lundi 1 janvier 2018

Une nouvelle année ? On reprend les mêmes ami.e.s et on continue


Trouvé en conclusion du dernier livre de Françoise Héritier paru en octobre 2017 soit un mois avant sa disparition*
"J'ai toujours rendu un culte à l'amitié. En réfléchissant bien, je pense être spontanément plus proche des femmes que des hommes. Du côté masculin, j'ai cependant deux amis à qui je peux pratiquement tout dire pour des raisons et sur des sujets différents (...) Il n'y a guère de plus grande satisfaction que celle d'avoir passé quelques heures dans une conversation à bâtons rompus , pleine de vivacité , de renversements , de tête-à-queue, de retours en arrière, de mots d'esprit, de fous rires, de mines offusquées... avec une amie. Ce sont des moments de grâce et de grande vérité; On écoute, on admire, on compatit, on se confie, on fait confiance, on s'abandonne, on rit de bon cœur, on se moque gentiment, on dit: "tu te souviens du jour où...?" C'est délicieux. Cela dure toute la vie. je ne recherche rien tant que cette simple amitié-là, sans arrières-pensée, sans chausse-trapes, sans ambiguïté, simplement parce que c'est nous et qu'on s'aime. Montaigne avait su trouver les mots justes pour le dire." 

Je vous souhaite une année pleine des riches heures amicales

*Françoise Héritier, Au gré des jours, Paris, Odile Jacob, 2017.Prix spécial du jury, Femina 2017 .

jeudi 21 décembre 2017

Exercices d'admiration

 Pour introduire ce dernier billet de l'année, un peu de musique, justifiant en soi son titre



J'ai emprunté le titre à Cioran, que j'ai lu il y a fort longtemps et pas relu  depuis, sauf aujourd'hui pour me remémorer le contenu dont j'avais du moins retenu que Cioran n'y pratiquait pas une exécration comme à son accoutumée, mais une dissection fine des auteurs qu'il avait choisi d'élire pour cet opus. Bien-sûr sa sélection rassemble une belle brochette de tourmentés.. En sautant de Michaux à Fondane, je m'arrête au très bel hommage du Roumain à Maria Zambrano,  qui me donne furieusement envie de la lire. "Qui autant qu'elle, a le don, en allant au-devant de votre inquiétude, de votre quête, de laisser tomber le vocable imprévisible et décisif, la réponse aux prolongements subtils? Et c'est pour cela qu'on aimerait la consulter au tournant d'une vie, au seuil d'une conversion, d'une rupture, d'une trahison, à l'heure des confidences ultimes , lourdes et compromettantes, pour qu'elle vous révèle et vous explique à vous-même, pour qu'elle vous dispense en quelque sorte une absolution spéculative , et vous réconcilie tant avec vos impuretés qu'avec vos impasses et vos stupeurs".

Une de mes admirations va à  Françoise Héritier qui vient de mourir et on n'a pas sorti drapeaux et cérémonie officielle, toutes choses qu'elle n'aurait sans doute pas souhaitées. Elle est surtout connue pour ses thèses sur la domination masculine.


Mais c'est un autre de ses talents que je voulais honorer ici.  Après "Le sel de la vie, (Odile Jacob 2012), elle avait publié  cette année, une sorte de suite "Au gré des jours" que je lis en ce moment  à petites goulées et j'aime l’honnêteté de ces propos qui livrent par bribes des temps forts, enfouis sous l'épaisseur des jours,  et qui sont autant de petites secousses de plaisir, tant ils activent nos propres minuscules émotions ou nos émerveillements,  un mélange savoureux, entre anecdotes dérisoires et notations profondes.

 Mini florilège :"allier vitesse et prestesse pour attraper une mouche sur la table mais rater quand même piteusement son coup (:50),(...) avoir modérément apprécié une remarque de Lévi-Strauss à son propos: "Vous  avez un esprit d'homme" tout en sachant qu'il y voyait un compliment, mais avoir révéré et aimé cet homme au sage regard d'éléphante matriarche (j'adore ndr), surtout de profil, et qui ressemblait aussi parfois -quand il quittait en douce le laboratoire, courbé en deux, le corps un peu de travers, le pas pressé et le regard un peu en coulisse, notant tout, ne voyant rien - à l'illustre et génial Groucho (:56) (...) se refuser frileusement à tout idée de piercing, de tatouage, de ce qui marque définitivement le corps dans la souffrance acceptée (:59) (...) s'effrayer du nombre de fautes d'orthographe ou de syntaxe relevées dans les mails et les lettres reçus d'étudiants, de gens de lettres et même d'universitaires (60), user de borborygmes affreux et de grimaces au lieu de propos articulés quand on veut empêcher un gamin inconnu de vous importuner davantage qu'il ne le fait dans un train ou ailleurs (: 62). Je conseille cette lecture le matin pour se donner du cœur à l'ouvrage ou le soir pour entrer en toute sérénité dans  la nuit;

Pour conclure quelques pépites tirées d'un de mes philosophes préférés (qui ne se prend pas  sérieusement pour tel et c'est aussi son humilité qui me séduit), Georges Picard. Un très sympathique opus dédié à l'a lecture / écriture., "Cher lecteur" Corti, 2017


Là encore, tout le livre est un délice.:
"La manie d'encenser ou de flinguer un ouvrage en dix lignes ou en deux phrases est insupportable; malheureusement, les choses ne s'améliorent pas avec Internet où les éjaculations critiques des livres sont trop souvent d'une indigence et d'une sottise spectaculaires"..
Aïe, ne suis-je pas précisément en train de commettre ce forfait? En fait je ne publie jamais de critiques négatives à l'égard de livres ou de films. Ce ne sont chaque fois que des exercices d'admiration et tant pis s'ils sont maladroits 
 Les titres des livres de Picard, (tous publiés chez Corti, donnent à eux seuls l'esprit de leur auteur qui use d'une langue à la fois libre et rigoureuse. Un régal.
  •  Brèves Nouvelles du monde, 1986.
  • Variations sur le réel, 1988 (réédité par Corti en 2009).
  • Histoire de l’illusion, 1993.
  • De la connerie, 1994 (essai).
  • Du malheur de trop penser à soi, 1995.
  • Le Génie à l'usage de ceux qui n’en ont pas, 1996.
  • Tout m'énerve, 1997.
  • Pour les yeux de Julie, 1998.
  • Petit Traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, 1999.
  • Le Vagabond appoximatif, 2001 (essai).
  • Crème de crimes, 2002.
  • Tous fous, 2003.
  • Le Bar de l'insomnie, 2004 (roman).
  • Du bon usage de l'ivresse, 2005.
  • Tout le monde devrait écrire, 2006.
  • Mais dans quel monde vivez-vous, 2007.
  • Le Philosophe facétieux, 2008.
  • Journal ironique d'une rivalité amoureuse, 2009.
  • L'Humoriste, 2010.
  • L'Hurluberlu ou la philosophie sur un toit, 2012.
  • Penser comme on veut, 2014.
  • Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place, 2015.
  • Le sage des bois, 2016.
  • Cher lecteur, 2017.
Revenons pour finir à Cioran qui conclut ainsi son livre Exercices d'admiration. Essais et portraits
(...) j'aurais dù choisir n'importe quel autre idiome, sauf le français, car je m'accorde mal avec son air distingué, il est aux antipodes de ma nature, de mes débordements, de mon moi véritable et de mon genre de misère. (...)Or c'est précisément à cause de cette incompatibilité que je me suis attaché à lui (...)
Aujourd'hui que cette langue est en plein déclin, ce qui m'attriste le plus c'est de constater que les Français n'ont pas l'air d'en souffrir. Et c'est moi, rebut des Balkans, qui me désole de la voir sombrer. Eh bien, je coulerai, inconsolable, avec elle !   

dimanche 10 décembre 2017

Adieu à notre idole bling bling




Je respecte l'être humain qui vient de rendre son dernier soupir et qui est pleuré par ceux qui l'aimaient. J'aurais moins d'empathie à l'égard de l'énorme mise en scène mélodramatique orchestrée à l'occasion de ses funérailles
Un héros Jojo ? Une icône certes mais de ces années de gabegie consumériste dont il a été en effet un parfait laudateur, un exemple flamboyant. Il a introduit le rock'n'roll en France ? Euh ! Il l'a mièvrisé oui, rendu populaire parce qu'il a collé des mots français sur une musique qui ne l'était pas. Il a ainsi favorisé l'entrée du cheval de Troie de « l'american way of life » dans une culture qui tordait le nez sur les ambitions de lucre, sur des valeurs de m'a-tu vu, de possession ostentatoire d'objets rutilants. Toute sa vie l'idole aura mis le feu, élaboré des shows clinquants qu'il animait de son style de toréador, le pubis tendu vers la foule, la démarche chaloupée du tombeur, pendant que la conquête des mœurs de ces Européens vieillots par tout le nouveau du nouveau d'outre atlantique leur tombait sur le râble, avec le culte de l'efficacité et tout le tremblement, qui n'en finit plus d'ébranler le modèle social construit au fil du temps.
Sur les ondes, on s'est extasié sur sa vie de « famille recomposée », cinq mariages dont des petites filles prises au berceau (19 ans pour Laeticia, la dernière en date, qui a résisté contre vents et marées, alors qu'on lui prédisait une éclipse rapide), sur ces transgressions qu'il a éventuellement revendiquées (la cocaïne), sur cette insouciance d'homme libre qui fait tout ce qu'il désire parce qu'il en a les moyens. Il a incarné au plus haut ce personnage de western , de lonesome cow boy (alors qu'il était rarement seul, poursuivi par tous ceux qui venaient chercher auprès de lui quelques poussières de paillettes) d'^homme puissant en dépit ou grâce à la fêlure fondamentale d'une enfance malmenée
Je suis mauvaise juge de l'artiste qu'il fut, son style trop éloigné de mes goûts, je ne connais que les chansons qui ont fait sa popularité et encore n'en retiendrai-je qu'une poignée dont Diégo (même si je préfère l'interprétation de France Gall). De plus je ne suis idolâtre de personne. j'ai des admirations mais je n'irai certainement pas m'agglutiner à une foule pour saluer le départ de qui que ce soit.
En revanche, je reconnais la puissance de « la bête de scène ». En cinquante sept ans de carrière (1960-2017) 184 tournées, 27 rentrées parisiennes et plus de 28 millions de spectateurs. Rien qu'en France, 696 représentations dans la capitale, dont  266 à l'Olympia, 144 au Palais des Sports, 101 à Bercy (dont huit avec Les Vieilles Canailles) et 78 au Zénith de Paris, deux fois au Parc des Princes (sept représentations) et trois fois au Stade de France (neuf concerts).
Johnny Hallyday s'est produit 2 813 fois en France et a donné plus de 3 256 représentations au cours de sa carrière, durant laquelle, il a chanté dans quarante pays différents. Chapeau l'artiste ! Quelle marathonien ! Il faut bien qu'il ait eu du talent pour traverser le temps en restant infailliblement en haut de l'affiche.
Il était le symbole de l'homme venu du « tiroir du bas « ( comme dit Bernard Tapis, un autre tycoon en proie aux métastases) qui parvient aux sommets de la gloire et  pour tous les gens modestes dont les vies sont insignifiantes au regard d'une époque intoxiquée de médiatisation wharolienne, incarne tous les possibles. Ses  chansons sont une consolation pour affronter les vents mauvais d'un quotidien besogneux. Johnny c'est la revanche des pauvres aussi bien que l'alibi des riches. Il a inauguré cette ère de la poudre aux yeux, des sommes exorbitantes versées aux saltimbanques de la scène ou du stade quand les petites mains qui traînent le matos ou nettoient les vestiaires ont à peine de quoi vivre. Il est arrivé juste après la guerre en pleine insouciance et inconscience des trente glorieuses qui voyaient débarquer les bagnoles rutilantes , le téléphone pour tous, la télé dans chaque salon et, bon an mal an l'espoir d'un avenir meilleur. Années 60 où les femmes étaient outrageusement maquillées et traitées comme des quiches sans cervelle et uniquement orientées vers la conquête du Prince charmant. Et Johnny, il avait tous les attributs pour faire rêver les midinettes. 


Hélas, on a dû déchanter, les nouveaux donjons se sont installés, les nouveaux maîtres du monde ont réaffirmé l'empire et toute une génération est passé directement du statut de saltimbanques à celui de princes, déclenchant par là-même un appétit de consommation savamment entretenu par les sirènes publicitaires, pendant que la planète commençait à tousser (1970, le club de Rome alerte et préconise la décroissance du modèle consumériste). Certains se sont tenus à l'écart de ce grand bastringue. JH lui a joué le jeu à fond, apportant son soutien à nos présidents de droite, cherchant le paradis fiscal. Il était généreux le zèbre parait-il, de cette générosité qui a ramené régulièrement sur les planches des Enfoirés pleins de compassion de circonstance mais accumulant par ailleurs les propriétés, les hochets de la frime, encourageant cet esprit typiquement américain du droit à un mode de vie non négociable.
J'ai un peu regardé les images de la cérémonie de la Madeleine. J'y ai vu un spectacle démoralisant, des dinosaures qui pleuraient surtout leur jeunesse enfuie, la fin d'une époque révolue qui va s'engloutir en même temps qu'eux qui l'ont cyniquement incarnée. C'est certain, il n'y aura plus de Johnny, la planète n'a plus les moyens de cette gabegie, inaugurée après Hiroshima et qui sombre au rythme des tweets de Trump.
Bon voyage, Jojo, tu étais sans doute un bon bougre mais vraiment, pardon pour cette dernière torpille lèse majesté, un terrible songe creux !


vendredi 8 décembre 2017

Chère Tania



Chère Tania,
J'ai eu le plaisir de vous rencontrer lors de mon dernier passage à Bruxelles. Vous m'avez fait découvrir le MIM (musée des instruments de musique), un lieu magnifique où se trouve un restaurant au dernier étage d'où on contemple la ville en savourant des plats très gouteux. Nous avons papoté comme on dit, parlé à bâtons rompus. Nous nous sommes quittées juste après le dessert, je devais me rendre à une réunion. Tania, fragile, mais animée de ce bonheur de lecture que nous avons évoqué puisque c'est ce qui nous a réunies toutes ces années où je suis allée régulièrement lire vos chroniques et où vous avez rarement manqué un rendez-vous sous l'arbre.
Je vous dédie ces extraits (j'ai dû choisir dans la pléthore de  réflexions dédiées à l'écriture et à la lecture) trouvés chez un auteur que j'aime beaucoup, parce qu'il envisage la vie avec cette modestie nécessaire pour rester ouvert à toutes les fortunes du hasard.  J'utilise votre joli marque-pages.

"Les romans sont déjà une interprétation du réel, assumée, sublimée, poétisée. Nous les lisons avec notre propre pouvoir d'interprétation. Ce dédoublement (le lecteur interprète l'interprétation de l'auteur) fait diverger l'imagination vers des mondes où les faits ont une nature différente de leurs homologues réels (...) Nos meilleurs amis ou ennemis, nous les trouvons souvent dans les livres : ces "personnages de papier" ont le talent d'exister superlativement quand les gens en chair et en os n'existent qu'approximativement et, trop souvent,médiocrement. (...)
L'une des supériorités de l'expression écrite sur l'expression orale, c'est sa capacité de précision et de nuances pour approcher une idée difficile (et d'une certaine façon elles le sont toutes dès que l'on se donne la peine, ou plutôt le plaisir, de les creuser un peu), il faut avancer prudemment, avec circonspection et lenteur, examiner, nuancer et nuancer encore, démarche évidemment contradictoire avec ce que demande une bonne partie des auditeurs, voire des lecteurs. Les orateurs ont généralement tout à gagner à donner l'apparence de la certitude. Ceux qui hésitent se disqualifient eux-mêmes face à des auditoires avides d'idées faciles à assimiler et à retenir. (...) 
Dans un ouvrage littéraire, l'abondance des précisions s'appelle pédantisme. Mieux vaut que l'auteur parie sur l'intelligence du lecteur pour remplir les vides qu'il a volontairement refusé de combler. Mieux vaut accorder beaucoup à l'intuition, au paradoxe, à l'humour qui ménagent le plaisir du jeu intellectuel autant que  la probité d'une écriture ouverte. (...) 
Quand un ouvrage au service d'une thèse ne considère jamais avec honnêteté, sinon avec une bienveillance de principe, les arguments contraires, la messe dogmatique est dite. (...) 
Ce qui m'intéresse en tant que lecteur, c'est ce  qui élargit mon intelligence et ma sensibilité, c'est-à-dire ce que je ne trouve pas en moi-même, ce à quoi je n'avais pas pensé. Écrivain, ne cherche pas à me convaincre ou à me plaire. N'en fais qu'à ta tête. Ne pense pas à moi quand tu écris.Si tu veux aider les hommes, engage-toi dans une association humanitaire ou en politique. Mais dans le temps de la création, fouille tes tripes et ta cervelle sans te préoccuper de savoir si tu peux être utile. Sois inutile, car c'est d'inutilité dont nous manquons le plus, de pur désintéressement."

Quoi de plus désintéressé, chère Tania, que nos aventures blogueuses ?
Bien à vous

Extraits,  Georges Picard "Cher lecteur"  Editions Corti, 2017

vendredi 24 novembre 2017

Autoportrait

Quand j'étais petite, ma mère m'appelait miss pourquoi. Il parait que j'agaçais le  monde à ne jamais me satisfaire des explications qu'on finissait par me concéder après avoir subi le siège de mes questions.


Plus tard, au lycée, je me faisais foutre à la porte parce que je tenais odieusement tête à mes professeurs, surtout celui de maths, un Tournesol égaré entre nos bancs, qui n'aurait jamais dû quitter le labo.  Plus tard encore, j'ai souvent joué le rôle de la pétroleuse qui se mêlait des conversations des hommes quand ses copines se peignaient sagement les ongles de doigts de pied. Tais-toi un peu disait
ma mère, baissez-les yeux disaient mes professeurs, tu veux toujours avoir raison hoquetaient mes amants (entendre, tu refuses que j'aie toujours raison).  



 
Ces habitudes détestables me sont restées, ces travers ont perduré : poser des questions, refuser l'autoritarisme et résister à la mauvaise foi de Jules ou de Jim (que j'adore poupouler par ailleurs, mais vous savez comment ils sont Susceptiiiibles!). A part ça, j'entretiens un commerce très doux avec les enfants, les animaux, les plantes et j'ai le goût de l'amitié.  



 
Un jour, je me suis installée devant mon ordinateur, sous un arbre à palabres, face au bel horizon et de ce lieu virtuel, je persiste et signe.

J'ai retrouvé ce texte que j'avais écrit à la suite d'une sollicitation de l'ami Dexter qui a disparu de la blogosphère. J'ai ajouté les photos

lundi 30 octobre 2017

La fin du mâle dominant ?


J'ai emprunté cette image à un article de Reporterre intitulé Violences sexuelles, violences à la terre, une même culture .
Lorène Lavocat y place en exergue cette citation du philosophe Francis Bacon « La nature est une femme publique. Nous devons la mater, pénétrer ses secrets et l’enchaîner selon nos désirs. »  
L'écoféminisme est un mouvement qui considère que le capitalisme repose sur trois piliers : la domination des femmes, l'exploitation des peuples colonisés et des ressources de la nature et qu'on doit lutter de concert contre le fléau de la domination patriarcale qui soumet femmes, peuples colonisés et nature à la seule volonté des hommes et de leur loi.
Ce n'est pas un hasard si la dénonciation des abus sexuels a un tel retentissement justement en ce moment. La prise de conscience que c'est tout un système qui doit être incriminé dont la violence faite aux femmes est un des phénomènes superlatifs d'une philosophie de la maîtrise masculine sur tous les domaines du vivant, dont la guerre,  le pillage et le viol ont été  les instruments depuis les siècles et les siècles
Les exactions commises dans un monde dont on croyait  les contours illimités sur une planète qui  comptait moins de  2 millions d'habitants au début du siècle précédent et en compte désormais 7,3 milliards sont  obsolètes, imbéciles et insupportables. La population de notre planète a été multipliée par 47 en 2500 ans en passant de 150 millions d'habitants à 7 milliards au début du XXIe siècle.
 demographie population mondiale

 L'antique pulsion de reproduction qui poussait les mâles à engrosser le plus grand nombre de femmes a trouvé son premier coup d'arrêt avec l'avènement de la contraception puis de l'autorisation de l'avortement, même si ce n'est pas encore établi dans le monde entier.  
Nous sortons de la préhistoire et les femmes libérées de la charge d'une famille pléthorique et accédant grâce à l'éducation à l'indépendance économique ne sont plus du tout disposées à subir la violence et le mépris dont elles étaient traditionnellement les cibles. Bien entendu, dans le camp des mâles contestés dans leur suprématie, ça renâcle. Quoi! On n'a plus le droit de mettre des mains aux fesses, de faire des réflexions fines sur les jolis nichons des pépettes qui passent à portée, on ne peut plus les soumettre au chantage pour leur sauter dessus en toute impunité !  Mais alors que va devenir la très fameuse "drague" (toujours détesté ce terme), comment faire savoir qu'une femme nous fait bander ? On va devoir passer par toutes ces lourdeurs : leur parler, les inviter à dîner, leur faire la cour, tous ces trucs qui prennent du temps,  sont si ringards, leur demander la permission quand on se servait sans vergogne, les femelles n'étant guère plus intelligentes qu'un barreau de chaise.
Je n'ai pas participé à la campagne "balance ton porc". Non que je n'aurais rien à dire la-dessus, j'ai eu mon lot comme beaucoup de mes consœurs, mais  je n'aime pas trop qu'on utilise des termes animaliers pour décrire des comportement humains contestables, je ne vois pas en quoi le porc, cet animal si utile, devrait être associé à la vulgarité et la bassesse de ces prédateurs. Et de surcroît j'ai un peu de mal à m'embarquer dans des débordements médiatisés. Je n'aime pas la foule qu'elle soit en chair et en os ou virtuelle.
Pourtant j'approuve cette explosion parce qu'elle est une catharsis nécessaire à une prise de conscience fondamentale : l'humanité se doit des précautions si elle veut perdurer sur une planète sérieusement entamée. Et il nous faut nous allier dans un effort d'intelligence collective qui passe par un respect mutuel entre toutes les forces du vivant. La planète ne se laisse plus détruire, elle démontre tous les jours que l'équilibre naturel se refera au détriment des minuscules scories que nous sommes, accrochés à ses flans. Et les hommes, qu'ils le veuillent ou non sont dépendants des femmes. Ils l'ont toujours été mais ont prétendu pendant des siècles qu'ils étaient les maîtres du monde. L'heure de l'humilité a sonné. Ce n'est pas de force percutante dont nous avons besoin mais d'intelligence et de toutes les intelligences  dont certaines font défaut à nos compères.
Je n'ai pas participé à la campagne (que j'approuve, je le répète) parce que ça fait longtemps que je travaille sur ces questions (par exemple  formations auprès des équipes accueillant des femmes victimes de violence et j'en entendais de bien corsées dans la bouche des gendarmes) et que j'ai établi des relations équilibrées avec un réseau d'hommes de bonne volonté , même si je les prend encore souvent  en flagrant délit de suffisance mâle, mais bon, je me prend aussi  en flagrant délit de féminitude pusillanime. Je veux parier sur les alliances après avoir bagarré.
Je remarque que les jeunes gens construisent -avec certaines difficultés certes - des ajustements affectifs plus harmonieux. C'est le déclin des vieux mâles dominants. Ils ruent et ragent mais c'est fini, la peur et la honte changent de camp et nous  allons,  enfin, assister à leur extinction et par là même à la fin de leurs ravages sur la planète.
Il faut y croire et continuer hardiment à oeuvrer dans ce sens. Et que la fête commence, sans eux!

Voir aussi  Joelle Palmieri Touche pas à mon porc, une morale
ZERO MACHO Insulter une femme ? Frapper une femme ? Violer une femme ?
C’est nous, hommes, et nous seuls, qui décidons d’agir ainsi. Ou non.
Une femme insultée, brutalisée, violée ? Quoi qu’elle ait pu faire, c’est l’agresseur, et lui seul, qui est responsable. 

Dernière minute un jugement répugnant :   http://www.revolutionpermanente.fr/Dix-huit-mois-de-prison-avec-sursis-pour-avoir-viole-sa-fille-de-ses-9-ans-a-ses-15-ans 

mardi 17 octobre 2017

L'article que je ne voulais pas écrire

Je viens de lire l'excellent livre d'Erwan Larher, alors que j'avais un peu rechigné au départ. Un livre sur le carnage du Bataclan, ouh là ! je fuis les reportages larmoyants qui se repaissent des chairs éclatées et des familles éplorées. Et puis j'ai cru comprendre que finalement, non ce n'était pas ça, mais tout autre chose, la chronique d'une absurdité : la violence surgissant au hasard , là où elle est totalement antinomique, dans un lieu de fête et de musique, les minutes d'un antihéros précipité au cœur d'un combat halluciné mené par des hommes surgis du néant et y retournant après avoir entrainé avec eux des dizaines d'anonymes qui n'imaginaient pas que la mort leur sauterait à la gorge, un vendredi 13 maudit. Avec son histoire singulière, Erwan nous fait traverser toutes les strates émotionnelles : de la peur de mourir à celle de ressusciter à l’extrême limite, par pure chance, de l'effroi d'être à la merci des cerveaux fêlés qui tirent sur tout mouvement , faire le mort, faire le mort. Ensuite c'est le charroi vers l'hôpital, les pompiers débordés, les soignants qui font comme ils peuvent et ils peuvent beaucoup. Au passage un hommage à tous les braves qui forment la  piétaille des services  de la vie ordinaire et ne sont ni reconnus pour leur bravoure, ni récompensés d'aucune faveur, alors que ce sont eux les vrais héros. Ah ! Comme je me suis reconnue dans son ode au jeune pompier qui le berce sur son cœur en attendant qu'il soit charroyé vers l'hôpital au prix d'un surcroit d'épouvantables douleurs. Donc il a pris une balle de Kalachnikov dans la fesse, elle a fait des dégâts mais il ne mourra pas, il lui faudra "seulement" subir les opérations, recommencer à marcher et surtout, surtout vivre l'angoisse totale, pourra-t-il rebander un jour ? Vous le saurez en lisant ce livre que je ne voulais pas lire, ce formidable objet littéraire, car le pari était bien d'échapper à tous les pièges d'un pareil sujet : pathos excessif, complaisance doloriste, anathèmes vengeurs, contrés ici par l'autodérision et l'abondance de digressions mémorielles, diversions anecdotiques, et même une sorte d'empathie pour les fous perdus qui ont arrosé à l'aveugle de leurs balles tueuses des humains affolés et traqués. Le livre est scandé de courts témoignages d'amis qui ont vécu cette journée particulière en ne sachant pas comment le joindre -il avait oublié son portable chez lui-. Objet littéraire donc parce que la langue, la prouesse d'une langue châtiée et gouailleuse, précise et vagabonde, violente et caressante. Enfin la rencontre avec un bel humain, un frère.

Alors en ces jours où sont enfin cloués au pilori médiatique les violeurs, abuseurs et enfoirés notoires parce que notables, qui cachent la forêt de tous les plus miteux tout aussi persuadés que leur bite leur confère supériorité sur  tout ce qui vit sur cette planète, les femmes bien-sûr, mais aussi les bêtes, les mers, les montagnes, les entrailles même de la terre, en ces temps où les vérités sortent du bois, ça fait du bien de faire connaissance avec un anti héros, un doux qui ne manie comme arme que son stylo rouge pour faire la peau à l'orthographe défectueuse ou l'adverbe superflu. Et cependant il  se lamente : et si son bel organe refusait à jamais de se dresser, ( même s'il lui arrive d'avoir un peu honte de se préoccuper de son phallus quand d'autres sont désormais paraplégiques). On le comprend ! Ne plus baiser, faire l'amour, ce n'est pas envisageable quand on est plutôt agréablement accueilli dans le lit des femmes. Et les femmes ne veulent pas émasculer les hommes, surtout pas ! Elles veulent juste qu'ils les séduisent,  leur donnent le goût de s'y frotter, pas qu'ils les y contraignent par la force, le chantage, la menace et toutes ces joyeusetés.

Pourquoi ai-je mélangé ces deux propos, le formidable livre d'Erwan Larher et les turpitudes des magnats de l'industrie du spectacle ?  C'est évident non ? La folie meurtrière  s'enracine dans l'absurdité d'une société profondément dévoyée dont nos magnats sont les démiurges et ceux qui nous sauvent du total désespoir ce sont les hommes et les femmes tendres et lucides qui mettent en partage leurs douleurs, leurs doutes et leurs épiphanies. Merci Erwan