samedi 21 mars 2009

T'as fait l'amour, tu fais le mort


Le théâtre d'Epidaure possède l'une des meilleures acoustiques de tous les théâtres antiques. L'expérience est saisissante : situé au centre de l'orchestra on peut murmurer des mots tendres à sa belle située tout en haut sur la dernière marche et elle les entend comme s'ils étaient susurrés dans son cou.

Depuis quelques jours, cette mise en scène me hante : murmurer au centre de cet espace magique ce poème de Boris pour l' oraison funèbre d'Alain.

Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir

Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche

Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...

Boris Vian

Photo ZL

12 commentaires:

Cactus , ciné-chineur a dit…

Content d'être repassé ce soir tard ( pour moi en ma maison de retraite ) : je savoure , je savoure !

Cactus , ciné-chineur a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Cactus , ciné-chineur a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Cactus , ciné-chineur a dit…

au fait mais vous devez le savoir http://www.leparisien.fr/loisirs-et-spectacles/pleiade-de-stars-pour-boris-vian-19-03-2009-447641.php
( je déteste ce mot ... "stars" )

Anonyme a dit…

Vous savez Zoë qu'il y a des églises qui ont ce type d'acoustique exceptionnelle. Dans l'église de la Chaise Dieu, si l'on chuchote derrière un pilier donné, cela s'entend très bien du pilier diamétralement opposé dans la nef et nulle part ailleurs dans l'église. On raconte que ce dispositif acoustique était fait pour qu'un prêtre puisse confesser les lépreux sans les approcher!

Lavande

Anonyme a dit…

Une acoustique temporelle m'a percutée ce matin, au hasard des pages d'un magazine très branchouille/bling bling -comme quoi, les diamants acoustiques se nichent partout - faisant écho à vos murmures : "L'imagination n'est pas un état, c'est l'existence humaine toute entière" (William Blake)

Anonyme a dit…

ah la la ! merci de m'avoir remis en mémoire ce poème qui me faisait des frissons partout quand j'avais 18 ans ! les frissons sont toujours là...

Unknown a dit…

Avoir la chance de voir la mort arriver en face... l'ultime aventure, sans préparation particulière, doit être une richesse infinie...

Manu Causse a dit…

Oh la jolie Madeleine et les frissons partout,
je jouais ce morceau quand j'avais 18 ans,
avec mon grand et bel ami (qui a eu quelques mois plus tard le mauvais goût de se faire assassiner pour une sombre histoire de drogue, et dont le fantôme parfois pose sa main sur mon épaule)
merci pour tes souvenirs et tes questions, Zoé, je passe quand tu veux pour la pelouse.

Anonyme a dit…

Boris Vian a toujours été un as de l'acoustique : sa trompinette, épi d'or, demeure magique comme ses livres et ce poème toujours vrillant les tympans.

Dahu l'Arthropode a dit…

Je suis allé à Épidaure, je me suis fait chuchoter des trucs, et je n'ai rien entendu. Surdité temporaire? Chuchoteuse taquine feignant le chuchotement? Légende?

En revanche: la section de la plupart des stations de métro de Paris est elliptique. En se plaçant au foyer, sur un quai, on peut chuchoter pour une personne de l'autre quai. Boris Vian dans le métro, ça le fait, c'était à pote à l'auteur à Zazie dans l'icelui, justement.

Anonyme a dit…

enlever une tumeur, tu vie

enlever la vie, tu meurs