vendredi 18 avril 2014

Consolata


On a beaucoup parlé du Rwanda ces derniers temps pour le sombre anniversaire du génocide des Tutsis. J'ai alors pensé à Consolata. Je l'avais connue en 1982 pendant mon passage à Kigali. Hébergée par un ami français attaché culturel à l'Ambassade de France, j'avais fait la connaissance de Consolata, une jeune Tutsi d'une grande beauté et d'une belle gaieté. De retour en France j'avais lu dans la presse que la femme du Président Juvénal Habyarimana, Agathe, avait décidé de faire arrêter et déporter dans des camps les femmes tutsis qui avaient eu des "relations coupables" avec des Occidentaux. Consolata en faisait partie. L'ami français, revenu entre temps en France s'est démené pour la tirer de cette mauvaise passe en repartant à Kigali et en l'épousant à l'ambassade de France. Mariage à l'insu de sa famille (il est juif d'une famille très intégriste) et mariage aussitôt suivi d'une séparation.  Ils n'avaient ni l'un ni l'autre l'intention de vivre ensemble, même s'ils sont restés les meilleurs amis du monde.
Consolata a mis un peu de temps à s'acclimater à Paris (elle détestait les escaliers roulants par exemple), mais comme elle était intelligente et possédait un excellent niveau de langue, elle a trouvé du travail et s'est mise à apprendre ... l'accordéon. Nous nous voyions de temps à autre à cette époque là, période heureuse.
En 1994, cela faisait plus de 10 ans qu'elle vivait en France.  En mai, j'avais convié mes amis à une fête pour mon départ (déménagement de toute la famille, bye bye la capitale). J'avais invité Consolata, mais elle ne vint pas. Quand je l'appelai au téléphone, une personne me dit en chuchotant que Consolata venait  d'apprendre le massacre de sa famille et qu'elle était effondrée.
Sa sœur avait échappé aux tueurs et se trouvait au Zaïre. Consolata s'est débrouillée pour lui faire parvenir un ticket d'avion à partir de Bujumbura  au Burundi. Sur la route qui la menait de Bukavu au Zaîre à l'aéroport de Bujumbura, sa sœur a trouvé la mort dans un accident de voiture.
Par la suite Consolata est retournée au Rwanda au prix de gros risques pour tenter de comprendre ce qui était arrivé.  Elle a ainsi appris que son plus jeune frère, né de père hutu avait été sauvé in extrémis et se trouvait quelque part au Zaïre. Cette fois encore, elle a réussi à le retrouver, à le faire venir en France et à l'inscrire dans un lycée. Hélas, ce jeune homme était devenu inapte à la vie civile. Sans la prévenir, il a fugué pour aller s'engager dans la Légion.
Consolata avait suivi entre-temps un cursus de logisticienne et travaillé pour certaines ONG. Son premier poste a été en Arménie et ses lettres décrivaient les affres dont elles souffrait, peu habituée au froid glacial qui régnait sous ces latitudes.
Elle partit au Tchad, au Congo. Un jour elle m'annonça qu'elle était de retour en France. Je la revis, toujours aussi calme et rayonnante en dépit de tous ces deuils. Elle allait avoir un enfant. Elle était heureuse. Les dernières nouvelles ont été pour m'apprendre que le père de l'enfant avait décidé de renoncer à sa paternité au profit de sa liberté. Qu'importe, Consolata avec sa douce gaieté me dit que l'essentiel était son fils, sa seule famille.
Elle est repartie pour le Botswana et je n'ai plus de nouvelles. J'espère qu'elle aura pu revenir au Rwanda. Je crois qu'elle souhaitait participer à la reconstruction de son pays, le plus peuplé d'Afrique, le pays aux mille collines épargné naturellement des fléaux ordinaires de l'Afrique (pas de moustiques, une température relativement douce, une terre généreuse). Il devrait pouvoir se relever de ce drame épouvantable. Il compte le taux le plus élevé d'Afrique de femmes impliquées dans le gouvernement. On peut espérer qu'ainsi le niveau de fécondité s'abaisse (la surpopulation est un des problèmes de ce petit pays) et comme la corruption (plaie des pays africains) a été maitrisée, que le taux d'alphabétisation est en constante progression, le Rwanda pourrait devenir un des pays d'Afrique où  la démocratie et la justice sociale seront des modèles pour les générations futures.

 Le film


5 commentaires:

Tania a dit…

Qu'il est difficile de commenter, tout ce qu'on pourrait écrire paraît vain.
Souvenir d'une jeune réfugiée rwandaise assise en classe, silencieuse, perdue, repartie ailleurs après quelques semaines de présence absente.
J'espère que Consolata vous refera signe, Zoë, et que son fils et elle vont bien.

patrick.verroust a dit…

Billet plein d'émotions sur lequel les commentaires s'effacent comme devant un deuil. J'y suis d'autant plus sensible que j'ai partie d'un e ONG qui appuyait Solidarité paysanne pour réaliser des adductions d'eau potable au Kivu. Les déplacements de population montagnardes pour cause d'exploitation coloniale les avaient installés en zone insalubre. Pour que l'eau redevienne la vie, il fut décidé de l’amener là où les gens , désormais, vivaient. C'était du temps de Mobutu, Amin Dada...Ce fut une belle aventure humaine, périlleuse, contradictoires, complexes, un lieu d'échanges concrets sur le dévelloppement. L'eau vint, des douches furent installer, des ateliers coutures...
Puis les drames, le jeune ingénieur français envoyé en soutien mourut , dans un accident de voiture, avec ses parents venus le voir puis les massacres de population. Les installations servirent à l'armée française qui y trouva , eau potable, douches et doigt sur la couture du pantalon. Une partie des lieux de vie ont disparu.J'y avais quelques amis et une empathie pour cette population. quel fut leurs destins, dans quelles actions furent-ils engagés, sont ils morts, vivants, je ne sais pas.
La première déclaration des droits de l'homme est africaine, promulguée à Mandé, Mali, en 1212 par djélis oraux. Elle disait, entre autre, "Chacun a le droit à la vie et à l'intégrité physique"....L'histoire est une étoile lumineuse ou magmatique, complétement dingue..J'y pense , souvent,avec douleur. Le kivu est riche, vous en faites une espérance, ce fut sa perte... les massacres commis par "des hommes respectables" , ce qui est, probablement , "vrai" . La barbarie est u tsunami humain , rien ne résiste à son flot déchainé, qu'on se retrouve bourreau ou victime...La vie rena^t , lentement avec ses plaies qui ne purulent...

Zoë Lucider a dit…

@Tania, j'aimerais beaucoup en effet revoir Consolata
@PV, oui la première déclaration des droits de l'homme est africaine et la première déclaration du droit des humains à circuler librement sur la planète a été promulgée au FSM de Dakar, à Gorée, dans la maison des esclaves. S'il faut attendre sept siècles pour qu'elle devienne universelle, on n'a pas fini de tirer des cadavres de la Méditerranée.

Dominique Hasselmann a dit…

J'entendais hier matin Hubert Védrine sur France Inter (il a été ministre à l'époque du génocide) : il a bien remis en place Kagamé.

J'espère que tu auras bientôt des nouvelles de Consolata, au nom d'espoir.

Zoë Lucider a dit…

@DH, un nom aussi sympa qu'elle l'est.