jeudi 9 novembre 2023

Dégustations visuelles !

 J'ai partagé avec des amis un moment délicieux grâce à Yolande Moreau et son dernier film La fiancée du poète où on retrouve certains de ses complices des Deschiens, (François Morel, Philippe Duquesne dans des seconds rôles)  mais dans des rôles improbables Sergi Lopez et surtout William Sheller en abbé plus que border line. 


 

Yolande est Mireille une femme tabassée par la vie (elle a fait de la prison et a été abandonnée par l'amour de sa vie). Elle revient dans la maision familiale sur les bords de la Meuse et sert les repas au restaurant des Beaux Arts de Charleville Mézières. Pour vivre et entretenir la grande maison elle loue des chambres à un trio de bras cassés et les quatre larrons s'entendent bien et se réconfortent. Il n'est pas possible d'aller au-delà de ce descriptif sans déflorer l'histoire et gâter sa dégustation. Tout en effet se déguste de cet univers foutraque, de cette histoire abracadantesque et particulièrement allusions littéraires, musiques spirituelles et photographie magique. Hommage à  Irina Lubtchansky qui nous offre de pures merveilles et au montage qui autorise la lenteur. On sort du cinéma le coeur plein de la générosité qui imprègne chaque instant d'un film qui fait pourtant la part belle au mensonge, uniquement celui qui rend la vie plus belle. On peut écouter Yolande Moreau ici.

Autre film, autre histoire, autre leçon d'humanité "Second tour" de Dupontel. Au passage, j'aime bien les films d'acteurs qui se mettent en scène. Dupontel est un candidat à la présidence de la République en campagne à quelques jours de l'échéance. Par hasard, une journaliste placardisée pour cause d'insolence et mauvaise conduite (Cécile de France) est mobilisée avec son collègue (Nicolas Marié) pour suivre la campagne. Elle a une feuille de route avec les questions dont elle ne doit pas s'éloigner . Bien évidemment, elle va transgresser et découvrir le secret du candidat (qu'il ignore lui-même) et faire basculer une "campagne chiante" (sic) dans un tourbillon  d'événements tous plus improbables. On connaît le peu de crédit que Dupontel accorde à la politique politicienne mais son film aborde de multiples questions de société de façon drôle, légère, poétique et cependant profonde. Il annonce la couleur : comme il est dit dans son introduction, la seule manière de renverser le système est d'en faire partie. Mais le système ne lésine pas sur les moyens de barrer la route à ceux qui tentent de le renverser. C'est tout le propos du film.

 Second Tour (95’) - Film français d’Albert Dupontel

On peut rencontrer Dupontel qui se défend de toute intention moralisante. Il voulait créer une sorte de "roman de gare" dit-il. On souhaiterait que tous les auteurs de "roman de gare" aient son talent.

Ne pas oublier  notre vieux Ken Loach (87 ans) et son vieux chène "The old oak", une taverne fréquentée par des vieux mâles radoteurs. Une histoire d'amitié entre un vieil homme. TJ Ballantyne [Dave Turner] le tenancier  et une jeune femme syrienne immigrée Yara [Ebla Mari] . L'arrivée des immigrés dans le village défrise les habitants qui se sentent "envahis", alors même que le village est en perte de vitesse. La taverne elle-même est en mauvais état et son tenancier vieillisant sait qu'il ne pourra rien en tirer s'il cherche à la vendre. Evidemment une guerre sourde, à bas bruit va s'instaurer entre les deux communautés et Ken Loach filme au plus près les émois de ces "braves gens". Comme d'habitude, il met en scène la vie des gens pauvres, qui cherchent à s'en sortir par la solidarité, mais aussi qui développent des acrimonies à l'égard des étrangers. Scénario bien connu. Il en profite pour exposer dans l'arrière salle des photos des mineurs grévistes, dont les clients du pub ont fait partie et que la jeune photographe découvre avec émotion


Le film a été moins apprécié que les précédents, pourtant il est de la même veine, constat des dégats de la mondialisation et de la guerre qui ruinent les ouvriers au chômage et déversent sur les routes de l'exil les Syriens. On peut l'accuser d'angélisme, d'irréalisme, voire de mollesse ("un film morne" les Inrocks) . Pour ma part j'ai aimé la générosité opposée à la mesquinerie, la solidarité entre gens qui sont tous dans la dèche. La fin est un peu tire larmes, certes mais elle est aussi optimiste et en ces temps de déprime généralisée, ça fait du bien.

Enfin vu la série consacré à Agnès Varda sur Arte : "Sans toit ni loi" avec la jeune Sandrine Bonnaire (Mona) en vagabonde rebelle à toute obligation imposée, sale et joyeuse mais bien-sûr embarquée dans des plans dangereux et qui finit morte de froid dans un fossé. A l'opposé le film lumineux "L'une chante, l'autre pas" , deux films que j'avais appréciés. Le premier pour le jusqu'auboutisme du parti-pris et la manière de Varda. Elle suit son héroïne en même temps que les villageois et les marginaux que la jeune femme cotoient au cours de son errance qui témoignent du court moment où ils l'ont approchée. Le second parce qu'il décrit la vie de deux jeunes femmes dont l'amitié se scelle autour du drame de l'avortement subi avant la légalisation. Une ode à la sororité avant l'invention du terme sur un mode joyeux. J'avais oublié les chansons, je les ai ré écoutées avec plaisir.


 

Entre les deux, un documentaire "Viva Varda" ou Agnès se raconte au fil d'interviews collationnées et de témoignanges de ceux qui l'ont accompagnée dans sa quête d'images où fiction et documentaire s'entremèlent. Tous lui reconnaissent un tempérament autoritaire de celle qui sait où elle veut aller. Mais comme le dit l'un d'eux, "reprocherait-on à Godard ou à Truffaut leur autorité. Sa fin de vie est trufée de récompense, qu'elle reçoit avec malice et humour.Il ya aura eu un grand amour, Jacques Demy  même s'il a été chahuté par les amours homosexuels de Demy. Deux enfants qui prolongent son oeuvre (photographe, plasticienne, réalisatrice et scénariste).  Une belle vie de création.   

          

      

dimanche 15 octobre 2023

On se hache, on se harponne

 

 

Je fais partie de listes qui explosent sous les commentaires à l'égard de ce qui se passe au Moyen Orient. Chacun y va de son argumentaire, les uns condamnant sans ambiguité les assassinats de civils, les autres insistant sur le sort des malheureux habitants des territoires occupés, rappelant la longue histoire de la colonisation sous la protection occidentale de cette terre si emblématique des trois religions monothéistes qui n'ont cessé de s'entretuer depuis l'occupation romaine. Vous remarquerez que je ne cite pas à dessein le nom des lieux et des peuples concernés, parce que hélas il est préferable d'éviter d'en rajouter sur l'ensemble des arguties qui se répandent pendant que le sang et les larmes coulent à profusion. 

J'ai appelé au secours Victor Hugo qui dit bien mieux que je ne saurais le faire ce que je ressens face au gachis des vies épouvantées et anéanties. 

 
Depuis six mille ans la guerre
Plaît aux peuples querelleurs,
Et Dieu perd son temps à faire
Les étoiles et les fleurs.

Les conseils du ciel immense,
Du lys pur, du nid doré
N'ôtent aucune démence
Du cœur de l'homme effaré

Les carnages, les victoires,
Voilà notre grand amour ;
Et les multitudes noires
Ont pour grelot le tambour.

La gloire, sous ses chimères
Et sous ses chars triomphants,
Met toutes les pauvres mères
Et tous les petits enfants.


Notre bonheur est farouche ;
C'est de dire : Allons ! mourons !
Et c'est d'avoir à la bouche
La salive des clairons.

L'acier luit, les bivouacs fument ;
Pâles, nous nous déchaînons ;
Les sombres âmes s'allument
Aux lumières des canons.

Et cela pour des altesses
Qui, vous à peine enterrés,
Se feront des politesses
Pendant que vous pourrirez,

Et que, dans le champ funeste,
Les chacals et les oiseaux,
Hideux, iront voir s'il reste
De la chair après vos os !

Aucun peuple ne tolère,
Qu'un autre vive à côté
Et l'on souffle la colère
Dans notre imbécilité.

C'est un Russe ! Égorge, assomme.
Un Croate! Feu roulant.
C'est juste. Pourquoi cet homme
Avait-il un habit blanc ?

Celui-ci, je le supprime
Et m'en vais, le coeur serein,
Puisqu'il a commis le crime
De naître à droite du Rhin.

Rosbach ! Waterloo ! Vengeance !
L'homme, ivre d'un affreux bruit,
N'a plus d'autre intelligence
Que le massacre et la nuit.

On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l'ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux.

On se hache, on se harponne,
On court par monts et par vaux ;
L'épouvante se cramponne
Du poing aux crins des chevaux.

Et l'aube est là sur la plaine !
Oh ! j'admire, en vérité,
Qu'on puisse avoir de la haine
Quand l'alouette a chanté.

Victor Hugo - Liberté, égalité, fraternité
Chansons des rues et de bois (1865)
 

Le prix Nobel de la paix a été attribué, vendredi 6 octobre à Oslo, à la militante iranienne Narges Mohammadi, en détention depuis un an à Téhéran « pour son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous ».


 On espère - sans y croire- qu'elle sortira de prison. Mais la domination masculine et religieuse ne se laisse pas impressionner par les "colifichets des occidentaux. Elle risque fort de pâtir au contraire de cet éclairage. 
  
Enfin pour un point de vue très proche du mien, voir Sortir de l'enfer, Mona Chollet

 
 

mercredi 30 août 2023

Zoë déménage

 Encore ! allez-vous vous exclamer, du moins si vous me suivez depuis longtemps. Mais cette fois c'est plus affirmé. Une nouvelle maison acquise pour me rapprocher de la ville. Plus petite, moins de jardin à entretenir (encore que) mais à proximité d'un cinéma, d'une médiathèque où je peux me rendre à pied. 

Ma fille prend ma suite dans l'ancienne. Elle inverse le propos, elle s'éloigne de la ville qui ne lui convient plus.

C'est un peu bizarre d'abandonner un lieu, même si c'est entre des mains chéries et de transférer l'ensemble de ses meubles dans un endroit nouveau. Auparavant, ce n'était qu'à moitié, pas vraiment définitif. Cette fois, il me semble que c'est le dernier transfert avant peut-être le départ ultime. 

Mon idée était (comme auparavant d'ailleurs) de me passer le plus possible de la voiture et de réduire l'espace pour moins d'intendance.


 

J'ai eu bien-sûr le difficile dilemne d'abandonner une partie de ma bibliothèque. Mes enfants se sont moqués. Tu ne reliras pas tous ces livres, pourquoi les garder ? Oui pourquoi? Pour l'instant sont restés en arrière les classiques dans la chambre qui me reste réservée et les livres de travail que je n'ai pas encore décidé de totalement éliminer. je n'ai plus que quelques jours pour décider de leur sort.

Pire encore, que vais-je faire de toutes mes archives ?

Je lis en ce moment Claire Marin, "Rupture(s). Comment les ruptures nous transforment"  et "Être à sa place.Habiter sa vie, habiter son corps". Il s'agit du choix du groupe de lecture  qui se réunit une fois par mois et auquel je participe depuis plus de 10ans. Pur hasard, cela éclaire cette période de transition. En septembre, j'abandonnerai officiellement les fonctions que j'assurais dans les deux associations dédiées à l'économie solidaire. Il est plus que temps que je me consacre vraiment à l'écriture; Mais j'ai une sorte d'inquiétude; Vais-je savoir occuper cette disponibilité dans le sens que j'espère lui donner ?

"Il faut résister à la tentation de l'inertie, à la séduction de la matière, résister à la facilité d'une identité figée, ne pas se laisser s'enfoncer dans un mode d'être ou plus rien n'est ni vif, ni neuf" (Bergson, Le rire, cité par Claire Marin).  

Après avoir vécu dans de multiples lieux, cela faisait 24 ans que j'étais installée sur ma colline, que je quittais régulièrement il est vrai pour mes voyages. Voyons ce que va donner ce nouvel environnement, alors que je vais réduire mes voyages. Un changement majeur, j'échange la vue à  360 degrés pour un cocon de verdure environné de maisons, mais particulièrement paisible, à l'écart de la circulation.

 

 

Pour l'instant le jardin n'est pas au meilleur de sa forme, il a subi la canicule dont nous sortons à peine avec un différentiel de 15 °. Il faudra attendre le prochain printemps pour l'apprécier et le compléter.

J'apprends  la mort de François Gèze, le grand éditeur de La Découverte, le jour même de mon propre anniversaire.  


Son constant engagement politique à gauche comme son investissement permanent pour défendre l’édition et en faire le lieu d’une effervescence intellectuelle abordable par tous pourraient résumer la carrière de ce grand éditeur. Il faudrait toutefois y ajouter sa personnalité chaleureuse, à l’écoute des autres, toujours en éveil sur des domaines à explorer. Et, derrière ses lunettes, toujours ce regard qui traduisait une bienveillance gourmande.TELERAMA Par Gilles Heuré Publié le 29 août 2023.

"Qu'est-ce que la vie si tu ne t'arrêtes pas un peu pour la repenser"  Goliarda Sapienza. L'université de Rebibbia.