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jeudi 13 février 2014

Zoë, le retour.

Le blog avait reculé en arrière plan ces jours-ci. En quelques jours, je me suis déplacée plusieurs fois dont trois fois à Paris. Par ailleurs, je suis dans un vrai chantier affectif et spatial dont je ne dirai rien de plus mais qui m'a occupée en permanence et devrait me mobiliser encore beaucoup.
Alors qu'ai-je fait de racontable ?
J'ai eu le plaisir de passer quelques jours à Paris en compagnie de l'amie avec qui j'ai arpenté les rues de la capitale du temps de notre belle jeunesse et c'était la première fois que cela nous était possible. Nous nous rencontrons dans nos campagnes respectives mais pas sur les traces de notre ancienne vie parisienne. Pas de nostalgie, du plaisir à savourer ensemble quelques heures de baguenaudes. Le temps qui menaçait la veille nous a fait la grâce du soleil.
Nous sommes allées voir l'exposition de la Halle Saint Pierre.


cartonkatuOK/5.

 C'est la troisième fois que je visite ce temple de l'Art brut. A chaque fois des découvertes et surtout cette impression forte d'artistes qui ne prétendent pas en être mais consacrent leur temps de façon absolue à leur recherche. La majorité des œuvres présentes sont le fruit d'existences bannies. La plupart des artisans de ces toiles ou de ces objets baroques hantés par des obsessions, des hallucinations, des obstinations ont passé leur vie en asile. Certains ont entrepris des études d'art mais ont été rejetés par l'institution. Ils ont en commun des itinéraires de vie chaotiques (orphelinats, maltraitance, ruptures diverses), une spiritualité gouvernée par des forces occultes. Et pourtant la couleur et l'exubérance prédominent. 

Aloise Corbaz, Coquille-Venus (verso) sans date, Crayons de couleur sur papier, 200 x 43 cm. Galerie du Marché, Lausanne
Aloïse Corbaz, Vénus Coquille.

La minutie des réalisations également. C'est un art généreux d'autant plus riche qu'il ne prétend pas à la postérité. Au contraire, il a été le plus souvent conçu dans des lieux modestes, à l'écart du monde  voire dans un atelier attaché à un établissement psychiatrique. Certains  comme Adolf Wölfli  y ont passé la majeure partie de leur vie. Pour les rencontrer, aller à la Halle Saint Pierre qui offre une restauration agréable et une belle librairie consacrée à l'art et à l'Art brut bien-sûr

Nek Chand - Rock Garden. India 
Nek Chand, Rock  Garden. India

Alphabet, Dalton Ghetti, série de mines de crayons sculptées. Collection de l’artiste 

Vous pouvez retrouver les figures majeures de l'Art brut, cet art mis en lumière par un psychiatre Hans Prinzhorn et que Dubuffet a relayé avec enthousiasme sur ce site.

Quoi d'autre ? Vu quelques films qui m'ont enchantée et que je vous recommande. Je n'en ferai pas le commentaire mais vous trouverez toutes les infos sur vos sites préférés et si vous n'en avez pas je vous livre les liens. 
Je le conseille à toute femme dont la vie s'est ternie et s'est dissolue  dans la grisaille d'un quotidien sans tendresse et sans  poésie. Merveilleux interprètes : Karin Viard, Bouli  Lanners, Claude Gensac (la biche de Louis de Funès dans beaucoup de ses films ). Ça requinque.
Un thème qui pouvait être un tire-larmes, traité avec sobriété, humour et gravité,  cette horreur que peut être l'arrachement d'un enfant à sa mère (merci les nonnes!). Judy Dench, Steve Coogan, un duo improbable que Frears filme avec délicatesse. 
Un pur délice. Deux solitudes qui se prennent à se désirer avec comme lien de savoureux petits plats délivrés par erreur. Par de petites lettres échangées dans cette lunchbox qui a dérivé de son cours, peu à peu s'engage un dialogue intime. Une visite de Bombay entre hyper modernité et services désuets, surpopulation et moderne solitude. Une merveille, bourrée de notations subtiles, qui ouvre l'horizon aux femmes délaissées. Le film avait obtenu le prix de la semaine de la critique à Cannes. Plus que mérité.
Mandela Un long chemin vers la liberté, Justin Chadwick 
L'exercice était périlleux. Mandela est une icône, son visage, sa voix sont très connus, il est encore vif dans les mémoires. J'avais vu le documentaire qu'Arte lui avait consacré. Eh bien j'ai été totalement séduite par l'interprétation d'Idris Elba des faits (connus) tirés de son autobiographie d'un Madiba tout en nuances qu'il incarne  de ses jeunes années d'avocat pugnace et séducteur à sa sortie triomphale de prison.  Naomie Harris / Winnie  nous donne à sentir comment les humiliations transforment  une jeune femme aimante et enjouée en une guerrière haineuse, impitoyable à l'égard des Blancs mais aussi des Noirs traites à la cause. Une leçon d'histoire et d'humanité.
En résonance au combat de Mandela,  une bonne nouvelle : Ousman Sow à l'Académie des Beaux Arts.
 
Quoi d'autre ? Hélas, l'actualité c'est aussi ça  et  ça et bien d'autres tristes régressions de tout poil. Mais j'avais envie de légèreté pour ce retour en blogosphère.

Et je terminerai sur cette photo d'une sculpture qui se trouve à Beaubourg (où je suis allée musarder) dans la partie du Musée dédiée aux œuvres les plus récentes. Elle m'a amusée. Elle aurait pu se trouver à la Halle Saint Pierre, non ?



Barry Flanagan (1941-2009), Soprano, 1981.


mercredi 18 décembre 2013

Mes dernières séances


Je suis restée à distance de ce blog, occupée ailleurs.
En très lapidaire, mes dernières péripéties, extrêmement banales mais très fournies.
Quelques jours à Paris.

  
Art mural. Belleville.   11/12/13, 9h23
Partagé une petite heure avec l'amie Sofka, en grande forme et très remontée contre à peu près tout et notamment les Politiques, les publicitaires, les journalistes et j'en passe. Nous nous sommes réciproquement congratulées de notre virulente lucidité.
Suis beaucoup allée au cinéma. Je vous épargnerai un laïus critique, des recommandations, juste proposer quelques mots sur les films, une image forte, une émotion fugace
Le fond de l'air de l'air est rouge de Chris Marker. Dans cette fresque, collage d'images d'archives des années 60 à 70, de la guerre du Vietnam au coup d'Etat de Pinochet, beaucoup de violence dans ces réminiscences. Pour moi la plus hallucinante est celle du jeune aviateur américain commentant en direct l'usage du Napalm et la façon dont ils canardent (ils sont nombreux)  les malheureux qui s'éjectent du brasier. La jubilation de ce type est insoutenable et on se dit qu'on ne permettrait plus à la barbarie une expression aussi directe. Autre constat, le contraste entre mai 68 en France où les victimes ont surtout été les pavés et les voitures versus ce qui se passait au Mexique, au Japon et bien-sûr à Prague. Nos CRS étaient décidément des tendres, comparés à leurs homologues  de ces pays.
Les jours heureux  de Gilles Perret. Leçon d'histoire sur le CNR (Conseil National de la Résistance). Images d'archives et témoignage des survivants. Qu'ils étaient beaux à 20 ans, Lucie et Raymond Aubrac ! La photo des cinq survivants qui nous servent de guides pendant le film nous fait, hélas, percevoir l'impitoyable manducation du temps, qui leur a laissé leur vivacité d'esprit et leur humour mais a ravagé la belle texture de leur visage.
Violette de Martin Provost ( l'auteur du magnifique Séraphine). Le cinéaste aime tirer de l'oubli des talents qui n'avaient eu qu'une notoriété passagère, des femmes au destin étrange, des sensibilités ignorées voire bafouées.. Violette Leduc est interprétée par Emmanuelle Devos (qui ne me plait pas beaucoup d'ordinaire, je ne sais pourquoi). Dans ce rôle son tempérament excessif donne toute son ampleur à cette femme dévorée du désir d'être aimée et sans cesse repoussée y compris par Simone de Beauvoir (Sandrine Kiberlain métamorphosée). Une scène  emblématique : Beauvoir déménage, Violette lui offre de l'aider de sa façon habituelle, en forçant un peu la main. Comme elle propose de décrocher les rideaux, Simone lui suggère de les prendre ainsi que quelques objets dont elle se débarrasse. Violette quitte la place offusquée, humiliée. La bourgeoise et la fille de peu : un fossé infranchissable. Cependant, Simone soutiendra de toutes les façons cette femme dont la qualité d'écriture et la hardiesse du propos l'a immédiatement convaincue qu'il était de son devoir de lui permettre de rencontrer des lecteurs, et surtout des lectrices. "Aucune femme n'a parlé de la sexualité comme vous, Violette". A l'époque c'était sans doute vrai. Depuis les termes et les images sont devenus banals.
La Vénus à la fourrure de Roman Polanski. nous permet l'entrée par infraction dans un lieu d'où le spectateur est en général banni : la répétition de la pièce et le temps de l'accord entre metteur en scène et comédiens, comédienne en l'occurrence. Or, Mathilde Seigner,  non seulement n'a pas l'intention de se plier aux directives du metteur en scène (Mathieu Amalric) mais elle va en permanence contester ses partis pris, dénigrer le machisme sous-jacent et renverser les rôles.
Le jeu de séduction sera l'occasion de propos bien sentis sur le désir de pouvoir sous-jacent à toute création artistique,   sur l'identification entre auteur et personnage et en clôture la revanche de la marionnette sur le marionnettiste. Comme les pôles d''empathie permutent sans cesse, on en sort un peu chamboulé, retrouvant dehors les préparatifs du Noël chrétien. Mais Jésus n'est-il pas une icône du masochisme ?

Parvis de Notre-Dame , 10/12/13, 18h43

Suis allée le lendemain piétiner un peu à l' Hôtel de Ville. Je ne saurais trop vous recommander l'exposition Brassaï, pour l'amour de Paris ( l'artiste hongrois est photographe, dessinateur, sculpteur, journaliste, écrivain, cinéaste), plus de 300 photos nous donnent à voir la vitalité de la  capitale, de jour comme de nuit des années 30 à 50. Diversité des thématiques : du graffiti, au Paris canaille, au Paris la nuit (flous et brouillards), aux portraits d'artistes dont beaucoup de Picasso et de ses divers ateliers  J'y ai trouvé une photo bien connue de Simone de Beauvoir qui m'a permis de constater à quel point Sandrine Kiberlain avait su se rapprocher de son célèbre modèle. On peut comprendre que Violette en ai été si amoureuse.

 
 La suite se passe à Toulouse. Mon fils ayant souhaité squatté la maison avec une bande de cinéphiles pour projections privées sans discontinuer de films sélectionnés par leurs soins, nous avons échangé nos clés de pénates. J'ai ainsi eu tout loisir de me promener dans cette ville qui a beaucoup de points communs avec les villes de la renaissance italienne (couleurs, architecture, richesse du patrimoine) et notamment Florence.

 Toulouse 15/12/13, 11h38

Il a fait très beau ces derniers jours. J'ai pu marcher le nez au soleil. Au jardin des Plantes, entre autres où j'ai croisé quelques poussettes, barbe à papa (et papas à proximité),  et même des paonnes (ça se dit ?) perchées un peu partout.

 Jardin des Plantes 15/12/13, 16h52
Voir des ours, très innofensifs ceux-là,  qui se trouvent en vedette sous la conjugaison d'une expo consacrée à l'Ours (Ours, mythes et réalites) et de la période de Noël ( le nounours a toujours la cote chez les mouflets.

Jardin des Plantes, 15/12/13, 17h15

Cinéma encore.
Henri de Yolande Moreau dont j'avais aimé Quand la mer monte . C'est le cinéma populaire des Carné et des Jean Vigo, intensément proche des petites gens dont il enregistre la subtilité des états d'âme qui s'expriment à peu de frais, d'un clignement de paupière, ou d'une moue à peine ébauchée. Yolande Moreau est une artiste de l'image et son univers poétique est fondé sur l'art de dénicher la beauté dans l'ordinaire du monde. La rencontre entre Henri (Pippo Delbono) et Rosetta (Candy Ming) est l'alliance de deux fragilités animées d'un même désir d'être aimé. Seulement, les gens là, ils veulent pas...
Casse-tête chinois, de Cédric Klapisch pour le plaisir de retrouver les acteurs avec quelques années de plus, embringués dans des histoires de familles éclatées, recomposées, d'homoparentalité, de carte de travail, de diversité culturelle. A peu près tous les sujets de nos sociétés en évolution lente et fulgurante à la fois. mais surtout le plaisir de retrouver New York comme si j'y étais (à nouveau). Léger sans être mièvre. Sympatoche et rigolo, un moment agréable à se faire du bien.
Un dernier et je ferme, c'est promis.
Les Garçons et Guillaume à table de et avec Guillaume Gallienne. Hyper nombriliste, un humour parfois de plomb, quelques scènes un peu drôles, mais bon, je pouvais m'en passer.


 Samedi, j'avais rejoint dans un bout du mondeManu Causse et Emmanuelle Urien qui signaient dans ce café culturel très sympathique, (que j'ai découvert grâce à eux, merci les Manu Manu), en compagnie de quelques autres des auteurs que publie cette aimable maison d'édition. 
 
 Toulouse, au coucher en longeant la Garonne, alors que les oiseaux paillent au ras de l'eau, c'est beau.

Berges de la Garonne 15/12/13, 17h42

Depuis, je suis de retour sur ma petite colline. Eh bien vous savez quoi ? J'irais bien faire un petit tour à New York. Sacré Klapisch!

Photos ZL, Décembre 2013, sauf la 3 bien-sûr.

dimanche 17 mars 2013

Zoë fait son cinéma


J'ai assisté vendredi à la projection de "Notre monde" le documentaire réalisé par Thomas Lacoste sous-titré " Faites de la politique et si possible autrement". La séance avait lieu en présence de l'auteur et de Geneviève Azam qui devait elle-même figurer au nombre des  entretiens sur le thème de l'écologie et qui en a été empêché par les aléas climatiques. De ce fait, cette importante thématique est absente des propos et des propositions du film qui rassemble les contributions de plus de 35 personnalités spécialistes de leur domaine.
Le constat est général (et partagé par beaucoup d'entre nous ) "Les bases de cette société sont dans un triste état. Une civilisation est en train de s'achever. Cela mérite quelques pensées, non pas issues des institutions ou des religions, mais la possibilité de l'expression collective d'une commune pensée, loin de la pensée banale. Une pensée telle, que commune  à tous elle soit porteuse des puissances singulières de chacun.
L'intérêt du film est qu'il ne se limite pas aux constats désespérants, chaque intervenant formule des propositions tout à fait judicieuses.

Je vous conseille l'intervention de Luc Boltanski  sur les dérives instaurées par le système de l'évaluation introduite partout et dont les puissants se servent pour dévaloriser tout ce qui ne relève pas de la valeur déclarée comme suprême, l'argent. Les plus riches peuvent se présenter comme les meilleurs quelle que soit l'origine de leur fortune. J'en extraie ceci, "rétablir la reconnaissance de la pluralité des manières d'être au monde et d'y jouer sa vie, il n'y a pas de vie ratée, personne n'est inutile personne n'est de trop. A bas l'excellence !"
Ou encore celle de Matthieu Bonduelle sur la nécessité de la "décroissance pénale" notamment pour simplement rétablir une égalité des droits des minorités qui mises bout à bout finissent par créer une majorité puisque les frontières de la discrimination sont extrêmement nombreuses et mobiles (genre, origine native, préférence sexuelle et même jeunesse et vieillesse). Dépénaliser ce qui ne devrait relever de l'incarcération.
Ou encore, une synthèse des raisons déraisonnables qui conduisent les pays dits en développement à rester confinés dans la misère et des formes que pourrait prendre la lutte contre la corruption qui sévit sur ces territoires, merci Mathilde Dupré
Et Jean-Pierre Dubois "sans égalité, seuls les dominants sont libres".
Enfin,  si vous avez vous-mêmes souffert de l'école vous serez rassérénés par  Christophe Mileschi  qui fait une lumineuse démonstration : l'école en instaurant l'absurdité des classes d'âge crée une catégorie de retardataires qui seront traités comme attardés, les programmes sont une  manière d'homologation qui transforme les déterminismes sociaux en les naturalisant et en touchant par là à l'intime des êtres qui vont se vivre comme minables etc...
Je n'en dirai pas davantage, le site vous donne accès à l'ensemble des propositions, toutes très pertinentes pour tenter de sortir de l'infernal bordel où s'enfonce actuellement notre monde.
Un reproche cependant : un déséquilibre dans le nombre des hommes présents à l'écran 22, contre seulement 5 femmes qui sont "évidemment" sollicitées sur les questions féministes. Selon Thomas Lacoste, la production a demandé à raboter la longueur du film. Dommage ce sont surtout les femmes (déjà en minorité) qui sont passées à la trappe. Et plus encore les femmes de l'immigration puisque Hourya Bentouhami n'apparait pas dans le film. Elles sont présentes dans la récapitulation et on peut l'écouter ci-dessous, je l'ai choisie pour vous.
  



Ce matin, j'écoutais l'excellente émission Eclectik de Rebecca Manzoni  et son invitée du jour, Solveig Anspach dont le film "Queen de Montreuil" sort cette semaine en salles. Elle parle avec beaucoup de délicatesse de cette aventure : faire un film avec peu de budget mais beaucoup de plaisir à travailler en commun. Quant à son film, je reproduis ici un extrait de la présentation de mon cher Utopia Toulouse.

QUEEN OF MONTREUIL


Au-delà de l'hilarante loufoquerie du récit, Queen of Montreuil est un hommage vibrant à la ville d'adoption de la réalisatrice, à son incroyable cosmopolitisme, une ville où se côtoient en bonne intelligence familles africaines et bobos artistes. Et le film est l'occasion d'une jolie galerie de personnages aussi drôles que crédibles, comme l'homme à la grue incarné par Samir Guesmi, Caruso, le voisin dont le sex-appeal attire fortement Agathe, ou ce pote artiste à guitare sèche qui a toujours cinq euros à emprunter à un ami. Face au deuil d'Agathe, dans un milieu parisien où le chacun pour soi est souvent de mise, Queen of Montreuil est aussi une formidable ode à la fraternité, une fraternité instinctive, sans calcul, qui exhale un humanisme profond et revigorant.

J'irai voir le film de Solveig Anspach pour toutes ces bonnes raisons : elle tient un discours sur la direction de film qui me réjouit, elle aime "transmettre aux spectateurs de la joie.” et ... j'ai habité Montreuil pendant dix ans avant de m'installer sur ma colline, j'y ai encore beaucoup d'amis.

lundi 14 mai 2012

Beauté fatale.

Je viens de passer quelques jours à Paris. Mon séjour a comporté quelques séquences pour lesquelles ce titre est ajusté. Vu le dernier film de Tim Burton, Dark Shadows, les sorcières et les vampires ressuscitent éternellement et leurs amours à la vie à la mort itou. Tim Burton en profite pour nous présenter le visage de l'Amérique du capitalisme à tout crin en la personne d'Angélique (la très belle et très vénéneuse Eva Green), une sorcière vengeresse qui faute d'obtenir l'amour de Barnabas Collins poursuit depuis deux siècles sa famille en la ruinant. Lorsque Barnabas (Johnny Depp, of course) se trouve libéré après deux siècles d'enfermement dans un cercueil cadenassé, l'affrontement reprend et fantômes, sorcières et vampires se déchainent. C'est du Tim Burton grosses ficelles. On peut aimer ou bailler. J'ai alterné. "Les liaisons dangereuses" au Théâtre de l'Atelier , mise en scène de John Malkovich, celui là même qui fut Valmont à l'écran. Le texte n'a en effet pas pris une ride et l'idée de faire jouer toute la pièce en présence de tous les protagonistes qui entrent et sortent simplement en quittant ou rejoignant le siège qu'ils occupent pendant que les autres sont en action est très puissante. Malkovich a recruté de jeunes comédiens, tous très talentueux dans une mise en scène inventive et sensuelle. Le jeune Yannik Landrein, tout juste sorti du conservatoire d’art dramatique de Paris campe un Valmont très actuel, séduisant et cynique à souhait. La Merteuil est interprétée par Julie Moulier sur un mode très masculin, féministe revanchard. Tous les autres sont excellents et l'énergie ne faiblit pas pendant les deux heures et demi que dure le spectacle. On sort avec l'envie de relire Choderlos de Laclos. Lu dans le train qui me ramenait vers ma colline le livre de Mona Chollet "Beauté fatale. Les nouveaux visages d'une aliénation féminine". A l'aide de références nombreuses, aussi bien d' ouvrages sociologiques que d'extraits de journaux féminins (Elle est abondamment cité) ou d'autobiographies de mannequins, Mona Chollet déconstruit le discours de la société de consommation qui réduit les femmes à l'obsession du paraître, fondé sur le vieux postulat rationaliste d'une maîtrise du corps, véhicule gouverné par l'esprit et dans le cas des femmes, si possible sans autre gouvernance que les injonctions de l'industrie cosmétique et de la chirurgie esthétique. "Le déchiffrement du monde en termes de « tendances » qu’on réserve à la lectrice, la surenchère d’articles lui signalant tous les aspects d’elle-même qui pourraient partir à vau-l’eau et les façons d’y remédier, lui disent implicitement, mais avec une insistance proche du harcèlement, que sa principale, voire son unique vocation est d’exalter et de préserver ses attraits physiques. Et de ne pas s’occuper du reste. " Un des aspects les plus terrifiants est la mise en image de femmes poussées à l'anorexie pour devenir les "cintres" utilisés par les grands couturiers pour exhiber leurs créations. Le mythe du mannequin qui vit une vie de rêve quand elle est en fait exposée au harcèlement continu à se maintenir en état de représenter l'abstraction de la beauté féminine ( le nombre de suicides est impressionnant dans le milieu et la mort par anorexie n'est pas anecdotique), ce mythe a des effets délétères sur les jeunes filles qui, à un âge tendre, ne peuvent pas supporter la comparaison avec ces icônes et sur les femmes mûres qui voient "fondre leur capital" de séduction. Un autre artéfact monstrueux de cette exhibition perpétuelle est de provoquer des addictions consuméristes (la paire de chaussures, le it bag, les accessoires indispensables, marqueurs d'appartenance) qui poussent de modestes midinettes à se ruiner pour tenter de correspondre à l'idéal de séduction sans cesse changeant de surcroit. Une mention spéciale à l'épilation totale qui élimine toute trace d'animalité et oblige les femmes à exhiber des sexes de pré-pubères. La chirurgie esthétique en découpant les femmes en morceaux pour en modifier certaines parties jugées inadéquates (les seins trop petits, le nez trop long, le visage trop ridé etc) a introduit dans l'imaginaire féminin une souffrance supplémentaire, la culpabilité de pas tout faire pour rassembler tous les attributs d'une perfection achevée. Souffrance morale doublée de souffrances physiques consenties, voire de mise en danger, quand elles finissent par se livrer au bistouri. La perfection : voilà l’ennemi. C’est la conclusion à laquelle parviennent toutes les essayistes convoquées ici. Laurie Essig, exaspérée par la quête obsessionnelle que mènent ses compatriotes tandis que le monde s’écroule autour d’eux, aimerait les voir se soucier enfin d’une vie qui serait bonne, et non parfaite. « Depuis quand la perfection est-elle devenue applicable au corps humain ? », s’irrite Susan Bordo, qui la trouve plus adaptée au marbre des statues qu’à la chair vivante. Quant à Eve Ensler, dans The Good Body, elle fait un pari : chercher à être une femme fantastique (great), c’est bien plus excitant que de chercher à être une femme parfaite (good). Car, comme dit la femme indienne qui traverse sa pièce, « il n’y a pas de joie dans la perfection. Ce trop court extrait ne permet pas de restituer l'extrême richesse de ce livre que je recommande à toutes les femmes, dès leur plus jeune âge afin de s'émanciper du fatras dont elles sont encombrées depuis la nuit des temps et de façon culminative en ce début de millénaire. Ce corps déserté cette éclipse, notre époque a réussi le tour de force d'en faire un idéal type. Alors que la beauté c'est avant tout le rayonnement d'un être habité. Photo ZL, my beautiful girl en liberté.

dimanche 27 novembre 2011

"Le blé nourrit, les armes tuent"


Le brouillard s'est installé en force ces derniers jours. Au matin, on aperçoit à peine le bout du jardin, dans la journée, le soleil ne parvient pas à percer, le soir c'est à nouveau le coton bien opaque. Se déplacer dans ces conditions est anxiogène.
Je n'ai pas renoncé pour autant à assister à la conférence d'un ami sur les différentes formes de collusion du pouvoir globalitaire. Au passage il nous a présenté le pedigree de Mario Monti, le nouveau président du Conseil italien et de Mario Draghi, à la tête de la BCE ("Super Mario " pour les financiers). Les deux lascars ont été "employés" de la
Goldman Sachs (oui, la banque qui nous gouverne).
Evidemment, on sort de ces deux heures instructives l'estomac un peu brouillé. En antidote, je suis allée voir Tous au Larzac. Bonheur d'écouter les protagonistes de cette formidable lutte de David contre Goliath, d'une poignée de résistants armés de leur conviction, leur imagination, leur humour face aux robocops de l'époque. On rigole bien à l'écoute de Michel Debré, ou Yvon Bourges (ministre de la Défense 1975-1980) dont les propos sonnent d'autant plus creux que l'histoire les a déboutés. Le récit des gardes mobiles débordés par les brebis lâchées sur le Champ de Mars est hilarant, de même le spectacle des bidasses qui finissent par être prisonniers derrière les barbelés qu'ils ont eux-mêmes installés pendant que les paysans festoient sous leur nez ("on pique-niquaient beaucoup"). Authenticité du verbe et de l'engagement, certains souvenirs sont encore chargés d'une émotion vivace comme la marche sur Paris et le défilé silencieux rythmé seulement par le bruit des pieds et des bâtons. La puissance des slogans tagués sur les véhicules de l'armée, (harcèlement pour harcèlement), d'une parfaite actualité. Mais surtout ce film vaut pour la rencontre avec ces hommes et ces femmes magnifiques et modestes. Revigorant dans le contexte actuel de sourde apathie et un bon timing pour la sortie de ce document, par ailleurs d'une grande qualité de réalisation.
A la fin du film, l'arrivée de Mitterrand au pouvoir permet au Larzac de souffler et reprendre une vie plus paisible, non sans inquiétude : allait-on repartir chacun dans son petit chez soi? Que nenni! Trente ans que le Larzac continue la lutte. Ainsi ces jours-ci il y a urgence et la Confédération paysanne née des mobilisations du Larzac fait partie des mouvements sur le pied de guerre pour empêcher le vote de la loi pour
le Certificat d'Obtention Végétale qui dépossèderait les paysans du droit d'utiliser leurs propres semences.
Concluons par la remise
du trophée du rapace le pire. Je vous laisse découvrir qui a eu droit à cet honneur.
Photo ZL Blé sauvage.

dimanche 4 janvier 2009

Un ludion nommé Agnès


Agnès s'appelait Arlette, son prénom lui déplaisait, elle en changea. Avant de devenir la Varda, la fille de la Nouvelle Vague, qui gagnait un début de renommée comme cinéaste avec Cléo de 5 à 7, un de ces petits films faits avec trois sous et qui firent le tour du monde. Agnès a quatre vingts balais et s'offre à cette occasion une sorte d'Amarcord à la Varda, aussi drôle et fantaisiste, qui met bout à bout ses souvenirs et son présent avec pour seul fil directeur la grâce de sa photographie, la magie de ses collages et un commentaire sans complaisance pour sa vieillesse (elle se promène en lisière d'un défilé protestataire en arborant une petite pancarte où on peut lire "J'ai mal partout"). Comme elle a été la photographe des années Vilar à Avignon, du temps de Gérard Philippe, Avignon lui a proposé d'organiser une rétrospective en 2007, elle nous fait partager un des rares moments de profonde nostalgie lorsqu'elle dépose des boutons de roses et de bégonias en hommage à tous ses chers disparus. Sinon elle est bien vivante, lovée dans le ventre de la baleine,(un hommage à Bachelard dont elle a eu le bonheur de suivre les cours à la Sorbonne) elle chemine avec et à côté des images dont elle nous livre une abondante moisson entre celles de ses films passés et celles tournées sur ses plages en France ou en Californie où elle revient sur Mur Murs ou rend un bel hommage à un couple de ses amis avec une pointe d'envie, vieillir ensemble, c'était leur projet à Jacquot de Nantes et Agnès .
On visite un peu son royaume rue Daguerre. C'est un souvenir pour moi aussi. Lorsqu'elle préparait son film "L'une chante, l'autre pas", mon amie Pomme et moi avions été photographiées par Agnès et nous figurons ainsi au générique, au titre des portraits de femmes tristes que le photographe suicidaire (dans le film) affichait en vitrine. Ce portrait je n'en avais pas de copie. Mon fils l'a récupéré il y a peu de temps en le repiquant grâce à l'outil magique du net. Nous avions en effet pris l'air le plus sinistre mais nous sommes tout de même dans la splendeur de nos vingt ans.
Les plages d'Agnès ce sont des immuables, le temps n'y a pas de prise. L'eau et le sable ne vieillissent pas eux. Et les films ? Ils vieillissent si on s'en tient à la forme des coiffures, la marque des voitures, le vocabulaire, le ton des voix. Mais ce qu'ils gardent en eux d'incorruptible, c'est la force du désir qui animait leur créateur. Agnès réussit à sauver même les morts-nés en disposant la pellicule telle une toile de tente où la lumière joue au travers du visage de Catherine Deneuve et Michel Picolli ("les créatures"), puisqu'elle a ajouté à ses multiples talents celui de plasticienne.
Ce film n'est pas une autobiographie même s'il nous donne à connaître la mère, les sœurs, les enfants, les petits enfants d'Agnès V, il est une promenade dans un labyrinthe dont nous reconnaissons quelques coursives, dont nous découvrons des pans entiers de perspectives et que nous empruntons à la suite d'une sorte de ludion qui monte et descend sur les vagues de son imagination, n'en fait qu'à sa tête, mélange allègrement les noms, les dates et les références. Etourdissant et délicieux.
Me revient en mémoire le bras d'honneur que le grand-père de Fellini faisait à la mort dans Amarcord. Agnès pour ses quatre vingts balais fait un joli pied de nez à la vieillesse.

Pour aller à la rencontre d'Agnès Varda
http://www.cine-tamaris.com/

Et pour lire une analyse pertinente (comme toujours) Mona Chollet