dimanche 15 février 2009

Amours anciennes


C'était la Saint Valentin hier ? Ah bon! Justement, étaient de passage mes amis chéris, amis, amours, on ne sait quelle nuance. Le temps s'était mis au plus beau, le froid nous pelait le nez et les oreilles mais j'étais contente de leur offrir un tour sous les rayons après tout ce gris qui les avait accablés. Nous avons marché sur la petite route, bordée de grosses mottes ocres, et finissant en impasse sur le lac, aménagé autrefois à grands frais pour abreuver les cultures, qui ne sert plus que de réserve aux canards, crapauds et autres carpes. Paysage paisible et changeant avec ce faux air d'immuabilité rassurante et trompeuse. La terre sculptée par le labour.
Je venais de lire un article de Paul Shepard où ce précurseur de l'écologie politique décortique les logiques qui ont fondé la civilisation agricole et urbaine au détriment de celle des chasseurs cueilleurs pourchassés, spoliés voire assassinés au cours des temps. Or, Sheppard montre que ces tribus ont perduré pendant des millénaires grâce à une économie dont une poignée de survivants nous donnent encore en exemple les modes et les mœurs aux antipodes des nôtres.
Cette terre sculptée c'est "la pathologie écologique". (En soutenant des populations humaines vastes et mal-nourries, et de par leurs effets destructeurs sur l’environnement lorsqu’elles sont cultivées en monocultures, les céréales sont réellement le symbole et l’agent de la guerre agricole contre la planète).
Le détail de son long argumentaire vaut le détour, qui associe tous les maux dont nous souffrons à ce changement de paradigme capital qui a transformé l'homme (avec une détérioration de sa propre image ) de chasseur en laborieux laboureur, s'inventant son propre esclavage, domestiqué par son cheptel. Pour justifier la haine dont ils sont l'objet, les chasseurs- cueilleurs sont caricaturés, y compris par des scientifiques de mauvaise foi (dixit Shepard) "Après avoir équipé le chasseur avec des impulsions bourgeoises et des outils paléolithiques, nous jugeons par avance que sa situation est sans espoir." Pourtant il pratiquait un contrôle des naissances, il n'avait pas besoin comme le paysan de bras, au contraire il se défiait de trop de bouches à nourrir, qui aurait pu endiguer le débordement démographique, la vraie bombe à retardement . Mieux, le temps consacré à la survivance et aux questions matérielles lui laissait le loisir des siestes, des jeux avec les enfants, des fêtes et autres sources de satisfaction dont les peuples agricoles puis ouvriers ont dû faire le deuil. Les chasseurs-cueilleurs résistent à la flatterie de leurs voisins fermiers et éleveurs, des missionnaires, des bonnes âmes, des publicitaires et des soldats. Ce n'est qu'en les capturant, qu'en les piégeant, qu'en les piétinant et qu'en les cassant qu'on pourra leur faire abandonner leur “sauvagerie très primitive” en échange du paquet cadeau bien parfumé et joliment emballé de la civilisation.
Si nous ne pouvons imaginer revenir en arrière, en revanche les principes de sobriété et de limitation de nos appétits matériels au bénéfice de ce qui n'altère ni ne pollue et cependant nous remplit et nous dilate (l'amour, l'amitié, la musique, l'art) serait un renversement de paradigme enfin postnéolithique. Les problèmes contemporains ne sont (...) nouveaux que dans leur amplitude. L'arrogance et l'apathie (hybris et akedia) qui les sous-tendent sont aussi vieilles que la civilisation.


Et puisque c'était la fête des amoureux un petit cadeau qui ne coûte rien et qui vaut de l'or

« O parfum rare des salants

Dans le poivre feu des gerçures

Quand j'allais géométrisant

Mon âme au creux de ta blessure

Dans le désordre de ton cul

Poissé dans les draps d'aube fine

Je voyais un vitrail de plus ·

Et toi fille verte mon spleen

Et je voyais ce qu'on pressent

Quand on pressent l'entrevoyure

Entre les persiennes du sang

Et que les globules figurent

Une mathématique bleue

Dans cette mer jamais étale

D'où nous remonte peu à peu

Cette mémoire des étoiles »

Léo Ferré La mémoire et la mer



7 commentaires:

Anonyme a dit…

" Si nous ne pouvons imaginer revenir en arrière, en revanche les principes de sobriété et de limitation de nos appétits matériels au bénéfice de ce qui n'altère ni ne pollue et cependant nous remplit et nous dilate (l'amour, l'amitié, la musique, l'art) serait un renversement de paradigme enfin postnéolithique. "

Il était temps de remettre de l'ordre dans le foutoir.

Manu Causse a dit…

oui au renversements postnéolithiques, même si pour les chasseurs-cueilleurs j'ai un peu de mal (jolie société troussée a posteriori dans nos cerveaux, partitions dangereuses de la zone mémoire humaine).

Sinon, voisine, où en est ta "voisine" dont j'apprends par hasard l'existence srun une page de novembre ?

Anonyme a dit…

"La tragédie de l'amour tient à ce qu'il n'échappe pas à la dimension temporelle. Quand on partage la vie d'un être aimé, il y a une cruauté toute spéciale à constater combien nos anciennes amours nous sont devenues indifférentes."

Alain de Botton

Anonyme a dit…

Ainsi, ce sont de douce collines ocrées qui entourent votre demeure,Zoé ? Je n'ai pas réussi à identifier votre région, bien moins verte que la mienne dirait-on, mais lui ressemblant par les ondulations féminines - que de déesses endormies et recouvertes de collines, comme autant de couvertures moelleuses...

Ce pourrait être un jeu entre nous : vous sèmeriez, dans vos photos, des indices comme autant de petits cailloux blancs ?

Clopine, la brayonne ! (au fait, regardez bien les affiches du salon de l'agriculture 2009. La vache Holstein qui pose en star vient d'une ferme fort connue de moi, à quelques encâblures de ma propre demeure entourée)

Anonyme a dit…

Merci d'être passée Clopine, je suis ravie de vous compter au nombre de mes visiteurs, étant moi-même une fidèle de votre blog, genre je pousse le bouton de mon portable, je regarde vite fait les mails qui sont toujours du boulot à venir et je saute chez vous, voir ce qu'on y raconte, vous ou vos kamarads, puis (ou avant) je vais chez Christophe et Chasse clou. C'est le début de ma promenade dans la blogsphère et certains jours la fin, parce que n'est-ce pas la vraie vie c'est bien aussi.

Cactus , ciné-chineur a dit…

merci à vous j'avoue et bonne Saint Valentin ; autant qu'à ma Valentine à moi je vous souhaite donc même si en retard ! ( je vous emprunte Léo pour mon wizzz , merci ! )

Cactus , ciné-chineur a dit…

sinon Alain de Botton , n'oublizz pas la tragédie de l'humour !
sissi !!!