vendredi 14 août 2015

Des vivants et des morts

Qu'on se rassure, si ce blog semble dans le coma, ce n'est pas pour cause de maladie ou de disparition par enlèvement de sa rédactrice mais parce qu'elle n'a eu ni le temps -ni le goût sans doute- de s'y consacrer.
D'ailleurs si je consulte la liste des blogs que je suivais régulièrement je constate qu'à part quelques héroïques et vaillants résistants, beaucoup de ceux qui publiaient journellement se sont calés sur une vitesse de croisière qui frôle l'immobilisme voire sont en cale sèche.
Au nombre des multiples raisons qui m'ont tenue éloignée de mon écran (visite d'amis, présence des jeunes acteurs de la troupe de ma fille qui ont fait résidence à la maison) la dernière en date est mon rituel passage (écourté) à Lagrasse pour le Banquet du livre.
Le thème de cette année "ce qui nous est étranger" réunissait une belle affiche dont Lydie Salvayre et Olivier Rolin qui me sont chers comme le savent ceux qui fréquentent l"arbre.
Lydie venait présenter Pas pleurer (j'en avais parlé à sa sortie  ici avant qu'il n'obtienne le Goncourt), Olivier Le météorologue. Je me permets la familiarité du prénom parce que je connais un peu Lydie sur un mode amical et que Rolin m'est comme un frère, je ne sais pourquoi.
Lydie a perdu sa chevelure flamboyante (chimio) et m'est apparue avec une sorte de duvet d'argent au-dessus de son bel ovale, je l'ai trouvée magnifiée. Nous n'avons pas eu beaucoup de temps d'échange, elle devait repartir (contretemps imprévu lié aux soins qu'elle continue de recevoir) et était bien-sûr accaparée par tous ceux et celles qui l'admirent et sollicitaient un autographe. Il n’empêche, "je me croyais inoxydable, m'a-t-elle dit et j'ai bien dû admettre que ce n'est pas le cas. Humilité radicale. Sa conférence était orientée sur les vertus du ressourcement de la langue par les parlers populaires et les fantaisies qu'y introduisent les collisions entre les langues comme c'est le cas pour le fragnol, terme qu'elle utilise pour désigner le langage de sa mère acclimatant des termes espagnols au sein d'un continuum francophone. Hélas, le langage aseptisé des médias a éradiqué cet humus naturel. La langue s’ankylose.
Une personne délicieuse m'ont dit les amis qui la découvraient.
Quant à Rolin il nous a fait partager une réflexion "crépusculaire" (dixit) sur la disparition programmée de la littérature, le vocabulaire se désertifiant au profit d'une sorte de globish. Il vient de faire paraître une somme imposante Circus I et II  qui rassemble ses écrits de 1980 à aujourd'hui. Il a un regard critique sur son entreprise d'auteur et bizarrement s'est étonné qu'on méprise les prix (était-ce parce que Lydie était présente?) alors qu'on le sait, il a professé à une époque l'abolition du système de façon radicale. Dans son dernier roman, la biographie d'un homme "ordinaire" broyé par le système stalinien, il soulève la question qui n'aura jamais de réponse : que serait devenue la belle utopie communiste si un tyran ne l'avait ensanglantée de ses crimes. Après Staline, l'avenir radieux s'est définitivement assombri et le Grand Capital règne en maître absolu, chosifiant les êtres aussi bien que toutes choses et reléguant bientôt la littérature au rang des lettres mortes. Oui, il n'était pas gai l'ami Rolin et les quelques mots que j'ai échangés avec lui m'ont semblé ceux d'un homme dépressif. Vieillir n'est pas facile décidément.
Pour le dérider, je lui ai conseillé d'écouter La Tordue, la vie c'est dingue . Un petit enfant scande d'une voix fluette chaque couplet d'un refrain "le plus important c'est d'être pas mort". Hé oui, pas mieux.
Hélas, Sólveig Anspach (Queen of Montreuil, Lulu femme nue) s'est fait manger par le crabe  mais Jean Rochefort lui est bien vivant. *
Tiens bon Jean, le plus important c'est d'être pas mort.
Et c'est valable pour ce blog...
On aura remarqué que pas une photo n'illustre mes propos. Afin de vous permettre tout de même de respirer un peu, en voici une, prise au bord d'une rivière, lors d'un pique-nique improvisé, sur la route qui me conduisait vers les Cévennes pour fêter les 75 ans d'un ami, en pleine forme. Que les Dieux des forêts le protègent.

* puisqu'on parle de langue, de littérature et de Jean Rochefort, je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager Madame Bovary"résumé" par JR en "boloss  

12 commentaires:

Tania a dit…

L'été est une si belle saison pour vivre ailleurs ou autrement, et voilà un aperçu aussi loin de l'ennui que de l'oisiveté.

Hypathie a dit…

Je viens de lire cet été Le météorologue de Rollin, en tombant dessus par hasard à ma bibliothèque municipale : j'ai été vraiment enthousiasmée aussi. L'enfer stalinien, l'extermination des opposants tellement semblable aux exterminations des nazis. Et à la fin du livre, des planches de dessins du météorologue, des trucs mnémotechniques et des devinettes destinées à sa fille. Touchant et superbe. Bonne fin de vacances.

patrick.verroust a dit…

La désaffection des blogs est un dommage contre l'esprit. Avec leurs diversités de fonds, de formes, de tons, ils créaient une émulsion intellectuelle, politique, voire spirituelle riche. L'époque n'est pas à la persévérance dans ce type d'activités. Cette réflexion désabusée concerne ,aussi bien, les lecteurs que les auteurs...
La grande guerre enfanta du fascisme et du communisme. Les deux voulaient promouvoir un "nouvel homme", le premier, un guerriers, le second, un "partageur"....La sagesse n'est pas la vertu première des peuples. Chaque société est la somme des intérêts et des appétits individualistes, égoïstes. Les visions et les utopies sont écartées au profit du court terme. Dans les soubresauts de la société russe, dans le contexte international qui vit commencer la seconde guerre mondiale en Asie ,en 1937,une autre forme de pouvoir qu'un pouvoir tyrannique pouvait il s'imposer? je ne sais pas, mais je sais que nos démocraties mirent sous le boisseau , leurs grands principes et persévèrent. Le communisme a été vaincu, le fascisme est latent. N'oublions , jamais, que les "grands" intello , les maîtres de la pensée comme on est (on naît) maître de forge, Les Sartre, Beauvoir (très ambigus sous la collaboration) , Derrida et consorts étaient d’obédience Heidegerienne, un vrai nazi, celui là. Incidemment, l'histoire nationale occulte, un peu facilement, les énormes responsabilités du régime de Vichy. L'armistice honteux , la collaboration inique firent basculer l'histoire mondiale et déséquilibra l’Europe qui se cherchait. De cette défaillance idéologique, nous ne sommes pas remis...

Zoë Lucider a dit…

@Tania, l'été s'éclipse déjà, il fait presque froid aujourd'hui. Pas de regret, on lit et relit.
@Hypathie, lecture en cours mais les planches de dessins sont très belles et cette obstination à garder un lien vivant avec sa fille me touche aux larmes
@Patrick, collaboration toujours à l’œuvre. Pas de solidarité plus forte que celle des ploutocrates pour défendre leurs intérêts communs.

patrick.verroust a dit…

Cerise sur les gâteux...Les ploutocrates sont,de plus en plus, plouc-ocrates...Le pouvoir de la sot-cratie....La bêtise gouvernant le monde...

Dominique Hasselmann a dit…

Je n'ai jamais participé, malheureusement, à ce "banquet"...

Mais j'ai rencontré un jour Lydie Salvayre à Uzès et Olivier Rolin chez Colette à Paris.

Ce sont des êtres rares, leurs livres aussi.

Merci pour tes lignes et la photo.

patrick.verroust a dit…

Le banquet du livre, Lagrasse,matinée et après midi ....Un lieu d'exception qui résiste aux sirènes de l'animation vulgaire....Sur la côte d'azur,il y a florès d'animations en toc! Les domaines vinicoles font invitations en toque pour des soi-disant "happy fews"...La moindre chanteuse dont le talent réside plus dans l'art de montrer sa culotte que dans le filet de voix et dans la mise en scène de péripéties sentimentales pour chansons à déboire est érigée au rang de star. Les bimbos culottées passent du porno à la scène. Elles seront jetées après usage. Une déculottée qui les détruisent mais le bataillon des postulantes grossit sans cesse. Le moloch télévisuel invente sans cesse plus de bise. Un record a été atteint cet été avec le "village départ" et ses défis absurdes ....Ouvrir 850 huîtres, les mains dans le dos, quel finesse! Comme quoi, il y a plus "con" qu'une huître....

Sergeant Pepper a dit…

Cela me rassure un peu d'apprendre que je ne suis pas le seul en "cale sèche". Un peu mais guère. Ma torpeur (je ne lis plus, je n'écris plus, je ne photographie plus) est un labyrinthe dont je ne trouve pas la sortie.

Zoë Lucider a dit…

@DH, merci de ta fidélité.
@PV, Ouvrir 850 huitres les mains dans le dos! Non!
@Sergeant Pepper, amollissement général donc. Ma foi, bloguer doit rester un plaisir pas un pensum.

Anonyme a dit…


C'est en lisant l'article que le Monde consacre ce jour au Banquet que je me suis dit in petto : ah ah courons chez Zoé qui a dû faire sa chronique annuelle...
Les blogueurs ont beau s'alentir, les blogués conservent leurs habitudes.

ArD

http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2015/08/17/platon-dans-la-garrigue_4727836_3246.html

Zoë Lucider a dit…

@ArD, les blogueurs sont heureux de retrouver certains blogués. Merci pour le lien. Je reprend volontiers la citation de Dominique Bondu « Déployer l’exigence et la rigueur sans lesquelles on ne fait que croire que l’on comprend »

La Feuille a dit…

Lydie Salvayre. Toujours réticent à lire les ouvrages "primés", il m'a fallu un certain temps avant de me décider à me plonger dans son "Pas pleurer".
J'aime : l'histoire, le style, le langage... et je ne regrette pas cette "dérogation" à mes règles coutumières.
Il y a tant et tant de choses à dire et à lire au sujet de cette révolution espagnole de 36... Cette approche romancée est fort belle ma foi et convient tout à fait à mes douces pauses estivales entre deux chantiers.
Découvert aussi, même si le registre est fort différent, l'auteur québecois Nicolas Dickner. et le voyage quelque peu singulier qu'il conte dans "Nikolski".
Bon courage pour la reprise, Zoë, de la part de quelqu'un qui est content, non pas d'avoir arrêté de travailler, mais simplement de ne plus être soumis aux caprices des puissants qui veulent modeler l'école à leur image !