vendredi 5 juin 2020

Laissez nous respirer !

Je lisais aujourd'hui la lettre que Virginie Despentes adresse via France Inter à ses "amis blancs qui ne voient pas où est le problème". Elle a participé à la protestation organisée par Assa Traore pour réclamer justice pour son frère assassiné par la police comme vient de l'être à Minneapolis George  Floyd.
Ces derniers jours, perdue dans ma campagne et relativement peu "exposée" aux nombreuses scènes que j'ai vécues quand je vivais dans le 93, à Montreuil précisément, je repensais à tous mes amis noirs ou arabes qui ont eu à subir des humiliations et des violences. Montreuil n'est pas le pire endroit à cet égard et il y a une longue tradition de cohabitation de multiples communautés dans ces cités ouvrières de la périphérie qui se gentrifient mais gardent une tradition de tolérance. Montreuil a hébergé beaucoup d'artistes de toutes les couleurs qui ont trouvé là un terrain d'accueil et de vie. Les scènes qui me navraient se situaient surtout dans le métro et dans les rues  où le contrôle au faciès était flagrant.
Mais ces événements déplorables m'ont plutôt invitée à repenser à tous ceux qui ont jalonné ma vie de leurs rires et de leur magnifique art de vivre en toute circonstance même les plus extrêmes.
Je pensais à Consolata, mon amie rwandaise qui a vécu le pire de l’extrémisme avec le massacre de sa famille tutsi en 1994, car le racisme prend toutes sortes de figures.
Je pensais à Phillie, la jeune femme noire qui travaillait à la crèche et dont j'ai une très belle photo tenant dans ses bras ma petite fille, si pâle en contraste avec son beau visage lumineux et paisible. Phillie vivait avec ses trois enfants et son mari dans un taudis et nous nous étions mobilisés (les parents de la crèche) pour lui trouver un logement décent. Quand elle avait enfin pu emménager, son mari était en phase terminale de la tuberculose qui lui rongeait les poumons. Nous nous étions cotisés pour lui offrir son billet de retour afin qu'elle puisse échapper à l'obligation d'épouser son beau frère -selon la tradition- après avoir ramené le corps de son mari chéri au pays. Phillie qui vécut son drame sans jamais le faire peser, affichant son ineffable sourire dès qu'un petit réclamait ses bras.
Je pensais à Lalahoum,  institutrice dans son Algérie natale mais qui n'avait pu faire valider son diplôme en France et travaillait dans une crèche dans le quartier des Minguettes à Vénissieux.. Elle m'expliquait qu'en arrivant en France, elle avait laissé ses enfants jouer dehors comme il était  naturel dans son pays  où tous les adultes sont responsables de tous les enfants et veillent à leur bonne conduite. Mais l'assistante sociale lui avait fortement déconseillé et elle se sentait obligée de les confiner dans son petit appartement par crainte "qu'ils tournent mal".  L'assistante sociale la morigénait parce qu'elle appliquait la consigne trop à la lettre. Le paternalisme / maternalisme des Blancs !
Je pensais à Pierrette, la collègue camerounaise,  qui mène d'une main ferme et efficace des projets de développement avec les femmes et les jeunes. A toutes ces jeunes Africaines avec qui j'ai travaillé et qui ont décidé après avoir fini leurs études de revenir chez elles pour que leur savoir aide leur pays à s'extraire du néocolonialisme qui continue à les vampiriser.
Je pensais aux petites filles jamaïcaines avec qui j'ai dansé, il y a longtemps, elles doivent avoir elles -mêmes des enfants. Nous dansions dans l'Ambassade de France qui nous avait accueillis à Kingston après le passage ravageur d'un cyclone qui avait détruit la plupart des habitats précaires de l'île. Elles dansaient leur joie d'avoir survécu et je dansais avec elle la gigue du bonheur d'encore exister.



Je pensais à tous ces artistes que j'aime Myriam Makeba, Manu Dibango, Angélique Kidjo et bien d'autres qui ne sont pas seulement de grands artistes mais des êtres de grande humanité.
Je pensais à Christiane Taubira, sa pugnacité et son humour et à son rappel du "principe humaniste que professe le concept africain d'unbuntu: Umuntu ngumuntu ngabantu, une personne est une personne grâce aux autres personnes".
Je pensais à cet homme politique, le seul qui m'ait inspiré un profond respect, Mandela, dont les puissants aphorismes ont beaucoup été cités mais je choisis celui-ci en la circonstance.


A tous ceux "qui ne voient pas où est le problème", je conseille de se déconfiner des certitudes de Blancs satisfaits de leur bonne chance d'être "bien nés" et de mériter leurs privilèges.  En tous cas qu'ils nous laissent respirer, nous tous qui sommes de simples humains à peau rose, jaune ou noire et à sang rouge pour qui l'air pur est une nécessité absolue. Parce que par les temps qui courent, ça pue!

13 commentaires:

patrick.verroust a dit…

Authentique bonjour, Zoë,

Votre billet est lumineux de chaleur humaniste...le délit de faciès fait, presque, partie de la jurisprudence pénale...Vous pointez la richesse des rencontres avec des immigrés, leur dignité...
Le néo-colonialisme a la vie dure, il imprègne, sournoisement , notre façon de penser. Le sentiment de la suprématie blanche est ,profondément,ancré. Il justifie les discriminations , les contrôles abusifs qui, d'une façon indirecte, permettent de garder en mains l'ensemble de la population par la peur de devenir un "discriminé"...Leurs apports à la richesse et au développement des sociétés occidentales sont systématiquement ignorés ...Il leurs est reconnus le sens de la fête, avec en arrière pensée , une sexualité débridée, ils peuvent être artistes , catégorie sociale pas très sérieuse...Katherine Johnson, afro-américaine, mathématicienne, pionnière de la NASA , vient de mourir à 101 ans . Elle fut une étoile de la science...

Zoë Lucider a dit…

@Patrick, Noire et femme, double peine. Oui la peur de faire partie des perdants rend hargneux à l'égard de ceux qui sont en lisière. J'ai surtout voulu rendre hommage à tous ces humains -et ils ne sont pas tous là- qui m'ont donné de la joie et du courage et parmi eux ceux à qui on refuse l'égalité quand ils sont parfois bien au-dessus du commun des mortels blancs. Merci de votre fidélité.

Godart a dit…

Les deux photos de vous dansant et serrant dans vos bras sont tellement pleines de vie qu'elles font simplement plaisir à voir.

Zoë Lucider a dit…

@Godart, merci.

Tania a dit…

Merci de joindre ces belles rencontres aux protestations contre le racisme ordinaire. J'ai pensé en vous lisant à celles et ceux qui ont choisi le métier d'infirmière ou d'aide-soignant que j'ai côtoyés à la maison de soins où résidait ma mère et qui y mettent du coeur, de l'attention, du rire si bienfaisant !

Zoë Lucider a dit…

@Tania, je viens de regarder le très beau documentaire réalisé à partir du texte de james Baldwin, "Je ne suis pas votre nègre" (sur Arte jusqu'au 12 juin). Je suis tellement navrée de cette plaie de la violence perpétrée par les Colons à l'égard des peuples premiers et des Africains déportés et méprisés, battus, emprisonnés , assassinés. La réflexion de Baldwin est très puissante.

La Feuille a dit…

Beau texte... Je n'en dirai rien de plus, mais je suis content de voir que ça s'agite sous l'arbre à palabres et que l'on y respire un peu !

Paul

Zoë Lucider a dit…

@La Feuille, merci Paul, on a survécu oui . Bien à vouset on profite du(dé) confinement pour visiter davantage les blogs

Dominique Hasselmann a dit…

Bel article.

Ill est temps que Castaner et autres perroquets du mantra "les violences policières n'existent pas" se réveillent au bout de trois ans et annoncent (on verra comment ça se traduit dans les faits) une prise de conscience de la situation en France, après que les USA se retrouvent soudain avec le racisme et la violence en pleine figure.

L'art (Baldwin and others) est aussi une arme contre la bêtise criminelle à tête casquée ou pas. ;-)

Zoë Lucider a dit…

@D.H, on parle de remplacer la méthode serrage de cou par le taser. Suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

patrick.verroust a dit…

A lire les déclarations de Castaner, il y a de quoi s'étrangler ....

patrick.verroust a dit…

Je suis "heureux" d'avoir lu que la pollution a retrouvé son niveau normal à Paris...Les parisiens
respirent...

patrick.verroust a dit…

Les déclarations alarmiste d'un certain Le Maire, ministre de quelque chose, qui annoncent un effondrement de l'économie pour mieux faire gober des mesures étonnantes, inadaptées et impopulaires , relèvent d'un ethnocentrisme occidental et d'un oubli mémoriel... Les villes détruites du moyen-orient , autrement affectées par les guerres, que notre pauvre occident atteint du Covid , qui a bon dos, arrivent à maintenir une économie, avec certes de grandes souffrances mais l'échelle (de secours) me paraît autre....Mais surtout n'ouvrons pas les yeux ..."Choisir entre Alep et le choléra est un new délit"...