vendredi 15 mai 2009

Admirable tremblement du temps.

En hommage amical à Henri Zerdoun, en lui souhaitant de retrouver rapidement sa belle santé

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"Et bien sûr, il n'y a pas plus d'éternité qu'il n'y a de présent ponctuel. L'éternité est stabilisation de l'instant ou récurrence de l'instant dans le temps; et le présent est toujours saisi dans sa double marge, son double mouvement d'ailes du passé et de l'avenir : dire que je vois cette fleur, c'est dire que je me souviens d'elle et que je ne la vois plus. Mais si aucune parole ne saisit le présent, il y a une parole qui le poursuit, cherche la tangence. Et si les mots de l'éternité viennent du temps encore, ils s'efforcent d'échapper au temps du présent. Il y a un art qui vise le temps, un art qui cherche à l'exclure. "

Gaëtan Picon Admirable tremblement du temps, Les sentiers de la création, Skira, Genève, 1970


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"Car l'humanité ne veut pas se donner la peine de vivre, d'entrer dans ce coudoiement naturel des forces qui composent la réalité, afin d'en tirer un corps qu'aucune tempête ne pourra plus entamer. Elle a toujours mieux aimé se contenter tout simplement d'exister.
Quant à la vie, c'est dans le génie de l'artiste qu'elle a l'habitude d'aller la chercher."

Antonin Arthaud, Van Gogh, le suicidé de la société, K éditeur, Paris, 1947

Photos Henri Zerdoun, Des marches Intimes


mercredi 13 mai 2009

Qui connaît ce sujet

Cet arbre est une merveille, lorsque ses premières feuilles irradient une lumière d'or pur. Hélas cela ne dure pas. En partant ce matin, je m'étais promis de la capturer dans l'oeil électronique ce soir. Hélas je ne l'ai pas saisi au plus fort de son éclat, il tourne déjà au vert.

J'ai totalement oublié son nom et ne parvient pas à le retrouver. Sauriez vous m'aider o' vous qui habitez des espaces que vous avez colonisés grâce à l'implantation de sujets fidèles et constants, tels que lui qui chaque printemps déploie sa parure éblouissante. Merci d'avance.

mardi 12 mai 2009

Petit conte de la vie ordinaire. De l'impassible et de l'éructaction





Petit conte de la vie ordinaire.
J'étais en ma vingtième année et la muse d'un peintre plus agé de dix ans, qui m'apprenait la vie : rire et observer, tout en fréquentant des lieux de frayages abondamment peuplés à cette miraculeuse époque de semblables aussi jeunes et écervelés que je l'étais moi-même. Une charmante, un jour de mai nous invite à nous joindre à une fête, par elle organisée, quelque part dans la campagne riante et fleurie très au-delà des ceintures de la capitale. Une fête à la campagne en mai, ça ne se refuse pas, ne serait-ce que pour renouveler la qualité de l'inspiration. Rendus sur place grâce à je ne sais quelles tractations, nous honorons le buffet, dansons sur la pointe des pieds et finissons par nous ennuyer et décider d'allumer un feu (la nuit est fraîche) et de nous poster sous les étoiles pour deviser et échanger ce qui circule (paroles et autres drogues bénignes).
Un type passablement amochée de biture décide de s'en prendre aux "écroulés" et entreprend de les réveiller en bramant et en aspergeant les assis d'une eau dispersée de sa main en gouttelettes jetées au visage, en passant. Notre amie danoise (oui, la même pour les habitués, de passage en France), profondément choquée par le procédé, d'autant que l'impétrant a mis les pieds dans le plat au sens propre renversant nos réserves de victuailles, redresse les récipients en insultant le crétin en anglais. Mon ami la soutient d'un "Good, very good !". L'imbécile, humilié de la réaction très méprisante d'une femme qu'il ne peut décemment bastonner se retourne vers le mec qui s'est manifesté et lui dit "Tu me prends pour un idiot, tu crois que je ne comprend pas ? Je vais revenir et tu auras intérêt à la fermer". Il s'éloigne. La poignée de paisibles installés le cul dans l'herbe, commente en se marrant et croit l'incident clos.
Point du tout. L'absurde fait son retour, muni d'un seau d'eau puisé au puits, s'approche de mon compagnon et le lui renverse intégralement sur le corps. Mon héros retire sa veste, la tend vers le feu en lorgant l'imbécile au rictus haineux et lui rétorque "Ca va , tu es content ?". Hystérie absolue ! Il se met à hurler dans les aigus que non, qu'il ne devait rien dire, qu'il allait revenir avec un nouveau seau, qu'il le verserait pareillement et que cette fois il exigeait une acceptation absolue, signifiée par un silence de soumission.
La plaisanterie a assez duré. On le ceinture (ses propres comparses), on l'éloigne de force et pour ce qui nous concerne, nous continuons sous les étoiles.
Le bilan se solde de la façon suivante : une bagarre entre tarés imbibés à outrance, une jeune femme désespérée des dégâts commis par les brutes, un groupe de contemplateurs d'étoiles rejoint au fur et à mesure par l'ensemble des invités hormis les acharnés de la castagne, lesquels finissent par prendre la route et débarrasser les lieux mais ratent un mauvais virage et s'emplatent dans un mur, deux morts.
Cet évènement fut initiatique et il me revient en mémoire chaque fois que colère et demesure s'affichent sous mes yeux. J'ai gardé mon admiration à cet homme qui d'un air détaché et le sourire ironique aux lèvres suspendit au dessus du feu sa veste inondée et se refusa de sauter à la gorge de son agresseur au risque d'entacher une soirée d'amitié et de libations.

lundi 11 mai 2009

Vent des blogs 11. Une heure du matin ! Ouf !


Cette photo est une spéciale dédicace au Chasse-clou, dont les reportages sur les véhicules de toute espèce sont des modèles. Elle a été prise sur l'autoroute du retour d'un week-end délicieux, ce magnifique double arc-en-ciel en ligne de mire pendant que la pluie se transformait en grêlons battant joyeusement la mesure sur le toit de notre habitacle. Nous avons échappé à un carambolage, les intempéries ne manquant jamais d'ajouter de l'aléatoire au hasardeux.
Trois jours de chaleureuse amitié, de promenades bienheureuses mais épuisantes (les contreforts des Pyrénées), de repas plantureux et de haute qualité (des produits, des savoir-faire, du partage des tâches et des conversations), et de chant choral à deux, trois et quatre voix sous la vigilante et drolatique gouverne de notre cheffe de choeur (également comédienne et clown, ce qui ne retire rien à son oreille musicale, on s'en doute).
Avant de plier bagage pour les hauteurs (de vue et de son), j'avais préenregistré quelques liens en vue de ce vent des blogs dont je trahis la périodicité (hebdomadaire) au prétexte de me goberger dans la vie réelle.
Or donc CGAT, instigatrice de Lignes de fuite a eu maille à partir à propos d'une photo qu'elle avait empruntée sur le net pour accompagner sa présentation d'un ouvrage. L'auteur du cliché s'est insurgé, la contraignant à supprimer le portrait de l'écrivaine et cela donne un débat sur le web "repaire de filous, d'escrocs, internet poubelle" que notre ineffable Finkielkraut voue aux gémonies sous les caméras d'Arrêt sur images, ça vaut son pesant de jetons de présence au conseil d'administration de TF1.
Il se trouve que la coquine Clopine, annonçant qu'elle m'empruntait le procédé a placé quelques spotlights sur une poignée de ses bloggers préférés. Par une sorte de contagion (but de ce genre d'opération) je me suis intéressée à un certain JLK dont le dernier billet "Malentendu" est illustré d'une silhouette vêtue (on devrait dire ensevelie) de la tête au pied d'une burqua, le commentaire est finaud, les antécédents ne manquent pas d'humour, ni de profondeur.
Blog-Trotter qui commente ici, de temps en temps, avait déploré la mort accidentelle (voiture en folie une fois de plus) de sa voisine et poursuivi par l'enterrement d'icelle, les amis présents, la famille et surtout le mari digne et debout dans cet horrible attentat du destin. La famille a souhaité que ces textes soient retirés et que le silence succède à cette tempête. Pour annoncer cette décision et y accéder, BT a mis en ligne la vidéo de William Sheller Je veux être un homme heureux. (Sans commentaire)
L'ami Cactus construit en accéléré son nouvel asile. Si vous êtes friands de jeux de mots laids et de têtes à queues sans queue ni tête, additionnés de hurlements de rires, ne vous gênez pas, il adore la visite.
Il y eut au sein de notre éminente communauté de zigottos agités du bocal, un petit scandale fomenté de main de maître par Chr. Bohren, intitulé le dossier Stalker . Je n'ajouterai aucune surcharge, veuillez vérifier par vous-mêmes les arguments de l'accusation, de la défense et ceux de l'accusé, qui ne manquent pas, ces derniers de, comment dire "virulité".
Enfin, je rappelle, mais j'en ai parlé il y a trop longtemps, vous avez peut-être oublié, que si vous souhaitez absorber chaque jour, à dose homéopathique et néanmoins efficace votre nécessaire de vitamine et de bonne humeur, une seule adresse ou plutôt deux (ils se répondent, s'empruntent, se font des personal jokes) j'ai nommé Luc Lamy et Loïs de Murphy, deux trapézistes de haute voltige sur zygomatiques bien accrochés.
Ce vent des blogs est orienté éhontément copinage et cousinage, deux mamelles de la compromission ? Parfaitement !


Vous prendrez bien un rafraichissement
Photos ZL

jeudi 7 mai 2009

Recyclage avant extinction des feux





Je visite les blogs, je leur trouve une sorte de ligne de conduite, éditoriale comme on dit dans le métier, du moins ceux que je fréquente par amitié.
Il me semble pour ma part que je sacrifie à l'éclectisme, au risque de ne pas même me reconnaître à la relecture.
Je pars demain pour quelques jours consacrés au chant. J'ai concocté une sélection de morceaux qui n'ont sans doute jamais eu l'honneur d'un seul regard et en tout cas de commentaires quelconques et qui démontrent la tendance coqualanesque qui m'afflige et ne peut que sauter aux yeux de mon lecteur. Je vous fais juges.

Moloch, le retour (04/12/08)
Le dernier des jeux jouissifs est de se munir d'une bestiasse énorme, dressée à retourner à coups de mufle baveux tout attribut un peu intime (sac, duffle coat) appartenant à une espèce délicieusement tendre, j'ai nommé le collégien ordinaire afin de le tétaniser de terreur, déguster ses piètres protestations d'innocence, se rincer l'oeil en le contraignant à grelotter en slip sous le regard effaré de ses supposés complices, puis à remballer son attirail en ricanant des pleurnicheries offusquées sur les dégâts occasionnés par la partie de rigolade, et faute de pouvoir embarquer la vermine pour la passer à la tenaille et à la roue, (on n'a pas encore le droit sans quelques grammes de preuve), conclure par l'injure ultime : "salut les filles" (= à bientôt les pédales).

Pluie de plumes (12/12/08)
Sans cesse désolée de l'écart cruel entre délires poétiques et trivialité de l'ordinaire déroulement du quotidien. Dans le même temps reconnaissante à la bonne grosse évidence des nourritures terrestres de consoler la déchéance de l'ange tombé du nid, incapable de déployer ses ailes brisées dans la chute.

Putain de ta race (14/12/08)
Voilà qu'elle revient la vieille tentation de l'utiliser ce terme que les ethnologues (Lévi Strauss un des premiers), les biologistes et autres observateurs de l'humaine aventure, ont depuis déjà quelques lunes dénoncé comme arrogante billevesée des semi Albinos du Nord pour justifier leurs coutumes barbares d'assassinat, de viol et de captation, dont ils ont tiré leur soi-disant suprématie civilisationnelle et dont ils persistent à démontrer l'excellence grâce à leur génie balistique.

Abstracteurs de quintescence (24/12/08°
Je viens de faire un petit tour dans la blogosphère en glissant de lien en lien. De poèmes en vidéos, de dessins en notes de musique, d'humour en humeur, quelle galerie ! Pourquoi se fatiguer désormais? La planète entière s'invite dans notre chambre. Un petit clin de clic, et nous plongeons tel l'aigle royal sur une proie ainsi capturée, consentante et roucoulante. Comme le monde devient aimable ! Tous ces archivistes désintéressés trop heureux de nous inviter à visiter leur royaume, à nous y laisser folâtrer tout à notre aise et nous ne sommes pas même obligés de récompenser le guide ni même de le saluer en entrant ou en sortant. Dommage d'ailleurs ! Nous aimerions parfois le croiser en chair et en os. Cela, en revanche, ne fait surtout pas partie du programme, surtout pas. Le blogger n'est pas un vulgaire meetic addict. Il ne prétend qu'à la spiritualité de ses œuvres et ne songe, en toute modestie, qu'à fonder une petite clique d'adeptes prêts à faire circuler à leur tour, de clic en clic, une nouvelle quintessence.
Attention cependant, soyons vigilants, prenons garde, le poète nous aura prévenus :
"quel dommage qu'en passant par l'alambic la pensée humaine prenne le chemin contraire à celui de l'eau de roses, et qu'à la troisième ou quatrième épuration elle se dessèche, au lieu de s'exprimer en quintessence. Musset .

La déconfiture des arrogants (18/12/08)
C'est formidable, je rencontre partout des articles où sont vantées les vertus de la coopération, de la solidarité, de la sobriété. Les conversions à "l'autre économie", à la régulation de l'Etat, l'invocation des mânes de Keynes, fleurissent dans des cénacles où on vouait les unes et les autres aux gémonies il n'y a pas même trois mois. Ce serait à mourir de rire si on ne pressentait dans les discours opportunistes une tartufferie de première urgence, le temps de colmater, avant de repartir vers le cap du profit à tout crin. J'ai une pensée émue pour Ivan Illich et André Gorz qui ont quitté la planète avant de pouvoir assister à la déconfiture des arrogants dont ils avaient dénoncé l'immense et stupide cupidité. On ne pourrait que se réjouir de la cure d'amaigrissement infligée à la ploutocratie . Hélas, son impéritie va encore serrer d'un cran la ceinture de ceux qui crevaient déjà de faim et en augmenter les cohortes. Les autres reprendront très vite de belles couleurs.

Les mots, les notes ou les deux à la fois. (05/12/08)
Donc l'Audiovisuel public se lamente. On va l'asphyxier (c'est vraisemblable), le placer sous la férule du pouvoir d'Etat (ça en prend le chemin), le réduire comme peau de chagrin (c'est déjà en route). Que faire ? Gueuler, manifester, se mettre en grève ? Degré zéro d'efficacité. Seule issue: inventer une télévision débarrassée de tout le bling bling adopté ces dernières décennies pour singer la putasserie de sa rivale du privée et, dans une nouvelle ascèse imposée sinon choisie, retrouver l'énergie et l'inventivité de ses débuts, quand les créateurs ne couraient pas le cachet mirobolant mais cherchaient et trouvaient les formules d'une communication qui s'imaginait en marchant. Il n'y a pas à regretter que le service public n'ait plus les moyens de faire comme les autres. Il pourra enfin se dédouaner de cette didacture du plus grand nombre et fabriquer pour des publics plus confidentiels des bijoux artisanaux en puisant dans le vivier de jeunes créatifs trop heureux de faire leurs armes pour des salaires raisonnables. Qui sait si ce n'est pas le meilleur moyen de siphonner l'audience des vénales.

Adieu au vieux monde des mâles pâlichons (20/01/09)
Dans ce moment unique, nous assistons à une sorte de quintessence des outrepassements : un Noir, premier Président de couleur aux Etats Unis accueilli pour cette cérémonie au Congrès où officie une femme Nancy Pelosi (la première également) présidente de la chambre des représentants. Une telle conjonction est en effet inouïe et paraissait improbable il y a seulement quatre ans lorsque les Etats Unis avaient réélu GWB, qui restera avec Nixon un des plus calamiteux du genre. Il a d'ailleurs été sifflé lors de la passation de pouvoirs. Bon débarras (si toutefois on se débarrasse avec l'une de ses marionnettes de l'engeance qui sévit encore).
Longue vie à Obama, pas seulement for USA sake mais pour le monde entier. Il est temps de laisser le vieux monde des mâles imbus de leur supériorité de pâlichons et de détenteurs de testostérone pour entrer dans une combinatoire plus subtile des forces et des talents de l'espèce. Un peu d'optimisme ne nuit pas.

Des chercheurs qui trouvent ? (27/12/09)
La phrase fameuse de Charles De Gaulle reprend du service "des chercheurs qui cherchent, on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche". C'est un peu réducteur. Il s'agirait plutôt de se demander ce qu'ils cherchent et pour qui. Les chercheurs trouvent dès que les moyens leur sont donnés et s'ils ne trouvent pas ils publient pour prendre place, occuper leur rang. Simplement le paludisme intéresse moins l'industrie pharmaceutique que les effets de l'âge sur les verges et les vergetures. On n'insistera pas. Tout cela est trop connu.

Ce sont des extraits, si vous êtes absolument subjugués n'hésitez pas à remonter dans le temps pour l'intégrale .
Cependant,
"Toute littérature est entachée de ridicule : sa gravité, sa solennité, son outrance, son tour péremptoire ou inspiré... inévitablement l’un ou l’autre de ses profils est déjà sa caricature. Le lecteur n’a plus qu’à disposer son siège dans le bon angle pour y trouver matière à rire et se moquer. La conscience aiguë de ce ridicule constitue sans doute le secret désespoir de tout écrivain lucide." Eric Chevillard, l'Autofictif, (soi-même et fort chahuté sur certains blogs, or moi, je lui reste fidèle, à ce jour et j'attends son prochain livre de coeur ferme )

Photo Scanner les racines Clemt


mercredi 6 mai 2009

Carte postale rétroactive. La Suède, ses nuits courtes, ses chevaux légers


Lorsque je suis allée à Stockholm, le mois de juin offrait ses nuits si courtes qu'on ne les voit pas. On s'endort il fait jour, on se réveille il fait jour. J'ai pris un bateau pour me promener entre les petites îles qui constituent un archipel que les Suédois envahissent dès que leurs loisirs leur permettent. J'ai beaucoup aimé marcher dans cette ville, aérée, joyeuse. De même à Göteborg, je me suis amusée à devoir m'aplatir pour passer sous les ponts des canaux et bras de mers qui irriguent la ville.
A Saträbruk , un bled perdu situé entre les deux villes, j'ai passé dix jours dans un orphelinat transformé en Centre de séminaires, en compagnie "d'homologues" des cinq continents.

Mon souvenir le plus ému se situe dans un lieu dont j'ai oublié le nom à quelques kilomètres de l'embarcadère du ferry qui relie le Danemark à la Suède et qui fut ma première rencontre avec la Suède.
Une ferme où j'ai passé une semaine irréelle de février (neige et glace à perte de vue), chez des amis de Mette, ma copine danoise qui m’hébergeait à l'époque. J'y avais éprouvé une émotion inoubliable. La Danoise gaillarde et belle comme une aurore qui gouvernait le lieu avec son compagnon, entraînait à la monte des chevaux. Elle m'avait demandé de tenir la bride d'un cheval qu'elle habituait à la selle. Si je me sentais de courir auprès de lui sur la piste où elle l’entraînait, ça lui serait utile, mais je n'étais pas obligée.
J'avais une certaine trouille de ces colosses dont les muscles frissonnaient à hauteur de mon front et qui agitaient leurs têtes dans des dénégations que je considérais comme m'étant personnellement adressées. Mais peut-on jouer les poules mouillées devant une amazone qui vous toise avec un rire léger, pétri d’indulgence ?
J'ai couru. Dans la chaleur irradiante de cette encolure que je frôlais de l'oreille, m'efforçant de trouver au fond de moi une musique qui s'associerait à la paisible cadence. Il trottait, je courais et comptais mes pas sur les siens. Accorder mon souffle a desserré l'étau de la peur dans ma cage thoracique. Elle, elle rebondissait sur sa selle, calme, le front haut, le regard tantôt posé sur les petites avalanches croulant des sapins bordant le lac où patinaient des canards, tantôt sur moi
- Ca va ?
- Ca va !

Je suis devenue légère. Il me semblait qu'accrochée à la bride de mon poulain, j'étais montée sur quelque invisible coussin d'air, sur lequel je glissais, aérienne.

En réalité, j'ahanais, alors qu'elle continuait seule son tour de piste en le faisant galoper, pour lui faire plaisir. Pendant que je la contemplais en essayant de calmer la brûlure de mes poumons, j'éprouvais de façon violente le désir de ce plaisir-là. Etre portée par ce bel animal, partout où j'irais. Ce fut culminant et fugace.

Je suis revenue par la suite à ma vieille terreur des bêtes puissantes dont la brusque émotivité peut m'anéantir par le déchainement des forces incontrôlables (par moi) qui les animent. C'est une superstition, une limite ou une vraie sagesse. Je n'ai encore jamais pu en décider.

Photo Stockholm 2001. ZL

lundi 4 mai 2009

La maman des poissons, elle est bien tranquille


Quelle sangsue, ce blog ! Je pars quelques jours et je retrouve tout en chantier. J'ai négligé mon Vent des blogs, forcément. Les stationnaires eux ont poursuivi leurs travaux. Sur chaque site j'ai plusieurs actualités périmées à remettre dans mon goût du jour. Je suis prise en tenaille entre mon désir de fidélité et ma grosse flemme. Sans compter les com sur mon site que je n'aurai pas honorés d'un amical accusé de recevoir. Il me faut choisir les sacrifiés et me ruer sur les incontournables. Et vous savez quoi ? Dieu reconnaîtra les siens.
Paris ! Quelle invraisemblable familiarité me lie à ce lieu. Je remets mes pas sans surprise dans les couloirs gavés d'affiches de deux mêtres de haut avec des images plus grandes que moi qui toutes m'exhortent à acheter quelque partie du microcosme (cinéma, théâtre, vêtements, meubles, cours d'Anglais...) comment fais-je pour vivre sans ces merveilles, d'ordinaire ? Je slalomme entre des êtres obstinés à rejoindre leur propre destination, des quémandeurs de toute espèce. La grande innovation depuis ma fuite (15 ans déjà) et qui n'est pas récente mais a rattrapé nos congénères d'autres capitales : je sais combien de minutes je vais attendre le prochain métro et même le second !
Je suis arrivée jeudi soir, sans encombres, accueillie par mon amie américaine (adaptée francophone depuis trente ans).

Mon amie habite au dessus de la gare Montparnasse. Les sons ordinaires des déplacements ferroviaires nous parviennent assourdis, comme transposés symphoniques. Au dixième étage, la vie ordinaire s'éthérise. Les immeubles sont de clignotantes répliques des forêts de Max Ernst.
Le chien Saxo,un Golden Retriever d'une grande douceur, inscrit de l'organique dans cet univers, en venant humblement mendier son lot de caresse.

Je ne ferai aucun commentaire sur le premier mai. Voir le numéro spécial du Chasse clou, il résume à sa manière ce que je pourrai en dire.

Mon amie souhaitait voir Gran Torino. Clint Eastwood, ça ne se refuse pas. Je l'ai volontiers accompagnée en ignorant que le titre était en fait le nom d'une voiture, objet symbole d'une transaction délictueuse puis aimante, je vous laisse découvrir. Il n'empêche, le fond de l'histoire, c'est le retournement d'un vieux réactionnaire qui a décimé du "Niakoué" (guerre de Corée) et voit son quartier envahi par les Jaunes, singulièrement des Hmongs, contraints à l'exil pour avoir été partisans des Américains pendant la guerre du Vietnam. Sacs de noeuds gordiens dont l'histoire mondiale regorge. On assiste à la conversion du vieil acariâtre sous l'effet conjugué de deux adolescents, l'une, jeune fille pleine de pugnacité et d'humour, l'autre, le frère, un garçon efféminé au regard des codes de sa culture et de la culture américaine (un mec ça cogne, voire ça bute). On a droit au ballet des flingues. C'est terriblement inscrit dans la dramaturgie yankee.
Clint est un vieillard (79ans ) qui a toujours fière allure. Ses films sont profonds et efficaces.

Ma fille voulait voir Welcome. Son chéri le lui avait conseillé. Bien-sur, un Philippe Lioret / Vincent Lindon, c'est un bon ticket, allons-y. Eprouvant. On a beau savoir à l'avance de quoi il s'agit, voir les types s'enfiler des sacs plastiques sur la tronche pour éviter de se faire repérer par le taux de CO2 lié à leurs échanges pulmonaires, ça étouffe. Tout le film nous travaille au remords d'appartenir à cette "civilisation" qui croit se protéger en éliminant de la façon la plus épouvantable quelques surnuméraires, au prétexte qu"il faut éviter d'encourager l'immigration clandestine, quand les conditions de vie à l'origine de ces transhumances sont telles que rien ne peut empêcher ces damnés de tenter d'accéder à un Eldorado, quelles que soient les épreuves qui les attendent. Tout plutôt que la mort lente. L'histoire en l'occurrence est sublimée par la quête amoureuse du jeune héros, prêt à franchir le Channel à la nage.

Calder, oui mais à quel prix (12 euros, by the way), mais le coût le plus lourd à mes yeux reste le temps passé dans les queues. Pour entrer dans l'usine culturelle (examen des sacs 20mn), puis acquérir le billet (15mn), puis accéder au sixième étage, le nez sur l'arrière-train de qui nous précède, puis présenter son ticket avant de franchir la porte de l'expo. Une fois à l'intérieur se démancher le cou (tellement le monde se presse) pour admirer ce qu'il y a à. Et il y a c'est un fait. Le petit cirque accompagné de la célèbre vidéo où on voit Calder animer ses animaux miniatures en produisant des sons curieux ouvre l'exposition. Les portraits en fil de fer, si bien éclairés que la lecture de leur projection d'ombre se transformant pendant que la sculpture tourne sur elle-même, nous offre pour chaque visage une panoplie étonnante d'expressions. L'exposition est surtout intéressante pour ces oeuvres, dont toute la série de Joséphine Baker, la technique du métal, idéale pour transposer la souplesse du corps de la danseuse. Quelques peintures du temps de sa fascination pour Mondrian (très en-deça d'icelui), quelques stabiles dont La baleine et le requin. Au total , un moment de jubilation plein d'humour, si on fait abstraction de l'irritation éventuelle procurée par le congénère qui commente à haute voix ou les mômes qui se font tartir et l'expriment bruyamment.

Je vous fais grâce de la série Kandinsky (deux expos pour le même prix, au pas de course pour cause de train à prendre de ma chérie). J'ai particulièrement aimé les séries d'aquarelles, formats plus réduits et les dessins. Kandinsky ou la couleur orgiaque.

Le soir, j'allais à la fête d'anniversaire de mes deux amis. Elle, j'ai travaillé de conserve pendant dix ans. Nous avons été comme les deux bras d'un même corps (sic) et nous avons ensemble soulevé pas mal de vieilles montagnes miteuses qu'il s'agissait de transformer en plaines fertiles . D'origine slovène, elle a bénéficié fort heureusement, au même titre que son mari, d'origine turque, de la vague de naturalisation initiée par Mitterrand . Deux magnifiques personnes dont la France n'a eu qu'à se féliciter, qui ont eu un fils brillant, appartenant désormais à l'élite intellectuelle. Lui, excellent bassiste, avec ses acolytes dont une chanteuse qui n'a rien a envier à Kate Bush, nous ont régalés de oldies but goodies. J'ai un peu mal aux mollets.

Raconter ces quelques péripéties, c'était une façon de me remettre sous le vent.

Illustration Calder Goldfishbowl