mardi 9 décembre 2008

La première fois, je n'ai rien dit

La première fois, j'ai cru qu'il s'agissait de l'annonce d'un téléfilm. Sirène d'alerte à la bombe, voix caverneuse annonçant qu'un enfant a été enlevé, descriptif de la femme soupçonnée de l'enlèvement, consignes délivrées à la population : ne pas agir mais appeler la gendarmerie, le tout parfaitement sinistre. Hélas, le message réitéré à l'impromptu et à un rythme soutenu, au milieu du programme de radio n'est pas fictif. Je ne sais pourquoi, cela me glace. Non le fait divers lui-même, mais l'utilisation des ondes pour diffuser un appel à délation, en utilisant un son connoté couvre-feu, course vers les caves avant le blitz. Une préparation, un entraînement en quelque sorte pour ce qui nous attend lorsque France Audiovisuel deviendra une annexe du Ministère de l'Intérieur ?
Qui oserait protester qu'on utilise les ondes nationales pour interpeller une kidnappeuse d'enfants ?

dimanche 7 décembre 2008

Vent des globes

Le porc irlandais bourré de saloperies, les jeunes Grecs entrés en furie après la mort d'un caillasseur , (les flics abattent sans sommation dans nos douces démocraties) , un SDF de 31 ans mort de froid à Marseille, le classement du Vendée Globe bouge en permanence (longtemps cru que c'était le "Vent des globes", peu d'intérêt pour ces performances). C'est ainsi que le monde se rabâche à nos oreilles. Tandis que les empoisonnements font sournoisement leur chemin, les vitrines s'écroulent dans un silence assourdissant, les morts de la rue glissent incognito dans les fosses communes, les vagues s'écrasent sur les gréements. La chaine des Pyrénées, imperturbable, dresse ses tours neigeuses sur l'horizon qui borde mon univers ordinaire, à peine voilée par les cotonneuses trainées qui flânent dans le ciel apaisé, après deux jours de harcèlement du vent et de la pluie.

vendredi 5 décembre 2008

Les mots, les notes ou les deux à la fois.

Donc l'Audiovisuel va subir une cure d'amaigrissement, du moins le public. L'autre, gavé par un surplus de manne publicitaire pourra continuer à se rouler dans les paillettes, à verser des salaires faramineux à ses bonimenteurs et à engraisser ses actionnaires. Notre bonimenteur en chef a l'intention de nous berlusconiser les neurones, du moins de mener à ses ultimes extrêmes ce qui s'est entamé depuis déjà vingt ans, le règne de l'imbécillité , de la vanité et du dérisoire. Pour ma part, mon temps de cerveau disponible, je l'ai soustrait depuis belle lurette à l'audimat. Aux heures où la méthode Cauet sévit, je fricote avec de purs esprits, qui ne m'encombrent pas de leurs lourdes physionomies et me livrent tels des elfes la légèreté de leur petite musique (de mots ou de notes ou des deux).
Donc l'Audiovisuel public se lamente. On va l'asphyxier (c'est vraisemblable), le placer sous la férule du pouvoir d'Etat (ça en prend le chemin), le réduire comme peau de chagrin (c'est déjà en route). Que faire ? Gueuler, manifester, se mettre en grève ? Degré zéro d'efficacité. Seule issue: inventer une télévision débarrassée de tout le bling bling adopté ces dernières décennies pour singer la putasserie de sa rivale du privée et, dans une nouvelle ascèse imposée sinon choisie, retrouver l'énergie et l'inventivité de ses débuts, quand les créateurs ne couraient pas le cachet mirobolant mais cherchaient et trouvaient les formules d'une communication qui s'imaginait en marchant. Il n'y a pas à regretter que le service public n'ait plus les moyens de faire comme les autres. Il pourra enfin se dédouaner de cette didacture du plus grand nombre et fabriquer pour des publics plus confidentiels des bijoux artisanaux en puisant dans le vivier de jeunes créatifs trop heureux de faire leurs armes pour des salaires raisonnables. Qui sait si ce n'est pas le meilleur moyen de siphonner l'audience des vénales.
Les types qui seront nommés à la tête de ces vénérables entreprises de télévision et de radio le seront sans doute pour leur capacité à pratiquer le sabotage du génie et la mise au placard des talents. Pourtant, que pourrait un seul individu si la résistance des autres s'organise dans la vigilance et la solidarité ? Il n'y a de servitude que volontaire. Et pour ceux que l'austérité financière défrise, il faut rappeler un principe de réalité que nos aboyeurs ordinaires occultent, nous sommes entrés en récession et ne survivront que ceux qui auront adopté les principes de la frugalité heureuse et sauront faire mieux avec moins. C'est notre nouveau challenge.
L'Audiovisuel et la liberté d'expression sont menacés. Résistons !
Ce que j'en dis, c'est pour rendre sercice.... parce que moi la télé, je lui préfère les mots, les notes ou les deux à la fois.

jeudi 4 décembre 2008

Moloch, le retour

Le dernier des jeux jouissifs est de se munir d'une bestiasse énorme, dressée à retourner à coups de mufle baveux tout attribut un peu intime (sac, duffle coat) appartenant à une espèce délicieusement tendre, j'ai nommé le collégien ordinaire afin de le tétaniser de terreur, déguster ses piètres protestations d'innocence, se rincer l'oeil en le contraignant à grelotter en slip sous le regard effaré de ses supposés complices, puis à remballer son attirail en ricanant des pleurnicheries offusquées sur les dégâts occasionnés par la partie de rigolade, et faute de pouvoir embarquer la vermine pour la passer à la tenaille et à la roue, (on n'a pas encore le droit sans quelques grammes de preuve), conclure par l'injure ultime : "salut les filles" (= à bientôt les pédales). Y'a pas à dire, ça s'améliore le boulot de garde chiourme, on commence enfin à pouvoir se lâcher. Les petits, on les jette pas encore au feu en l'honneur du Dieu sacré, mais ça ne saurait tarder. Ça va devenir du velours. Ses courtisans viennent de lui donner les pleins pouvoirs pour fermer les clapets de la déesse aux cent bouches. La grande Muette et la grande Mutique vont nous concocter du brouillard pour nos yeux et du coton pour nos oreilles. Le bon peuple ne comprendra pas pourquoi une poignée d'énervés s'agitent alors qu'Il répand le lait de tendresse et s'Il fouette en effet, c'est seulement la croissance et le PIB. Donc nous, les énervés, avec nos molosses et nos fusils à électrochoc, on va s'en charger. Quel bonheur ! Merci notre bon maître.

mercredi 3 décembre 2008

Adelphité de Marie Didier

Je fréquente depuis trois mois une petite troupe de femmes qui se réunissent le premier mardi du mois pour s'entretenir exclusivement d'Art au féminin et particulièrement de littérature. Le fondement de leur agrégation est "la transmission". Après un petit régal offert par l'hôtesse de la soirée, nous nous regroupons autour du foyer et la cérémonie commence. Les deux précédentes étaient consacrées l'une à la figure de Sarah dans les textes bibliques, l'autre à la maternité dans la littérature.
Hier soir nous recevions Marie Didier (dernier opus, Morte saison sur la ficelle. Gallimard). Marie est une femme médecin qui n'exerce plus. Son premier ouvrage (Contre visite Gallimard) elle l'a écrit pour, dit-elle, "démâter" l'image triomphale du médecin qui ne peut apparaître aux yeux de ses patients que rempli de certitudes et d'énergie positive. L'écriture était le lieu de mise en abîme de cette imposture mais également la possibilité d'un recul sur une pratique si profondément engageante et le temps donné à sauver par les mots les visages et les bribes de vie et de mort qui iraient s'enfouir sinon dans l'oubli absolu.
Nous avons évoqué son travail sur Jean Baptiste Pussin (Dans la nuit de Bicêtre, Gallimard), précurseur méconnu de la psychiatrie actuelle, le premier à traiter les insensés avec empathie et dont le combat acharné a contribué à leur redonner la dignité d'êtres humains. Oublié par l'histoire officielle qui n'a retenu que le médecin Pinel (lui-même inspiré par les méthodes d'observation de Pussin), cet homme d'une infinie délicatesse sous une apparence frustre, pourvu d'une vitalité extraordinaire a permis aux marginaux que la société traitait comme des animaux d'accéder à la reconnaissance de leur commune appartenance à l'humanité.
Elle dit :" A un certain stade, j'étais si envahie par le monceau de thèses et de documents d'archives que j'ai relu "L'amant " de Marguerite Duras pour retrouver la simplicité d'écriture.
A la lecture, pour ce qui me concerne je n'ai perçu que la précision de l'écriture et la tendresse de cette adresse en direct aux mânes d'un homme, dont elle se sent proche ("la tuberculose, le rôle de soignant ) et cependant à des années lumière, puisque désormais on ne traite plus les insensés autrement que comme malades, encore que, la régression là aussi guette.
Où se trouve le lecteur quand on écrit ? lui avons-nous demandé. On n'écrit que mu par le désir du verbe, on est son propre lecteur, le lecteur est une abstraction et il est impossible, le voudrait-on, d'écrire avec l'intention de séduire. "Si je m'ennuie moi-même je peux jeter à la poubelle, c'est le seul indice utile".
Nous avons ensuite évoqué d'autres écrivains. L'une de nous avait préparé la photocopie d'une série de réponses à la question pourquoi écrire tirées de " Trouver la source" de Charles Juliet.
Je retiens la suivante, ": Ecrire pour soustraire des instants de vie à l'érosion du temps" si proche de ce que déclare Annie Ernaux dans Les années.
Cet espace ne permet pas de restituer toute la palette de nos échanges et je ne saurais commettre certaines indiscrétions comme de révéler ce que Marie nous a confié à propos d'une étrange et dramatique occurrence liée de façon intime à son dernier ouvrage"Morte saison sur la ficelle". Il faut voir ce beau visage plein et lumineux, se creuser et se ternir un instant à l'évocation de cet épisode douloureux.
Oui, Marie, chaleureuse, diserte, curieuse, attentive, nous a offert un beau moment adelphique. ("parce que l’on pourrait remplacer fraternité par un nouveau mot, adelphité, pour mieux exprimer l’idée d’une solidarité harmonieuse entre tous les humains, femmes et hommes" http://encorefeministes.free.fr/manifeste/manifeste.php3. )

mardi 2 décembre 2008

O' temps suspend ton vol

Mona Chollet (voir ci contre "struggle for time") disserte longuement à propos de la vie chronophage qui nous prive de ce délicieux temps libre dont nous rêvons en permanence, que nous souffrons de gaspiller à mille tâches contraintes, dont éventuellement celle d'accueillir la visite d'un admirateur (lorsqu'on a commis de quoi susciter chez autrui un désir de fréquentation) ou simplement de répondre aux sollicitations de nos proches. Ses considérations entrent douloureusement en résonance avec mon actualité et à plus d'un titre. En effet, étrange correspondance entre sa longue dissertation sur le droit d'un artiste à refuser l'intrusion d'admirateurs offusqués d'être ainsi éconduits, l'embarras intimidé du solliciteur et ma piètre prestation de groupie énamourée (voir ci_dessous "la feuille d'automne ... ). Mais plus encore, parce qu'au lieu de lire ce long article et d'en rédiger un commentaire, je devais m'atteler à la rédaction d'un document qui doit partir ce soir en pièce attachée, dont j'ai déjà reporté l'exécution pour cause de sentiment d'inanité de la corvée alors qu'il s"agit d'une obligation contractuelle, dont je ne peux faire l'économie sinon à risquer de perdre ainsi une de mes sources de picaillons, qu'en dépit de mes efforts vers la décroissance je ne peux sacrifier. Surtout au prix où sont les livres de nos jours ! A plus tard donc, dès que la tenaille des "hommes gris"me lâche le coude (lisez l'article de Mona si vous souhaitez goûter ma métaphore).

lundi 1 décembre 2008

La feuille d'automne emportée par le vent


Week end à Montauban. Cette année, Lettres d'automne a donné carte blanche à Lydie Salvayre. Je ne peux manquer ce rendez-vous. C'est que je l'aime Lydie. Bien-sûr, je suis toujours un peu déçue. Elle m'accueille avec gentillesse mais très vite deux puis trois puis beaucoup d'autres s'agglutinent et bien-sûr elle leur répond et le charmant tête-à-tête que j'espère toujours un peu, sans grande illusion certes, et pourtant un réel espoir, ne prend jamais place. Et j'hésite entre la crainte d'être inopportune et le désir d'appartenir à son premier cercle. Je ne pratique cette forme d'insistance avec nul autre. Je ne cours jamais les signatures et ne cherche à m'approcher d'aucune célébrité, la célébrité n'étant pas le motif. Lydie c'est différent. J'aurais d'ailleurs bien préféré l'approcher d'autre façon, la connaître depuis l'école ou l'avoir rencontrée au cours d'une aventure insolite ou être sa voisine. Parce que si c'est l'écrivain qui m'a séduite, c'est sa personne que j'ai d'emblée reconnue comme une frangine et que j'ai cherché à approcher davantage. Pour elle j'appartiens sans doute au nombre de ses fidèles lectrices qui se trouvent au rendez-vous des signatures, avec qui elle a prolongé un peu l'échange, au delà du raisonnable pense-t-elle peut-être. Il faut se protéger de ces adiposités d'âmes excessives, portées à l'idolâtrie, trop promptes à vous demander en mariage d'amitié.
Quelques belles émotions pendant ces deux journées.
L'échange farci d'humour entre Pierre Senges , "l'encyclopédiste fictionnel" et Thierry Guichard , le passionné directeur du Matricule des anges.
Denise Epstein, tendrement sollicité par Lydie, nous décrivant en détail l'histoire d'une vie brisée par l'Histoire et la chiennerie immonde de la Shoah, résistant vaillamment (la force de vie vous habite en dépit des coups mortels qui vous sont portés) à la disparition de toute sa famille, sa mère Irène Nemirovsky disparue la première suivie du père, des oncles, des tantes. Denise, fillette choyée et surprotégée n'a que 13 ans et sa soeur cinq. La traque des fillettes, les justes et les moins justes qui ont assuré la survie et l'éducation des orphelines. L'espoir sans cesse déçu, mais qui ne veut pas s'éteindre, de retrouver les siens après l'ouverture des camps. L'horreur et la douleur d'imaginer les souffrances endurées. Les phobies, traces des traumas infligés. Le choix de donner la vie , malgré tout, pour refaire racine, pour démentir l'éradication. Un parcours d'employée, militante modeste et anonyme, une vie simple et debout, qui bascule quand le roman inachevé de sa mère dont elle avait préservé le manuscrit , exhumé après soixante ans de confinement dans la valise que lui avait confié son père, recopié au prix de deux ans d'efforts et d'épisodes douloureux, est édité par Denoël, reçoit le prix Renaudot à titre posthume et entame un périple autour du monde et Denise dans le même temps. A 75 ans Denise se trouve propulsée sur des estrades, est accueillie dans les palaces, se voir même dotée d'un "escort boy" à New York. "Rien n'est jamais joué, dit Lydie, jusqu'au bout le miracle peut surgir, c'est cela que tu nous transmets" . Oui et Denise s'emploie désormais à transmettre, enfin sereine.
Didier Sandre me donnant à redécouvrir le texte de la Méthode Mila, et particulièrement les apostrophes à Monsieur Descartes qui nous a obscurci l'entendement avec son Discours d'où le corps est expurgé, oblitération détestable qui invalide tout. Lumineux Didier Sandre, économe et prodigue, élégant jusque dans l'usage des insanités dont Lydie aime émailler sa langue par ailleurs précieuse et érudite. Prodigieux. Lydie très émue aurait souhaité échapper au commentaire qui devait suivre et que je n'ai pu écouter, je reprenais la route, mais en avais-je bien envie.
Voilà donc un petit morceau d'anthologie ajouté à nos précédents partages. J'ai glané son dernier opus intitulé "Petit traité d'éducation lubrique". Je ne saurais trop le conseiller à tous ceux qui ont la chair triste et plus encore à ceux qui n'aiment rien tant que s'esclaffer.