jeudi 20 juillet 2017

La grande Varda

Elle est toute petite Agnès, cheminant aux côtés de ce grand escogriffe de JR, éternel feutre sur le crâne et lunettes noires rivées aux yeux. Des yeux qui savent regarder et nous donner à voir la beauté des visages dont il a développé un art de l'exposition, mêlant visages et paysages pour de troublantes associations.
JR est un artiviste, il est de ceux qui n'imaginent pas l'art autrement que provocateur, secouant les vieilles tranquillités, usant de beauté et d'humour pour montrer à rebours la violence faite aux humains par d'autres humains. 

Comment se sont-ils rencontrés Agnès et JR, le film ne le dit pas mais s'ouvre sur cette question de façon humoristique et n'y répond pas. Mais quelle rencontre! et quelle évidence dans cette rencontre ! Varda n'avait-elle pas honoré les murs dans un documentaire, parcours poétique et chaleureux entre les "murals" de Los Angeles et les artistes qui s'y exprimaient en 1980. Car Agnès est une pionnière, une des premières femmes à escalader la falaise à mains nus vers la reconnaissance du cinéma des femmes. Première aussi à avoir oser un film sur l'avortement et sous forme de comédie musicale "L'une chante, l'autre pas" en 76, fallait oser. Pionnière encore quand elle nous parle des SDF (Sans toit ni loi 1985) ou de ceux qui survivent en glanant (Les glaneurs et la glaneuse 1999,2000)
Deux amoureux des visages et des gens, deux artivistes, nous emmènent par monts et par vaux, de villages en visages dans un vagabondage poétique, drôle et tendre,  Visages, villages.
Complicité d'une vieille dame pétillante, porteuse d'une mémoire du cinéma et d'un jeune homme pétulant qui grimpe sur des grues pour coller les gigantesques photos qu'ils ont conçues et redonner vie à des murs morts ou à des lieux habités par ceux-là mêmes qui y seront exposés. Art de l'éphémère cultivés par les deux artistes dont une illustration est émouvante et surprenante : une photo  qu'Agnès avait réalisée d'un de ses amis photographe Guy Bourdin,  est installée sur un blockhaus que le maire a fait projeter du haut d'une falaise parce qu'il menaçait de le faire sans crier gare, fiché désormais dans le sable, telle une sculpture géante. La photo installée à grand renfort d'échelles, et en tenant compte des marées, il semble ainsi niché dans un berceau. Le lendemain la mer a ravagé le prodige.


C'est un road movie. Le Nord des corons où les vieilles photos de mineurs, conservées par leurs descendants se retrouvent agrandies ornant les murs d'une cité abandonnée sauf par une habitante, résistante, qui ne veut pas partir et ne peut cacher son émotion en se découvrant sur la façade de sa maison. Agnès et JR ne se contentent pas de photographier, ils parlent avec ceux qu'ils rencontrent, ils les associent à l'aventure et nous font ainsi découvrir dans ce Nord désormais mythique le métier disparu des mineurs.


Le Sud des champs de lavande et des fermes, où un paysan (peut-on encore l'appeler ainsi) gère 800 hectares à lui tout seul grâce à une batterie de méga machines gavées d'électronique. Il se dit le "passager" de son tracteur. Le contraste entre une ferme de chèvres dont on brule les cornes (pour qu'elles ne se blessent pas en se battant, c'est hargneux une chèvre), qu'on trait à la machine et une ferme où les chèvres affichent leurs magnifiques cornes et sont traites à la main (un instant de paix dit la fermière). L'air de rien les deux compères nous livrent un regard acéré et plein d'humour sur cette vie quotidienne où se jouent toutes les contradictions de notre temps.
JR, rompt le vœu d'Agnès de parcourir la France des villages pour l'entrainer au Havre dans le monde des dockers, c'est "presque" un village dit un des dockers. Et Varda la féministe choisit d'exposer les portraits des femmes de dockers dans cet univers de ferrailles, de grues et de piles de containers. Tout en haut de leur pile elles apparaissent en vrai dans le trou ménagé à hauteur de leur cœur par le retrait d'un des containers, joyeuses libellules. Univers poétique d'Agnès...
Les deux partenaires se chamaillent un peu, pour le plaisir. Il est tout de noir vêtu, elle affiche des tenues joyeusement bariolées. Pourquoi ne retire-t-il pas ses lunettes? Pourquoi a-t-elle cette drôle de couronne de cheveux mi blancs mi-rouges ? On assiste à la piqure dans l’œil qu'Agnès subit régulièrement pour soigner sa vue qui lui rend les choses floues et elle le prend avec légèreté évoquant la fameuse scène de l’œil fendu au scalpel dans Un chien andalou . Émouvants les gestes de JR qui ajuste pour elle les prises de vue. Ce duo d'une vieille femme (elle n'aime pas le terme de vieux amis, lui préfère celui d'amis de longue date) et d'un jeune homme qui cabriole en la promenant à tout allure, assise dans un fauteuil roulant, dans le musée du Louvre, est à la fois hilarant et profondément mélancolique (remake facétieux d'une scène filmée par Jean Luc Godard).  Les yeux et les pieds d'Agnès, JR les capture et ils iront voyageant sur un train de marchandises. Elle l'emmène dans un des plus petits cimetières qu'elle connaisse, où reposent Henri Cartier Bresson et sa femme. A-t-elle peur de la mort ? Non, elle voudrait juste mourir en restant vivante. La visite surprise à JLG, le "fantôme suisse" est ratée, Jean Luc, un des derniers survivants avec elle des cinéastes de la Nouvelle vague (elle en fait un éloge touchant), cet ami de longue date a gardé porte close. Agnès est blessée. La dernière scène du film est un bijou de délicatesse, accompagnée par la musique de M. 
Vivante, Agnès, elle l'est encore et ce film est la preuve qu'elle devrait le rester jusqu'au bout. Est-ce son dernier film ? Peut-être. En tout cas un film sur la transmission. JR et la grande Varda, quelle belle rencontre!

Pour mémoire mon article sur Les plages d'Agnès en 2009.

12 commentaires:

Tania a dit…

Cette après-midi même, nous avons décidé d'aller voir ce film ensemble, une amie et moi - nous avons vu et aimé "Les plages d'Agnès". L'exposition de Varda à Bruxelles m'avait déçue, mais j'ai bien envie de la retrouver sur grand écran.

Dominique Autrou a dit…

Très beau film ; "regarder et écouter", comme disait, je crois, Godard

patrick.verroust a dit…

Ah ! Le merveilleux enthousiaste de Zoë …..Merveilleux...Il est certain que « la grande Varda «» et l’activiste , performer JR participent de son univers engagé à secouer le monde, à le réveiller de son anesthésie glauque, apathique , égoïste...Il n’y a pas qu’aux chèvres que les cornes sont brûlées...
J’ai réagi aux moments forts que notre Zoë pointe avec à propos. J’ai ressenti l’émotion de la résistante à l’expulsion...Les images des approches si opposées de l’élevage, encadrées par le passager de son tracteur ont été un choc intellectuel…..J’ai regretté que la mer fasse disparaître la photo de Bourdin qui donnait sens vivant au blockhaus dédié à la mort, fiché là...J’ai vu des moments des moments d’échanges et de rencontres vrais ...Est-ce qu’il y a une véritable appropriation par les sujets du film, je ne saurais pas répondre...J’ai, aussi, ressenti la mélancolie qui se dégage de cet étrange opus cinématographique mais j’ai eu la sensation d’être le spectateur voyeur d’un voyage intime, d’une histoire qui n’appartenaient qu’à ces deux « routards ». La complicité, l’amitié, la tendresse ,réjouissantes, étaient leurs ...Je suis allé voir ce film en hommage à Varda ou aux enthousiasmes du jeune adulte que je fus ??….l’éphémère laisse t- il des traces , justifie-t-il les moyens importants mobilisés ? Je voudrais le croire….Je suis natif du ch’Nord, je sais que la vérité qui sort du puits n’appelle pas une nostalgie trop grande ,les corons puent la mort , les souffrances sans fond…. « La grande Varda » a été blessée par la dérobade de l’imprévisible JLG ….Au sortir de la projection, je comprenais mieux que je sais le dire, le geste de l’imprévisible Godard. Son refus de ressasser , même au nom de l’amitié, ce qui fut un combat passé au café Dunkerque, QG d’un groupe , maintenant dispersé...Leur nouvelle vague est étale, la prochaine est à venir . Cette pensée est un embrun …. Voilà les propos d’un vieux con ...Dans mes pensées décousues d’ethnologue de pacotille, j’y erre !!!!

Zoë Lucider a dit…

@Tania, j'avais vu une expo à Avignon que j'avais bien aimée était-ce la même? Vous aviez été une des rares à commenter mon billet de 2009. Il est vrai que je débutais. merci de votre passage.
@D.A, très juste !
@PV, pardon Patrick, je n'ai pas répondu à votre gentil mail, j'étais une fois de plus un peu engloutie, j'ai remis à plus tard et voilà. Oui peut-être Godard n'avait-il pas envie de ressasser ou de se confronter au jeune JR si talentueux. Who knows?

Hypathie a dit…

Je suppose que sa diffusion est confidentielle. J'avais drôlement aimé le documentaire Les glaneurs et la glaneuse, vraiment superbe, diffusé sur Arte un soir. Et tous ses films que j'ai vus, au cinéma, bien sûr. C'est une belle cinéaste.

Zoë Lucider a dit…

@Hypathie, pas si confidentielle que ça. Il bénéficie d'une bonne promo parce qu'il a séduit à Cannes. J'ai aimé tous ses films pour leur inventivité,l'humour et la gravité bien entremêlés.

patrick.verroust a dit…

"Avant la fin de l'été" de Maryam Goomarghtigh, vient de sortir. Il offre un cinéma buissonnier qui improvise avec le réel. Un regard caméra très subtil , plein d'empathie pour les gens et les paysages donnent à voir, au passage, sans en avoir l'air et sans afféterie, des paysages mornes, parfois, chaleureux d'exotisme souvent, des villages endormis et des tranches de vie dans de petits bastringues sans prétention où les jeux de l'amour et du hasard se plantent avec humour, tendresse et poésie....Voilà un documentaire qui ne dit pas son nom et qui se découvre là où on ne l'attend pas. Ce film présenté à l'ACID , est tout sauf acide, il s'en dégage un certain regard sur la société française contemporaine, les flashs de vie de gens simples dégagent une tendresse communicative....

Dominique Hasselmann a dit…

@ Zoë Lucider : vu tardivement ton article puisque je ne suis pas "notifié" de tes parutions plus ou moins aléatoires.

J'avais été emballé par ce dernier film d'Agnès Varda, dès sa sortie : une sorte d'œuvre testamentaire et synthétique de tout ce qu'elle a fait, aimé, créé, inventé, enfin ici même avec la complicité active et joliment partagée du dénommé JR, qui s'empara un temps du Panthéon...

Le film "facétieux" de JLG est "Bande à part" : dommage qu'il lui ait en quelque sorte "posé un lapin" mais cet épisode renforce la nostalgie prenante et artistique ou l'impossibilité de fixer le présent même sur pellicule.

Zoë Lucider a dit…

@Patrick, merci de l'info, j'essaierai de voir ce film s'il passe par chez moi.
@DH, bonjour, je ne suis pas étonnée que ce film t'ait plu. Je publie en effet de moins en moins. Il me faut un vrai enthousiasme. Même mes derniers voyages n'ont pas eu d'écho ici (la Crête pourtant... et Berlin). La note finale du film est à la fois tendre (JR dévoile ses yeux mais Varda floute son regard) et mélancolique, la fin du film, la fin d'une vie ...

patrick.verroust a dit…

Zoë, il sort quelques films emplis d'une tendresse subtile comme Ava de Léa Mysius, j'ai passé un bon moment à regarder la satire sociale burlesque et surprenante de "crash test Aglaé" ...

la bacchante a dit…

Tiens, j'ai regardé Les plages d'Agnès, hier soir. Visages villages est au programme de ma prochaine sortie ciné. Belle journée, Zoë.

Zoë Lucider a dit…

@la bacchante,merci de ton passage, belle journée à toi aussi