'abîme d'un coup d'aile,

quand ils eurent compris
qu'ils n'étaient pas le monde, qu'ils en étaient la fin

ils partirent se reposer et se souvinrent

du jour où ils avaient failli devenir fou
et des histoires qui les sauvèrent.


La lune est calme. Une voiture passe sur l'avenue. Un moustique tète la chaleur de la lampe.
Je vais dormir. Je vais rêver.
Je me lèverai à l'automne
pour le fêter.


Merci Manu