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mardi 1 novembre 2022

Ma mère

 Un jour, Jean Cocteau rencontre Charles Chaplin (avec Paulette Godard) sur un bateau vers la Chine. Il raconte leur voyage (). Lorsque Cocteau l'interroge sur ses "crises de tristesse", Charlie répond : "Je suis triste parce que je suis devenu riche en jouant un rôle de pauvre."(emprunté à Thomas Vinau).

Chaplin est mort le 25 janvier 1977.

Aujoud'hui, le jour des morts, j'ai retrouvé un poème que j'avais écrit à ma maman parce que j'étais loin, à l'étranger, que je n'allais pas revenir de sitôt, que je la savais triste et seule. Ce poème, je l'ai lu le jour où son corps a disparu dans les flammes, pour l'accompagner dans  son dernier voyage. J'avais ajouté  quelques mots de circonstance. Je le livre ici dans sa version originale retrouvée ce jour dans un calepin que j'avais égaré. Je l'illustre d'un dessin maladroit, mais que j'aime car j'y retrouve les traits de ma maman, disparue en 1993, la même année que Fellini et Ferré, Une annus horribilis.




  


Ma mère,

déjà, nichée dans ta grotte

battue des marées de ton sang,

j’écoutais le tumulte du monde,

tendrement voilé de tes membranes,

drapées autour du petit ver,

nourri de tes salives.

Tu as eu de belles mamelles, ma mère

où se sont pendus tes petits

couverts de duvets bleus.

Notre gravité accrochée à tes membres,

nous tournions dans le rayonnement de tes yeux,

tes yeux gris, verts, semés de pépites,

que le temps a cerclés de ses bagues violines,

ces sillons creusés à l’acide de tes larmes ,

au stylet de ton rire.

Ton rire, ma mère

qui soufflait le diable de la misère

comme nos brises d’ouest

lavaient l’herbe de nos champs,

ton rire intact malgré le froid

qui te coupait les jambes

quand tu partais, à l’aube,

malgré la maladie et la mort,

assiégeantes infatigables

que tu conjurais,

parfois en vain

de tes mains besogneuses,

malgré la honte et l’injustice,

le sort des pauvres,

que leurs cœurs nus

et leurs bras lourds

à offrir à l’envie.

Ta lutte, ma mère,

pour extirper tes oiseaux de ces nids englués,

pour arracher tes graines à ces terres stériles,

tu as usé ton bec contre les coucous du malheur,

tu as fumé de ta sueur et ton sang

le sol de notre première pousse.

Je t’ai mangé ma mère

avec l’horrible inconscience des chenilles

dévasté ton champ de verdure,

croqué les bourgeons de ta vie.

C’est maintenant,

maintenant que je touche

les cals et les escarres de tes luttes,

ton corps alourdi de tant de fardeaux,

maintenant,

je fonds de tendresse et de honte.

Je veux à mon tour déployer ma feuillée,

fouiller de mes racines au plus profond du monde,

à mon tour freiner la tempête,

distiller l’oxygène,

fertiliser de mes mues de saison

l’aire de ton automne.

J’ai su par toi

les mains ouvertes, la générosité vraie,

le cœur offert, la tolérance immédiate,

l’humilité, pourtant la dignité,

maintenant,

que nous sommes aussi sœurs,

que je sais le prix que la vie ,

cette pie rançonneuse

exige de ses fidèles,

que je connais mieux

tes stations et tes chutes ,

que je tombe moi-même,

maintenant

que les enfants te poussent

du ventre de tes enfants

maintenant,

nous retournerons la corne d’abondance.

****************

18 janvier 1978