mercredi 3 juin 2009

A celle qui est trop gaie





Je suis rentrée tard. Dans la voiture, j'écoutais sur France Culture, Allen Weiss expliquer comment lui était venu le désir d'écrire ce roman qui n'est pas une biographie mais l'imaginaire d'un projet, celui de Baudelaire et le sien. Six ans de travail. Voici la quatrième de couverture

En décembre 1847, Baudelaire écrit à sa mère : «À partir du jour de l'an, je commence un nouveau métier - c'est-à-dire la création d'oeuvres d'imagination pure - le Roman.» Un projet qu'il a vite laissé tomber. En décembre 1861, au moment où il se présente à l'Académie française, Baudelaire revient à son idée de faire un roman, mais cette fois-ci un ouvrage de pure bouffonnerie, au sujet des humiliations subies pendant ses visites académiques. Il ne l'a jamais écrit. Mais ce roman existait dans les archives, comme une sculpture dans son bloc de marbre. Le voici, tissé avec les mots du poète, de ses amis, et des Immortels. Une nouvelle manière de lire l'oeuvre et une autre façon de comprendre deux institutions : l'Académie française, et Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du mal, le livre le plus édité et le plus traduit au monde, hormis deux ou trois livres sacrés. Allen Weiss Le livre bouffon Seuil - avril 2009.

Quand j'ai découvert les Fleurs du mal à seize ans, ce poème me semblait le plus bel hommage qu'un homme eût pu me dédier. Seule la chute me chiffonnait un peu. J'étais si jeune!

A celle qui est trop gaie

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur !

10 commentaires:

Vinosse a dit…

Très malsaine, cette fin en effet...

Et d'assez mauvais goût même!

Mais bon, il est de bon ton d'aduler Baudelaire actuellement, alors je me tais...

D. Hasselmann a dit…

Ce poème tombant sous le coup de la loi, je vous conseille de le retirer vite fait de votre blog.

Un bouffon, sur le conseil d'une personne cultivée dans son entourage, pourrait s'en offusquer et en tirer des conséquences fâcheuses pour vous-même.

JEA a dit…

Baudelaire s'est effondré sur les marches de l'église St-Loup à Namur (Belgique). Encore heureux que les bras de Félicien Rops (graveur génialement fêlé) l'ont relevé. N'empêche, ce fleuriste du mal ne s'en sortira pas. Il était entré dans le tunnel de la mort.

En ces temps post-modernes, quelques concerts baroques réveillent parfois cette église. L'éclairage parcimonieux n'en chasse pas les ombres confondues du poète et du peintre, tous deux maudits hier et fiers de l'être !

Tania a dit…

Merci de me faire relire ce beau poème, Zoë.
J'aime ce portrait de Baudelaire par Nadar.
La conclusion de ton billet m'a bien fait sourire.

Zoë a dit…

@Vinosse, Aduler ? Connais pas! Mais me rappeler de l'émotion de mes seize ans
@DH J'avoue, sous ce nom d'emprunt c'est moi qui ai écrit ce brûlot sulfureux.
JEA, Un jour, on ne se relève d'une chute, on n'en finit plus de glisser
@Tania, complicité d'ex jeunes filles...

Cactus , ciné-chineur a dit…

un vers de poésie devrait être obligatoire , chaque matin au réveil !

Harmonia a dit…

J'suis pas à l'académie!
C'est la faute à Vigny!
Pas vert et des combines!
La faute à Lamartine!

J'suis pas quai Conti!
C'est la faute à Vigny!
L'épée reste en vitrine!
La faute à Lamartine!

Zoë a dit…

@Cactus, un vers, ça va !
@Harmonia, surprise ! Versifiez en toute liberté ici, on aime vos rimes à rires

Sophie K. a dit…

J'ai vaguement la sensation, parfois, d'être "trop gaie", hahahahahaha !
Merci pour ce post, Zoë...

Zoë a dit…

@Sophie K, on n'est jamais trop gaie, la preuve, les génies se prennent d'amour pour les solaires. Il faut juste éviter de succomber à leur morsure.